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Vignes : la Moselle profite du réchauffement climatique


Le microclimat mosellan convient de mieux en mieux à la viticulture. (Photo : Erwan Nonet)

Avec le réchauffement climatique, le Luxembourg ne se situe plus à la limite nord de la viticulture de qualité. Les vignerons sont en train de s’adapter.

Le réchauffement climatique est une réalité établie qui ne se discute plus. Ses effets sont de plus en plus visibles, on le constate particulièrement dans la vigne. Ces dernières années, par exemple, on ne compte plus les vignerons qui ont planté du merlot sur la Moselle.

Les domaines Schumacher-Knepper (Wintrange), Schmit-Fohl (Ahn), Desom (Remich), Leuck-Thull (Ehnen) ou Vinsmoselle ont par exemple déjà franchi le pas. Frank Schumacher (domaine Schumacher-Knepper) en fait déjà un usage admirable dans sa cuvée Elysium, où il assemble du merlot à du pinotage, cépage rouge emblématique de l’Afrique du Sud.

Jusqu’au début des années 1980, il y a une quarantaine d’années seulement, les vignerons avaient parfois du mal à atteindre les maturités suffisantes. Même en repoussant les vendanges au maximum, les raisins parvenaient à peine aux taux de sucre minimums (différents selon les cépages) imposés par la Marque nationale. Des marques pourtant très basses, puisque désormais les raisins sont quasiment deux fois plus sucrés que lors de ces mauvaises années.

Ces constatations locales s’intègrent naturellement dans des constatations plus globales. Puisque la croissance de la vigne et le caractère des raisins dépendent du climat, il ne fait pas de doute que le réchauffement climatique va modifier en profondeur la géographie de la viticulture mondiale.

C’est le propos d’un ouvrage récemment paru, Quel vin pour demain? Le vin face aux défis climatiques écrit par Jérémy Cukierman (Master of Wine et journaliste), Hervé Quénol (directeur de recherche au CNRS) et Michelle Bouffard (sommelière et journaliste) et paru en 2021 aux éditions Dunod. La suite de cet article en retirera de nombreux propos.

Partout dans le monde, les différents stades de développement de la vigne sont avancés – parfois jusqu’à un mois – par rapport aux dernières décennies. Toutefois, cette précocité apporte des caractéristiques différentes aux raisins, vendangés plus tôt en étant plus mûrs. Or, à grands traits, on note que plus le sucre augmente et plus l’acidité diminue.

La date des vendanges se détermine en fonction de la maturité physiologique (sucre/acidité de la pulpe) et de la maturité phénolique (la couleur et les tannins de la peau et des pépins). Idéalement, ces deux maturités doivent arriver à leur apogée à peu près au même moment pour que l’ensemble soit équilibré. Mais avec le réchauffement, la maturité physiologique est souvent bien plus avancée que la maturité phénologique.

Espagne et Portugal en danger?

Ces constatations un peu techniques amènent à des conséquences simples. Dans les régions viticoles les plus chaudes (climat méditerranéen), l’optimum climatique est atteint et la question de la survie de la viticulture se pose à moyen terme.

Ainsi, selon le modèle climatique le plus pessimiste présenté par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui table sur une augmentation des émissions de gaz à effet de serre pendant tout le XXIe siècle, la viticulture ne sera plus possible dans le sud et le nord-est de la péninsule ibérique à l’horizon 2070.

Il ne faudra alors plus compter que sur la résilience de la vigne face au réchauffement pour continuer à produire du vin, une capacité en grande partie inconnue à ce jour.

Dans les régions viticoles tempérées, de plus en plus de cépages risquent de ne plus être adaptés à leur région de production. La dynamique que l’on observe au Luxembourg avec l’arrivée du merlot se retrouve dans beaucoup d’autres endroits du globe.

Ainsi, en Australie, des vignerons plantent désormais des cépages méditerranéens (l’assyrtiko grec, le montepulciano italien, le touriga nacional portugais…) plutôt que les classiques cépages français (merlot, cabernet-sauvignon…).

Et puis, la modification du climat permet de voir de nouvelles régions productrices : le sud de l’Angleterre, la Bretagne, la Belgique… Alors que l’on considérait autrefois que, dans l’hémisphère nord, les régions viticoles de qualité ne pouvaient se situer qu’entre le 50e et le 35e parallèle, on peut désormais monter de 5 degrés supplémentaire vers le nord. On plante déjà des vignes jusqu’en Norvège.

Pour la viticulture luxembourgeoise, il faut bien admettre que c’est une aubaine. La Moselle (49 ° Nord) se situait jusque-là à la limite nord de la zone propice à la viticulture, elle se rapproche donc de son cœur. Le 55e parallèle de l’hémisphère nord file en effet approximativement de Belfast à Moscou, en passant par Copenhague ou Kaliningrad.

Le rouge plutôt que le blanc?

Pendant longtemps, on a considéré que la latitude idéale des grands vins du monde était le 45e parallèle, à égale distance de l’équateur et du pôle (symbole d’un équilibre que l’on retrouverait dans les vins). Effectivement, les beaux vins y sont foison, puisque cette ligne traverse les vignobles bordelais, des Côtes-du-Rhône, du Piémont, de Toscane, de l’Oregon (États-Unis)…

En extrapolant un peu, on pourrait presque dire que le 50e parallèle est destiné à supplanter le 45e. Luxembourg, alors, serait-il le nouveau Bordeaux? Ce serait bien sûr aller un peu vite en besogne, puisque les caractéristiques des régions n’ont rien à voir.

Et comme le disait l’historien spécialiste du vin Roger Dion : «Le terroir est le résultat d’une victoire chèrement acquise et non pas la réponse aux invites d’une nature bienveillante.»

Il n’empêche, les vignerons mosellans ont une magnifique carte à jouer. Si le réchauffement climatique apporte avec lui des risques (notamment des gelées tardives plus destructrices, puisque les ceps repartent plus tôt) et des difficultés (comment garder la fraîcheur des vins blancs avec des raisins de plus en plus sucrés et donc des vins de plus en plus alcoolisés?), il amène également de nouvelles opportunités qu’il faudra savoir saisir, notamment autour des vins rouges.

À moyen terme, il faudra revoir l’encépagement. Les pinots gris, qui prennent beaucoup de sucre avec le soleil, posent question. Lors des millésimes très solaires comme en 2018 ou 2020, ils titraient parfois jusqu’à 15 ° d’alcool et même plus. Trop ronds, trop lourds, ils saturent souvent plus qu’ils ne rafraîchissent. Le rivaner non plus, n’aime pas les climats trop chauds.

Pas si mal, le Nord

Ce n’est pas un hasard si l’on a vu apparaître de nouveaux cépages bourguignons (pinot noir et chardonnay) dans les années 1990/2000 et, désormais, des cépages bordelais (merlot). Il ne serait pas si étonnant de voir prochainement du cabernet-sauvignon ou de la syrah sur les rives de la Moselle.

Les considérations générales sur le réchauffement climatique doivent également être corrélées aux données locales, voire microlocales. Jusqu’à présent, les meilleurs coteaux étaient les plus ensoleillés (Wormeldange Koeppchen, Ahn Palmberg…). Ce ne sera peut-être plus forcément le cas.

Ailleurs, de grands vignerons se sont déjà adaptés. Eloi Dürrbach (domaine de Trevallon, en Provence) a planté des vignes sur le versant nord des Alpilles dès 1973 pour obtenir des vins plus frais. Dans les années 1950, Henri Jayer avait planté le Cros Parantoux, orienté nord-est, un terroir aujourd’hui mythique et hors de prix.

Il n’est donc pas impossible que les vignes mosellanes qui regardent aujourd’hui vers le nord et qui sont souvent plantées de cépages d’entrée de gamme (rivaner, elbling) prennent prochainement du galon.

On ne niera pas que l’évolution du climat soit une thématique particulièrement angoissante, tant les efforts à produire pour le limiter sont en totale inadéquation avec les moyens mis en œuvre pour y parvenir. Mais au moins, grâce à la Moselle, on pourra ouvrir de bonnes bouteilles pour oublier la catastrophe à venir.

Vers des années humides encore plus compliquées?

Une étude menée par le pôle Alsace de l’Institut français de la vigne et du vin semble montrer que les maladies cryptogamiques comme le mildiou et l’oïdium (causées par des champignons) devraient être moins présentes dans les années à venir.

Sur le site internet de référence Vitisphère, l’ingénieure viticole Céline Abidon explique que la baisse de l’humidité et le raccourcissement des périodes de débourrement (sortie des bourgeons), de floraison et de véraison (mûrissage du raisin sur la grappe) donneront moins de chances à ces attaques.

Un bémol est à apporter. Dans la mesure où les précipitations seront vraisemblablement plus erratiques, il risque d’y avoir des années très compliquées (les plus arrosées) et d’autres plus faciles (les plus sèches).

Drosophila suzukii (une mouche qui pique les raisins, surtout les rouges) serait également plus présente lors des années humides, puisque sa température idéale de reproduction est de 25 °C avec une humidité supérieure à 70 %.

La maladie du bois noir et la flavescence dorée (deux très graves maladies du bois causées par des bactéries) pourraient être en recrudescence sous nos latitudes. Le bois noir se développe en période de sècheresse tandis que la flavescence dorée a besoin d’hivers froids et d’étés longs et chauds pour se propager.

Un commentaire

  1. Certes la température moyenne augmente, comme elle le fait depuis environ le début du XIXème siècle. Rien ou si peu à voir avec le CO2.
    Pour le moment, tant mieux pour nos vignerons qui feront de meilleurs vins. Pour ceux du sud, ils devront s’adapter, quitte à changer de culture.
    En Bourgone , pour le,moment, les vignerons arrivent à produire d’excellents vins, même si les quantités sont faibles (plus d’orages, de gel pintannier, etc.). POurvu que cela dure!