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Tom Wirion : «On voit un avenir positif pour l’artisanat»


«Notre profession est enracinée au Luxembourg. Les entreprises ne vont pas si vite délocaliser leur activité ou mettre la clé sous la porte», met en avant Tom Wirion. (Photo Hervé Montaigu)

La Chambre des métiers vient de fêter son centenaire. Le directeur général, Tom Wirion, retrace l’histoire de cette institution qui se prépare désormais à la transition énergétique. Il s’agira d’un nouveau virage majeur et prometteur.

Depuis sa création, la Chambre des métiers a contribué à structurer le secteur de l’artisanat pour lui permettre de se développer», peut-on lire sur le site internet consacrée aux 100 ans de la chambre professionnelle qui regroupe, aujourd’hui, quelque 8 500 entreprises et plus de 102 500 salariés, actifs dans l’alimentation, la mode, la santé, l’hygiène, la mécanique, la construction, l’équipement technique, la communication, le multimédia ou encore l’art.

Tom Wirion, le directeur général, revient sur l’évolution historique de la Chambre tout en dressant les perspectives d’un secteur face à un avenir prometteur.

Quel a été le contexte sociétal, en 1924, dans lequel la Chambre des artisans, devenue la Chambre des métiers, a vu le jour ?

Tom Wirion : La Chambre des artisans, tout comme les autres chambres professionnelles, a été créée à une époque où beaucoup de choses allaient mal, que ce soit au niveau de la société ou de la politique. La création de notre Chambre n’est pas allée de soi. Ce furent des fédérations déjà existantes qui ont poussé pour se réunir sous un même toit. L’objectif était d’obtenir plus de poids politique et, ainsi, de pouvoir mieux porter nos revendications et avoir un plus grand impact. Les initiateurs ont finalement obtenu gain de cause, avec le vote de loi portant création de notre propre chambre professionnelle.

Ce premier jalon posé, à quoi a ressemblé l’évolution de la Chambre représentant les intérêts de l’artisanat et des artisans ?

Il est intéressant de constater que la Chambre des artisans, devenue la Chambre des métiers en 1945, a toujours réussi aux moments clés de l’artisanat à forger, avec la politique, le bon cadre afin de permettre le développement de notre profession. Un exemple : en 1929, la mise en place du cadre légal sur l’apprentissage. En 1935, le brevet de maîtrise – qui reste jusqu’à ce jour le diplôme de référence dans l’artisanat – a obtenu un cadre légal. Et puis, un aspect marquant pour l’artisanat, c’est l’introduction du droit d’établissement, ancrant légalement l’obligation de disposer d’une formation pour devenir indépendant.

Le droit d’établissement a évolué en permanence, avec notamment l’introduction d’équivalences de diplômes et l’ouverture de l’artisanat luxembourgeois au marché commun européen. L’objectif était et reste que les entreprises artisanales disposent de la meilleure chance de succès afin que le secteur soit durable dans son entièreté.

Est-ce que le fait de lier formation et accès à la profession a connu le succès escompté ?

Nous voyons en ce qui concerne, par exemple, les faillites, une corrélation entre le niveau de qualification des dirigeants et les chances de réussite d’une entreprise. Cela est synonyme d’un entrepreneuriat durable. L’artisanat compte toujours de nombreuses entreprises familiales, dont, au moins, une cinquantaine qui sont aujourd’hui centenaires. Il s’agit d’un chiffre impressionnant.

Cette solide base posée, quels furent les autres tournants clés pour l’artisanat dans son ensemble ?

En 1945, la Chambre des métiers a obtenu une propre loi, avec notamment la mission de prendre des initiatives afin de soutenir activement l’artisanat. La Mutualité d’aide aux artisans, devenue la Mutualité des PME, est un exemple. Dans les années 50 et 60, avec l’industrialisation qui s’est accélérée, la Chambre s’est positionnée sur l’impact que pouvaient avoir l’arrivée de machines. La question fut de savoir si les machines allaient remplacer les artisans. Ce ne fut pas le cas.

Un service de rationalisation a été mis en place afin de montrer aux patrons, en tout cas les sensibiliser sur comment utiliser les machines, à la fois pour soulager le travail des artisans et rendre leurs entreprises plus productives. L’artisanat n’a pas disparu, mais peut depuis lors travailler autrement. Le menuisier n’était plus contraint de couper le bois à l’aide d’une simple scie. Le boulanger n’était plus forcé de porter lui-même les sacs de farine, mais une machine a pris le relais.

Créé entre les deux guerres mondiales, avec aussi, depuis le début du XXe siècle, l’essor de la sidérurgie, l’artisanat disposait-il aux débuts de la Chambre des métiers d’un autre statut, voire d’une autre estime qu’aujourd’hui ?

L’artisanat avait et a toujours une grande importance. Ce que l’on peut constater est que l’artisanat n’a jamais été un secteur économique qui s’est placé en toute première ligne. L’historien Benoît Majerus a rappelé, lors de la célébration de nos 100 ans, que le premier siège de la Chambre des métiers, dans la rue Glesener de Luxembourg-Ville, ne fut pas un palais, mais un bâtiment fonctionnel. L’artisanat fait partie intégrante de la société et de l’économie, sans se mettre en vitrine. Peut-être que le statut fut tout autre à l’époque, mais cela ne voulait pas dire que les artisans pouvaient vraiment en tirer profit. Le travail dans différents métiers était plus rude, car ils étaient encore privés de machines et d’autres outils qui rendent aujourd’hui la profession d’artisan bien plus simple et attrayante.

Êtes-vous satisfait du statut de l’artisanat au XXIe siècle ?

Notre secteur ne dispose pas forcément du statut qu’il mérite d’avoir, mais il existe des arguments qui me rendent optimiste que nous allons pouvoir, à terme, à nouveau attirer plus de personnes dans l’artisanat. Je fais allusion aux nouvelles technologies ainsi qu’à la digitalisation, qui ont déjà permis, et qui vont encore permettre, de mettre fin à des tâches plus pénibles à exécuter. Le métier devient ainsi aussi plus intéressant pour les jeunes générations.

Et puis, l’ADN de l’artisanat est depuis toujours la qualité et la durabilité. Notre empreinte carbone est assez limitée. Si l’on parle durabilité, il faut aussi souligner que l’artisanat est un des acteurs majeurs pour réussir la transition écologique. Sans nous, il ne serait pas possible de mener des rénovations énergétiques, installer des pompes à chaleur ou des panneaux photovoltaïques. La tradition doit faire place à l’innovation. On doit continuer à travailler sur l’image de l’artisanat. Nous pouvons ainsi soumettre aux personnes, et surtout aux jeunes, qui cherchent à donner un sens à ce qu’ils font, une série d’arguments. Il nous faut continuer à travailler de manière conséquente sur ces aspects, en ouvrant aussi la voie à des « Quereinsteiger« , soit des personnes qui viennent d’un autre secteur professionnel et qui décident de se lancer dans l’artisanat.

Si un élève est moins bon dans l’une ou l’autre matière, cela ne doit pas l’amener automatiquement vers l’artisanat

Votre Chambre mène des campagnes ciblées visant à mieux présenter les différentes dimensions de la profession d’artisan, aussi avec pour but d’attirer davantage de jeunes. Des résultats concrets se font-ils déjà remarquer sur le terrain ?

Depuis plusieurs années, la Chambre des métiers mène de manière plus intense et moderne sa campagne « Makers of Luxembourg« . Avec TNS Ilres (NDLR : l’institut de sondage national) nous avons mené, sur une période de deux ans, une étude pour savoir si les messages que l’on tente de véhiculer percutent chez les jeunes. Il est à constater que les choses bougent lentement. On compte refaire le même exercice d’analyse d’ici quelques années.

Néanmoins, on continue à entendre que l’artisanat devient et reste encore souvent un choix par défaut pour les élèves, en partie poussés par leurs parents à opter plutôt pour une carrière de fonctionnaire, de partir à l’université et de privilégier un métier intellectuel. Pouvez-vous confirmer cela ?

Oui, en ce qui concerne l’orientation scolaire, l’idée est toujours ancrée dans les têtes que l’artisanat reste un choix de carrière par défaut. Nos campagnes sont importantes, mais elles ne sont pas suffisantes. La Chambre des métiers ne peut ainsi que saluer le passage du programme gouvernemental qui prévoit une revalorisation du diplôme d’aptitude professionnelle (DAP), qui sera à l’avenir reconnu comme un diplôme de 1re, soit un véritable diplôme de fin d’études secondaires. Les jeunes intéressés à se lancer dans l’artisanat pourront ainsi disposer d’un double diplôme, censé aussi lever une certaine crainte, non justifiée toutefois, liée à privilégier une formation professionnelle à des études post-secondaires.

À quoi pourrait ressembler plus concrètement ce nouveau diplôme, mis en perspective par le nouveau gouvernement ?

Il nous faut continuer à agir de manière plus structurelle, avec les responsables politiques. Nous estimons que la bonne voie à suivre serait que l’Éducation nationale lance un projet pilote afin de mieux déterminer à quoi pourrait ressembler ce double diplôme 1re-DAP. Le modèle existe déjà dans d’autres pays européens. Je pense que cette nouvelle formation permettrait de rendre l’entourage des jeunes moins réticents et faire changer les mentalités. Ensuite, il faudra aussi se pencher sur l’orientation scolaire.

La Chambre des métiers va continuer à revendiquer, comme c’est le cas depuis de longues années, que dans l’enseignement, il faut cesser d’uniquement évaluer les élèves sur leurs défauts, mais de se focaliser davantage sur leurs qualités. L’orientation doit former un ensemble. Si un élève est moins bon dans l’une ou l’autre matière, cela ne doit pas l’amener automatiquement vers l’artisanat.

Vous venez de mentionner qu’il n’est pas justifié de penser que l’artisanat est un secteur peut-être plus fébrile que d’autres. Quels sont les arguments que vous pouvez avancer pour soutenir cette affirmation ?

Je reviens vers le virage énergétique qui s’accélère de plus en plus. Par rapport à toutes les facettes liées à la durabilité, l’artisanat est déjà maintenant, et sera aussi à terme, un acteur indispensable. Nos différentes entreprises auront des cahiers de commandes très remplis, en dépit des temps un peu plus difficiles que connaît actuellement l’économie nationale. En 2023, lorsque l’on a ficelé notre cahier de propositions, dans le contexte des élections législatives, la Chambre des métiers s’était donné le slogan #ZukunftHandwierk (NDLR : littéralement, en français, #AvenirArtisanat).

On voit vraiment un avenir positif pour l’artisanat, même si une série de conditions doivent être remplies. Mais le travail et la raison d’être des entreprises artisanales sont garantis. Donc, oui, si l’on s’oriente vers une carrière dans le privé, l’artisanat est un secteur plus solide que ne le sont peut-être d’autres. Notre profession est enracinée au Luxembourg. Les entreprises ne vont pas si vite délocaliser leur activité ou mettre la clé sous la porte. L’autre partie de notre ADN est la réflexion à long terme, ce qui, encore une fois, n’est pas forcément le cas dans d’autres branches économiques.

Repères

État civil. Tom Wirion est né le 1er janvier 1969 à Luxembourg (55 ans). Il est marié et père de deux enfants.

Formation. Après ses études secondaires à l’Athénée de Luxembourg, Tom Wirion met le cap sur l’université d’Aix-Marseille-III, où il décroche, en 1992, une maîtrise en droit. Il complète sa formation universitaire par un «Master of Arts in European Political and Administrative Studies» auprès du Collège d’Europe de Bruges (1993).

Juriste. En avril 1994, Tom Wirion est admis au barreau de Luxembourg. Il continuera à exercer comme avocat jusqu’en 1999.

Chambre des métiers. Tom Wirion fait en 1999 son entrée à la Chambre des métiers. Il occupe un poste de conseiller jusqu’en janvier 2014. Au fil des ans, il siège notamment à l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL) et au Conseil économique et social (CES).

Directeur général. Tom Wirion assume depuis le 1er février 2014 la fonction de directeur général de la Chambre des métiers. Elle représente 7 000 entreprises artisanales.

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