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Syndrome de Diogène : «On ne le croit pas, mais ça touche tout le monde»


Après avoir débarrassé les déchets, les déménageurs-nettoyeurs démontent entièrement la cuisine et ses meubles hors d’usage dans cet appartement. (Photos : claude lenert)

De plus en plus répandus au Luxembourg, les cas de syndrome de Diogène ne surprennent plus les employés des entreprises de vide-maison, appelés à la rescousse lorsque la situation l’oblige.

Une fois la porte de l’appartement entrouverte, un mince couloir résiste tant bien que mal aux piles de déchets qui remplissent le hall d’entrée. Un chemin qui, finalement, se perd parmi les déchets ou les vêtements entassés dans la cuisine, le salon et la chambre. «Il y en a plus que sur les photos», lance Zef à Béa, Fanny et Francesco. Ces derniers sont employés par l’entreprise de vide-maison Luxdébarras pour un service particulier : vider l’appartement d’une personne atteinte du syndrome de Diogène.

«C’est une maladie qui pousse les gens à vouloir tout garder et à accumuler le plus de choses possible», simplifie Zef, chef des opérations. L’accumulation d’objets n’est pas le seul facteur de ce trouble mental complexe. Appelé Diogène en référence au philosophe grec éponyme qui aurait vécu sans faire attention à sa propreté et aux autres, le syndrome concerne aussi une négligence de l’hygiène corporelle et domestique, un isolement social et le refus de tout soutien.

Ce jour-là, l’équipe de déménageurs intervient à la suite de l’appel d’un proche. «Parfois, on intervient aussi sur demande du syndicat de copropriété, d’un avocat ou de la Ligue luxembourgeoise d’hygiène mentale», détaille Aurélie Ghys, la fondatrice de Luxdébarras. Si l’activité principale de l’entreprise reste le vide-maison traditionnel, dont certains objets récupérés sont vendus au sein de sa brocante Luxpuces, les appels pour des cas de Diogène se multiplient. «Il y en a de plus en plus au Luxembourg, on en fait deux par mois en moyenne», confie Béa.

«Son urine et ses excréments au frigo»

Sur place, ils sont quatre afin de vider l’appartement de 40 m2 et, parmi eux, c’est une grande première pour Fanny, employée depuis deux mois. «On m’avait prévenue, donc ça va, je ne suis pas choquée et, apparemment, je ne suis pas à plaindre», relativise-t-elle.

Bien que la crasse ait recouvert les meubles de la cuisine, que les déchets alimentaires jonchent le sol et que la poussière tapisse le tout, ce n’est rien face à certains cas. «Le pire, à tel point qu’un employé m’a dit : « Faites ce que vous voulez, virez-moi, mais je ne peux pas », c’est une personne qui mettait son urine et ses excréments au frigo dans des pots», se rappelle Aurélie Ghys. Dans certains cas, la personne malade emporte chez elle les déchets des poubelles environnantes et «ce sont les voisins qui donnent l’alerte à cause de l’odeur», fait savoir Zef.

Pour son baptême, Fanny hérite d’un appartement sale, mais sans odeurs ni surprises. Dans le salon, un camion de vêtements semble avoir déversé sa benne. «Ce sont surtout des achats compulsifs, un vêtement sur deux que je ramasse est neuf avec son étiquette.» Après 30 minutes d’intervention, deux sacs de 15 kg, utilisés sur les chantiers, ont déjà été remplis. L’un pour les vêtements neufs, le second pour jeter les autres.

Dans la cuisine, Béa et Zef, eux, ne font pas le tri. La pièce ressemble à une poubelle ouverte, comme pour la majorité de leurs interventions. Boîtes de conserves ouvertes, emballages en carton, pots de yaourts, bouteilles de lait, coquilles d’œuf, chaque recoin en est recouvert.

Un mélange marron de graisse et de miettes de pain recouvre les plaques de cuisson et semble avoir coulé sur les meubles. «On ne réfléchit pas, on jette tout, et puis on démonte toute la cuisine et on passera un petit coup de balai à la fin.» Francesco, lui, déblaye un accès vers la chambre où l’on ne distingue plus le lit, caché par les papiers, les journaux et les vêtements.

Comprendre le syndrôme

Malgré les conditions de travail insalubres, la bonne ambiance règne entre les déménageurs-nettoyeurs. Les blagues fusent lors de la pause fraîcheur sur le balcon. «Si on croise un rat ? On fait un barbecue avec», plaisante Zef, qui essaye, en vain, d’allumer une radio afin de mettre de la musique. «On a besoin de ça, car sinon on est fatigués de voir toute cette saleté, cette poussière.»

Il avait quatre voitures de marque comme neuves devant chez lui, mais il dormait sur des journaux

Avec environ deux interventions de ce type par mois, les employés de Luxdébarras sont rodés. Le chantier qui se trouve derrière chaque porte ne les surprend plus. «Au début, on ne comprenait pas, on trouvait ça horrible que des gens fassent ça», dit Béa. «Mais après, on a appris que c’était une maladie et maintenant on comprend, ça ne nous fait plus rien», complète Zef.

Au plus près du syndrome, ils tiennent aussi à rappeler qu’il n’existe ni classe sociale ni profil type pour en être atteint. «On ne le croit pas, mais ça touche tout le monde.» Comme cet homme, qu’ils pensaient politicien : «Il avait quatre voitures de marque comme neuves devant chez lui, mais il dormait sur des journaux.»

Bien qu’ils se soient habitués, ce genre d’intervention occasionnelle laisse pourtant des traces chez eux. «Ce travail a changé ma mentalité, je n’achète plus rien au cas où, je jette tout et ma femme ne comprend pas», raconte Francesco. Même son de cloche pour ses collègues, comme Zef : «Les gens remplissent leur grenier, leur cave, mais moi, j’ai trop peur que ça déborde.»

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