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Scream queen : à corps et à cri


Adrienne Barbeau en plein cri, elle qui a notamment joué dans Swamp Thing de Wes Craven et le film à sketchs Creepshow de George A. Romero.

Halloween arrive avec son lot d’hémoglobine, de tueurs fous et d’héroïnes en détresse. La Cinémathèque de Luxembourg honore justement les plus célèbres d’entre elles, qui ont redéfini le film d’horreur et la représentation de la femme propre au genre.

Si l’on s’en tient au sens littéral du terme, une scream queen n’est autre qu’une reine du cri. Elle hurle, encore et encore, de plus en plus fort, à s’en décocher la mâchoire. Ce qui n’empêche pas son destin irréversible : se faire massacrer, à l’orée d’un bois ou dans une salle de bains par un tueur à la psychologie fragile, souvent armé d’objets tranchants.

Depuis que le genre horrifique existe, elle finit la plupart du temps les pieds devant. C’est dans son contrat. C’est aussi un peu de sa faute : on lui avait bien dit qu’il ne fallait pas essayer de retrouver Billy (parti chercher des secours depuis trois heures), seule et en pleine nuit, alors qu’un psychopathe rôde aux alentours.

Des bimbos devenues cultes

Mais la scream queen est comme ça, un brin écervelée et plutôt sexy, deux attributs qui collent assez bien à sa mission principale : finir en chair à pâté et plaire à un public essentiellement masculin et jeune. D’où ces affiches de films datant des années 70 et 80, à l’esthétique proche de la double page centrale de Playboy. La série B regorge de ces bimbos à demi-vêtues, peu pudiques, et aux braillements provoquant des acouphènes. Certaines sont même devenues cultes : Michelle Bauer, Brinke Steven et, en tête de liste, Linnea Quigley.

Celle-ci poussera le concept jusqu’à s’auto-parodier, comme dans le peu mémorable The Guyver (avec Mark Hamill quand même), où elle n’apparaît que le temps de pousser un grand cri – elle détient d’ailleurs le record du plus long enregistré au cinéma (90 secondes).

Les pionnières Fray Wray et Janet Leigh

«Les héroïnes du film d’horreur – genre déjà très codifié à la base – ont souvent été confrontées à des codes extrêmement restrictifs», explique Nicole Dahlen, qui a concocté le programme «Scream Queens» de la Cinémathèque de Luxembourg. Autant de «clichés et de stéréotypes» qu’il fallait «dépasser» afin de profiter de «la même diversité des rôles à jouer» que les hommes. «Tout comme la femme dans la société» finalement, conclut-elle. Face à ces emplois réducteurs, voire sexistes, et loin des hurlements des demoiselles en détresse, certaines performances d’actrices ont ainsi redéfini, voire réinventé le genre.

Historiquement, après la pionnière que fut Fray Wray (King Kong, 1933), suivie de la plus célèbre des victimes (sous la douche), Janet Leigh (Psycho, 1960), c’est The Exorcist (1973) qui va balancer un premier pavé dans la mare, pour une véritable expérience traumatique avec cette jeune femme qui souffre (au propre comme au figuré), ligotée sur son lit – un film qui sera nommé dix fois aux Oscars, dont pour le meilleur long métrage (une première pour un film d’épouvante) et va imposer la jeune Linda Blair comme icône populaire.

Mais si on ne devait en retenir qu’une, ce serait Jamie Lee Curtis (rappelons-le, fille de Janet Leigh), inoubliable dans Halloween de John Carpenter. «Le début d’un nouveau règne», lâche Nicole Dahlen, qui verra notamment Nancy Thompson échapper aux griffes de Freedy Krueger (A Nightmare on Elm Street).

Des femmes qui reprennent le contrôle

Jamie Lee Curtis va en effet donner de l’épaisseur à son personnage, Laurie Strod, qu’elle incarnera à sept reprises. Alors que le dernier volet de l’interminable saga «slasher» (NDLR : genre qui met en scène les meurtres d’un tueur défiguré ou masqué, qui s’en prend à un groupe de jeunes gens) est actuellement sur les écrans (Halloween Ends), celle qui déteste les films d’horreur expliquait en quoi son rôle a été déterminant : «On représente des femmes capables de surmonter des situations horribles, de reprendre leur destin en main.»

«Elle reste jusqu’à aujourd’hui la scream queen par excellence!», bondit la programmatrice, statut si besoin confirmé par la présence de l’actrice, aujourd’hui 64 ans, dans la récente série Scream Queens, dans laquelle elle brille.

Un genre de plus en plus progressiste

Au passage, Nicole Dahlen rappelle une citation de Lloyd Kaufman, fondateur et producteur de Troma Entertainement, une véritable machine à produire des films d’horreur : «Il ne faut pas seulement être attirante, mais avoir aussi un gros cerveau!»

Dans ce sens, à partir de la fin des années 70, de plus en plus de films d’épouvante vont montrer des femmes «dont le physique n’est plus de l’ordre du fantasme, mais de l’accessible, poursuit-elle. Elles vont faire preuve d’intelligence, portent des armes et les utilise, autant que leurs cris. Elles vont reprendre le contrôle et le pouvoir». Presque par accident, le genre horrifique va devenir moins superficiel dans ses visions féminines. Progressiste même.

Exit les anciennes formules, place au modernisme!

Il est bien loin le temps du cinéma muet qui, par définition, «ne pouvait même pas procurer aux femmes un cri d’horreur audible comme seule défense», prolonge avec justesse Nicole Dahlen. Aujourd’hui, c’est tout l’inverse : elles ont pris leur autonomie et triomphent souvent à la fin. Comment ne pas alors évoquer Neve Campbell et son alter ego, Sidney Prescott, héroïne de Scream et visage de la franchise initiée par Wes Craven.

L’archétype de la brave fille coincée et aseptisée qui, irrémédiablement, s’en sort face au Mal alors que tous les autres trépassent. «Sa prestation élève les anciennes formules à un stade de postmodernisme», enchaîne la programmatrice, pour qui le succès commercial du film (et des suivants) a «remis le genre sur le devant de la scène».

Il ne faut pas seulement être attirante, mais avoir aussi un gros cerveau!

Nouvelle génération

Forcément, ça a fait des petits et donné naissance a toute une nouvelle génération de scream queens : parmi elles, Jennifer Love Hewitt et Sarah Michelle Gellar, adolescentes stars de I Know What You Did Last Summer de Jim Gillespie (diffusé à la Cinémathèque). Et la liste est longue : citons notamment Anya Taylor-Joy, superbe dans The Witch avant qu’elle ne se mette à jouer aux échecs (The Queen’s Gambit); Sarah Catharine Paulson (American Horror Story); la sous-estimée Maika Monroe (It Follows); Mia Goth (Suspiria, X, Pearl) et la toute dernière en date, Jenna Ortega (Insidious : Chapter 2, le dernier Scream et le prochain en 2023). Sans oublier Lupita Nyong’o, première actrice afro-américaine à tenir le premier rôle dans le découpage en règle de zombies (Little Monsters), dans la foulée de sa performance remarquée dans Us de Jordan Peele.

Scream kings ou l’inversement des rôles

Oui, les temps changent, évoluent, grâce à des films pionniers et ses puissantes incarnations. Ce qui fait dire à Nicole Dahlen, à propos de son menu «Halloween» : «Oui, on peut dire que c’est une programmation avec une orientation féministe (…) Ces actrices ont eu un impact considérable dans le cinéma d’horreur, certes, mais aussi, pour certaines, une influence sur l’écriture des rôles féminins dans le genre. Toutes sont des icônes de la culture populaire : légendaires et également « bankables ». Elles ont ainsi pu acquérir du pouvoir.»

Fini le statut de victime consentante, place au «girl power»! De là à imaginer, dans un futur proche, un inversement total des rôles? «Le terme « scream kings », l’équivalent masculin des « scream queens », se répand de plus en plus, même s’il est beaucoup moins utilisé», confie la spécialiste. Pour s’en convaincre, il suffit de revoir l’intégrale de Buffy the Vampire Slayer, avec l’iconique Sarah Michelle Gellar (encore elle), «la plus « bad ass »» des tueuses (un «joyau dantesque» mis à l’honneur cet été à l’occasion d’un hors-série de l’excellente revue La Septième Obsession). Jusque-là, elle ne s’occupait exclusivement que des vampires. Mais les hommes sont d’ores et déjà prévenus.

Lundi 24 octobre (18 h 30)

Scream, de Wes Craven (1996)

Avec Neve Campbell, le visage de la célèbre franchise «slasher» qui a réinventé le genre de l’horreur.

Jeudi 27 octobre (20 h 30)

The Exorcist, de William Friedkin (1973)

Avec Linda Blair, enfant-star dont la performance flippante, nommée aux Oscars, a contribué à la révolution de l’horreur.

Samedi 29 octobre (20 h)

I Know What You Did Last Summer, de Jim Gillespie (1997)

Avec Jennifer Love Hewitt et Sarah Michelle Gellar, deux des reines (adolescentes) de l’épouvante les plus en vue au box-office de leur génération.

Dimanche 30 octobre (19 h)

Re-Animator, de Stuart Gordon (1985)

Avec Barbara Crampton, actrice culte et légende vivante qui a tout joué, et tout fait!

Dimanche 30 octobre (20 h 45) 

Halloween, de John Carpenter (1978)

Avec Jamie Lee Curtis, incontestablement la scream queen qui a connu le plus grand succès commercial et culturel dans l’histoire du genre.

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