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Sara Andjelkovic, slam dans l’âme


Mi-octobre, Sara Andjelkovic, 26 ans, est devenue la nouvelle représentante du «poetry slam» luxembourgeois. L’occasion de lever le voile sur une discipline encore peu connue du grand public, et fruit de nombreuses confusions.

Mardi soir, elle rentrait de Bochum, certes éliminée dès le premier tour du championnat germanophone, mais doublement heureuse : déjà pour avoir vu une femme s’y imposer parmi 120 participants (une première depuis 1999, selon elle). Ensuite pour s’être frottée au très haut niveau d’une discipline qu’elle pratique depuis 2015. Surtout que c’est en Allemagne que Sara Andjelkovic est tombée dans le «slam». Elle y a arpenté de nombreuses scènes, et du côté d’Heidelberg, sa ville d’études, elle a animé des ateliers d’écriture créative.

Revenue au Luxembourg il y a seulement deux mois, elle a signé son come-back de la plus belle des manières en remportant la troisième édition du championnat national. Une façon à elle de marquer son engagement auprès de la scène locale, comme auprès du Géisskan Kollektiv, son principal représentant qui revendique une bonne trentaine de membres. Pédagogue (elle cherche à intégrer l’enseignement en tant que professeure d’allemand), elle explique en détail ce qu’est cet art, rarement mis en lumière, avant le championnat européen qui se profile en janvier.

Avez-vous une définition de ce qu’est le « poetry slam »? 

Sara Andjelkovic : C’est une compétition entre des poètes, sans aucun autre attribut que le texte et la voix. Il est interdit d’utiliser des accessoires ou de la musique, par exemple. Ce n’est pas du théâtre! Après, le terme « poésie » est assez large : il y a en effet des rimes ou de la prose, mais aussi d’autres formes d’écriture, comme la satire, la comédie…

Un bon « slameur », c’est quoi, selon vous?

Il doit savoir jouer avec la langue, les mots… Mais aussi avoir une écriture subtile. Par exemple, lors des championnats nationaux du Luxembourg, un des participants a abordé le difficile problème des fausses couches. C’était à la fois touchant, réfléchi… et drôle! C’est un peu ça aussi un bon « slam » : aborder un thème difficile tout en le rendant accessible au plus grand nombre. Sans pathos.

La diction et la rythmique, ce sont également deux attributs importants, non? 

Oui. On n’est jamais loin de la performance. Certains « slameurs » apprennent même leur texte par cœur, gommant alors la frontière entre eux et le public. C’est un plus!

Comment y vient-on?

Personnellement, j’ai découvert le « poetry slam » à l’école. C’est notre professeur d’allemand qui a proposé une semaine de travail autour de la discipline. J’ai trouvé ça satisfaisant à plus d’un titre : d’abord, il offre une autre manière d’écrire, d’être créatif. Ensuite, c’est un art qui se partage. Je trouve en effet ça dommage de garder un texte dans ses cahiers, caché au milieu des pages. Là, il vit, il s’échange! Et quand quelqu’un vient vous voir pour vous dire que vous avez mis des mots sur ses sentiments, c’est fort. Le « slam », on ne le fait pas pour soi, mais pour tout le monde!

À quoi peut-il servir?

À se sentir mieux au milieu des autres, à raconter ce qu’on a sur le cœur, à être moins seul aussi… Et les échanges avec les autres sont toujours très nourrissants. Créer et partager directement quelque chose, donner à réfléchir, c’est gratifiant. Et c’est une petite victoire quand on arrive à faire changer d’idée quelqu’un qui nous écoute. Même si ce n’est qu’une impression (elle rit).

Au Luxembourg, la discipline est défendue depuis des années par le Géisskan Kollektiv. Quel est son rôle? 

Il y a trois maisons actives au Luxembourg en la matière : les Rotondes, la Kulturhaus (Niederanven) et Prabbeli (Wiltz). Mais quand elles organisent des « poetry slams », elles invitent de grands noms européens ou internationaux. Mais ce qui est bien pour le public ne l’est pas forcément pour les locaux, qui se retrouvent alors plongés dans le grand bain face à des gens expérimentés, des professionnels. De quoi être démoralisé… Notre objectif, avec ce collectif, c’est d’encourager les jeunes à écrire, de les préparer à travers des ateliers et de les faire monter sur scène à travers des compétitions plus condensées. Disons, à leur portée.

Peut-on parler alors de communauté?

Oui, comme pour toutes les formes d’art plus réduites. Et surtout, on ne peut rien faire tout seul! Dans ce sens, il faut saluer l’énorme travail de Bob Reinert, sans qui la discipline serait restée anonyme au pays. Il sait organiser, modérer les tournois, développer un réseau…

Concrètement, sur scène, comme ça se passe?

On est une petite dizaine à présenter un premier texte durant six minutes. Plusieurs langues sont admises, bien sûr. Et les trois meilleurs se retrouvent en finale. Il faut également préciser que c’est le public qui vote, soit par applaudimètre, soit par un système de points.

On parle souvent de « battle ». Mais ces tournois se déroulent dans une ambiance bon enfant, non? 

Oui, la compétition n’existe pas vraiment. Derrière le rideau, on se moque bien de qui va l’emporter au final. Être là, ensemble, c’est le plus important. On est une famille. Pardon, une « slamily »!

Vous écrivez en allemand. Est-ce une langue facile à mettre en bouche? 

À mes yeux, elle souffre d’une mauvaise réputation. C’est vrai, elle est plus dure à manier en termes de prononciation. Elle nécessite des pauses, des respirations… Par exemple, elle coule moins que le français, où les termes se connectent les uns avec les autres. Mais parallèlement, elle permet plus facilement de jouer avec les rimes et le sens des mots, voire d’en inventer de nouveaux. Moi, en tout cas, ça m’amuse!

L’écriture est-elle une pratique courante chez vous?

J’écris tous les jours. Parfois une seule phrase, ou quelques-unes. C’est un besoin. Disons que je recycle beaucoup mes textes : ils remontent à la surface, je les reprends, les développe, les façonne pour la scène ou, parfois, je les oublie. Il m’est aussi arrivé d’écrire pour une société de production de vidéos, qui m’a commandé de petits textes pour alimenter ses réseaux sociaux. Mais franchement, c’est moins fun!

Quels sont les sujets qui vous animent?

J’aborde surtout le mélange de cultures et le passé d’immigrés de mes parents, d’origine serbe. Ce sont des thèmes personnels, de l’ordre de l’intime, mais qui trouvent étonnamment des échos réguliers auprès du public. À l’avenir, j’aimerais aussi m’attaquer à des sujets plus dans l’air du temps.

Le 13 octobre dernier, vous avez été élue « championne nationale ». Qu’est-ce que cela vous a fait? 

J’étais heureuse! Et j’étais aussi curieuse d’aller aux championnats en Allemagne, de découvrir le niveau de la compétition, de me frotter à d’autres cultures, à d’autres sensibilités. Même le Liechtenstein était de la partie!

Vous êtes aussi la première femme à remporter ces championnats du Luxembourg. Est-ce un statut à défendre?

Les stéréotypes disent que ce sont les femmes qui écrivent le plus, qui sont aussi plus sensibles à la poésie. Mais où sont-elles alors? Car les hommes restent majoritaires dans le « poetry slam ». On a eu une grande discussion à ce propos durant les championnats nationaux. On va chercher à y remédier, à rendre cette scène plus équitable. J’espère en tout cas, à mon humble niveau, avoir posé une première pierre. À l’avenir, il va falloir se serrer les coudes!

Comme « trophée », vous avez reçu un joli arrosoir. Quelle en est la signification? 

Le terme « géisskan », en luxembourgeois, signifie « arrosoir ». Il symbolise le geste de chérir et prendre soin d’une petite plante. En somme, faire grandir la scène locale. Moi, et les autres!

Jusqu’où comptez-vous alors « pousser »? 

(Elle rigole) Le plus haut possible! M’établir d’abord comme poète et « slameuse », au-delà des frontières du Luxembourg. Et écrire un roman dans un futur proche, même si cela réclame du temps et de l’endurance. C’est mon rêve ultime!

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