Accueil | A la Une | Santé financière de Luxair : «Le risque est réel», estime le directeur 

Santé financière de Luxair : «Le risque est réel», estime le directeur 


Pour Gilles Feith, Luxair doit absolument changer de modèle économique, car celui qui est en place «ne marche pas».

Face aux critiques et aux tensions sociales qui secouent Luxair, le directeur général, Gilles Feith, s’explique, et aborde les défis auxquels la compagnie aérienne est confrontée, dont le manque d’investissements et la concurrence des low cost.

À l’issue de la réunion du comité tripartite Aviation lundi, qui a acté la fin des mesures de crise et du plan de maintien dans l’emploi à partir du 1er janvier 2023, le directeur général de Luxair, Gilles Feith – qui n’avait pas donné suite à nos demandes d’interview ces dernières semaines, refusant même de répondre à nos questions lors d’un point presse au ministère lundi matin – nous a finalement donné rendez-vous l’après-midi même, au siège du groupe à Munsbach.

Alors que les syndicats s’attendaient à devoir batailler sur ces points, vous avez proposé de mettre fin au chômage partiel et au gel des salaires. Qu’est-ce qui a déclenché cette décision? 

Gilles Feith : Nous avions déjà dit que nous n’aurions pas besoin de chômage partiel en juillet, août et septembre, et en octobre non plus, dès qu’on a disposé de la visibilité suffisante. Avec le plan de vols de cet hiver qui est en train d’être finalisé, on est certain que le chômage partiel conjoncturel ne sera pas nécessaire.

On s’est dit que le plan de maintien dans l’emploi pouvait s’arrêter au 1er janvier, et notre proposition a été très bien accueillie. Dans ce contexte, il était incontournable que le gel des salaires s’achève aussi. Toutefois, il a été convenu que si la situation devait se détériorer – et ce n’est pas impossible, vu les circonstances – on pourra de nouveau y avoir recours.

Quel coût représente le dégel des salaires?

Environ 4,5 millions d’euros. Mais peut-on économiser de l’argent qui appartient aux salariés, et qui a été donné par les salariés dans le contexte spécifique de la crise du covid, en accord avec les syndicats? Nous avons reconnu que la situation dans laquelle cette mesure avait été introduite n’existe plus aujourd’hui.

Si demain, d’autres mesures liées à la crise de l’énergie doivent être prises, il y aura de nouvelles discussions.

Ce n’est donc pas lié au malaise des salariés ou à la surcharge de travail qu’ils décrivent.

Il y avait un rythme assez élevé en été, comme partout dans l’aviation en Europe, mais Luxair n’a pas été à la source de tous ces problèmes-là. Nos plans de vols ont été impactés par la situation dans les autres escales.

En moyenne, par rapport à 2019, l’activité de cette année est en retrait, y compris pour la saison d’été. Le rythme a été dur pour les collaborateurs présents parce que l’absentéisme est monté très haut. D’ailleurs, c’est toujours le cas, même si ça s’est légèrement amélioré.

Cet absentéisme, à quoi est-il dû selon vous?

C’est difficile à dire, je ne sais pas. On doit regarder ça en détail. Il faut savoir que l’activité, bien qu’inférieure à 2019, est supérieure à 2020 et 2021, et le retour à la normale a été un défi pour toutes les entreprises.

Le conseil d’administration vient de nommer un médiateur pour restaurer le dialogue social. Comment appréhendez-vous cette médiation?

Je suis très content car il y a des doléances de part et d’autre, mais j’estime qu’il faut maintenant avancer pour moderniser cette firme, avant qu’elle ne connaisse le même sort que toutes les autres compagnies aériennes en Europe.

On se fait attaquer pour essayer de moderniser et de faire bouger la société

Qu’est-ce qui a grippé le dialogue en interne?

Je ne sais pas pour quelles raisons un dialogue social peut se gripper, mais je peux m’imaginer que si les doléances ne sont pas conciliables de part et d’autre, alors il faut en discuter. Je pense que, de part et d’autre, une vue externe peut constituer un atout.

Luxair fait face à des difficultés de recrutement et des départs nombreux du personnel expérimenté…

(Il coupe) Je ne suis pas du tout d’accord de généraliser cela. Je ne sais pas à quoi vous vous référez, il faudrait m’expliquer, car l’effectif est quasiment le même qu’en 2019.

Les derniers rapports annuels font état de 331 départs de CDI depuis 2020, avec une certaine ancienneté, ce que confirment des salariés de différents services.

On a perdu beaucoup de gens qui sont partis à l’État ou dans le secteur de la santé. Mais je n’ai pas d’exemples concrets de ce que vous dites. C’est ça qui me gêne un peu : une voix parmi 3 000 personnes ne peut pas être représentative.

On a des départs, on a des congés sans solde qui ne sont pas revenus, on a des gens qui sont partis pour avoir un modèle social encore meilleur que celui de Luxair, et l’aviation n’est pas le secteur le plus stable ces temps-ci. Je lis aussi dans la presse que les vagues de départ semblent se généraliser dans les entreprises. Nous sommes à un niveau assez normal.

Y a-t-il des mesures mises en place pour stimuler le recrutement? 

En termes de recrutement, nous sommes assez chanceux : on a reçu près d’une centaine de candidatures pour un poste de DRH qu’on vient d’engager. Nous avons aussi ouvert des CDI pour les cabin crew. Je pense que Luxair, qui dispose de l’une des meilleures conventions collectives du pays, est encore très attractif. Justement aussi parce qu’il y a des heures de dimanche et des horaires décalés. D’autres recherchent davantage de stabilité, voilà.

En juillet dernier, les syndicats dénonçaient une «réduction des coûts à tout prix qui pousse le personnel à ses limites». Est-ce qu’en tant que directeur…

(Il coupe) Ça m’a surpris aussi cette affirmation.

N’aviez-vous pas d’autre choix? 

On aurait simplement pu annuler des vols : ce qui a été proposé aux syndicats, mais ils ont dit non, on ne va pas faire ça, car on aura un impact très conséquent, notamment sur les pilotes. Nous avons toujours cherché à voler au maximum, et cela a bien marché jusqu’ici.

Lors de la manifestation des salariés ce lundi, nous avons vu, sur des pancartes, des mots très durs, qui vous sont attribués. Comprenez-vous qu’ils aient pu heurter, et les regrettez-vous?

De quoi parlez-vous?

Plusieurs pancartes reprenaient, ce lundi, des termes utilisés par le directeur de Luxair. Photo : Fabrizio Pizzolante

Low performers, ou shithole pour désigner le Cargocenter.

Oui, le shithole j’y tiens, je l’ai expliqué à de nombreuses reprises, et je regrette de voir comment c’est sorti du contexte. Est-ce que le terme en lui-même est le bon, ça on peut en discuter, mais l’explication est simple : en 30 ans, pas un euro n’a été investi dans le cargo, on se retrouve donc aujourd’hui à assurer la manutention d’un million de tonnes de marchandises sans système informatique dédié, c’est incroyable. Je voulais dire que si on n’avait pas manqué d’investir quand on avait de l’argent, on ne serait pas dans cette situation.

Je ne suis ici que pour une chose : m’investir dans le futur de la société. Et croyez-moi, les attaques personnelles contre le management… (il s’interrompt) C’est le management qui a ouvert toutes ces nouvelles routes, fait toutes ces nouvelles choses. Or, on se fait attaquer pour essayer de moderniser et de faire bouger la société dans la bonne direction.

Comme le ministre l’a expliqué, ni l’État, ni quelqu’un d’autre ne peut aider Luxair, si elle-même ne trouve pas le moyen de sortir de cette crise. Luxair n’existera plus si nous ne sommes pas capables d’investir et de nous autofinancer.

Luxair souffre d’un manque d’investissements, et d’une situation concurrentielle qui devient très difficile à résoudre, notamment face aux compagnies low cost.

Où en est la santé financière de l’entreprise?

Le résultat opérationnel sera un zéro noir à mon avis, mais c’est encore loin : si on a une nouvelle vague de Covid, ce ne sera pas le cas. Quant aux dividendes de Cargolux – 70 millions de dollars perçus cette année – j’aimerais ne pas avoir à y toucher, sinon, comment investir dans le renouvellement de la flotte? Même si avec cette somme, on ne fait grand-chose dans l’aviation : le refleeting se chiffre plutôt entre 500 millions et un milliard.

Le risque est réel : si Luxair n’arrive pas à avoir un modèle propice, ça ne va pas aller. Je suis d’accord que ça doit se faire avec les gens, mais ça ne va certainement pas aller en faisant moins, en innovant moins ou en gardant le modèle en place, car on a déjà toutes les preuves qu’il ne marche pas. Depuis des années d’ailleurs.