La Croix-Rouge luxembourgeoise a organisé un convoi en Moldavie, la semaine dernière, pour acheminer des kits d’hygiène aux réfugiés ukrainiens, ainsi que de l’aide aux familles qui les accueillent. Nous étions de ce voyage au bout de l’Europe.
Le jour se lève timidement, moi aussi. Autotest négatif. Soulagement. Bagage plié depuis la veille. Il pèse très léger : deux pulls, deux tee-shirts dont un à manches courtes, deux pantalons. Blouson et baskets.
La tenue des six prochains jours n’aura rien d’extravagant. La trousse de toilette est tout aussi réduite au strict nécessaire. La Moldavie ne rimera pas avec coquetterie. Ce n’est de toute manière pas pour des vacances que nous nous rendons là-bas, aux portes de l’Ukraine.
Café avalé pour le réveil, jus d’orange pressé pour l’énergie. Cigarette déjà fumée. La première d’une longue série. Il est l’heure de démarrer, direction le Findel. En ce lundi férié au Luxembourg, le rêve de tout frontalier se réalise sous mes yeux qui peinent encore à rester grands ouverts. L’A31 et l’A3 sont quasiment désertes. Arrivée à l’aéroport.
Ce n’est pas à bord d’un avion que nous embarquons, mais d’une camionnette, un Caddy Volkswagen, siglée du logo de la Croix-Rouge luxembourgeoise. Elle nous conduira durant ces deux journées qui nous séparent de Chișinău, la capitale de ce petit pays enclavé à son tour menacé par la colère russe.
L’utilitaire est là, plein à craquer du matériel à apporter sur place, stationné au kiss and fly. Je n’embrasserai personne ce matin-là.
Check poing avec Myriam Jacoby, responsable de la mission opérationnelle à laquelle je vais participer. Décollage immédiat. Façon de parler, le vol sera pour le retour au Grand-Duché. Il est 7 h 30 et grand temps de prendre la route pour quelque 2 400 kilomètres.
Après lui, le déluge de feu… Nous apprenons, au gré des informations captées à la radio, que le président n’a pas officiellement déclaré la guerre, ni décrété la mobilisation générale.
Un répit tout relatif, puisque l’on entend qu’une salve de missiles a été tirée depuis la Crimée sur Odessa. Nous nous en approcherons quelques jours plus tard, en suivant une évacuation de personnes handicapées vers un hôpital moldave. Pour l’instant, nous traversons l’Allemagne. Pas un tronçon d’autoroute n’échappe aux travaux. Pire qu’au Luxembourg, c’est dire !
Ça laisse le temps de profiter de la vue, des vallées de la Rhénanie-Palatinat, de ses coteaux généreux et des champs… de panneaux photovoltaïques à perte de vue. Les kilomètres défilent, les paysages aussi. L’Autriche, ses maisons atypiques posées sur le Danube. Sa forêt d’éoliennes et ses palissades antibruit qui s’étirent à l’infini le long des deux voies.
Puis la Hongrie et son ancien poste-frontière sorti tout droit d’un décor de film soviétique. Du genre de ceux où les Russes ont le beau rôle, par exemple. Quelques bâtisses chaleureuses plantées au cœur d’une campagne verdoyante lui succèdent.
Et ce tapis d’asphalte noir à faire pâlir les Ponts et Chaussées se déroule sous le châssis, sans un nid-de-poule. On glisse sur du velours dans ce plat pays qui vit essentiellement de l’agriculture.
On se rend compte du chemin qu’ont dû faire les Ukrainiens pour venir
La nuit est tombée d’un coup, comme un rideau lourd. Au loin, Budapest scintille de toutes ses lumières. Le compteur indique 1 200 kilomètres parcourus. Il en reste tout autant. La lassitude commence à disputer à la fatigue.
«Comme ça, on se rend compte du chemin qu’ont dû faire les Ukrainiens pour venir jusque chez nous», me fait remarquer Myriam. Elle a entièrement raison, nous ne connaissons pas la douleur ni la galère de l’exil. Le déchirement d’avoir tout quitté, sans regarder dans le rétro, avec les valises remplies d’angoisse et l’espoir incertain d’une destination plus sereine.
Le voyage dans ce sens n’est en rien comparable. Ne serait-ce qu’en termes de conditions climatiques. Le printemps est bel et bien là, avec sa douceur et ses couleurs. Veaux, vaches, moutons côté roumain.
Ambiance radicalement différente de la voisine hongroise. Les grandes enseignes occidentales, McDonald’s et autres Ikea, ont disparu des zones commerciales plus rares. Le soleil inonde d’immenses étendues de colza d’où jaillissent des coquelicots çà et là. Et les blés sont déjà mûrs.
La voie rapide s’arrête brutalement. Il faut prendre les nationales étroites qui serpentent dans les villages bordés par les Carpates dont on aperçoit des cimes enneigées. Spectacle grandiose et vertigineux.
Quelques maisonnettes de briques rouges, des échoppes de fortune au détour des virages. On y vend des miches de pain, des pots de miel, des sacs de patates. Le bitume appartient à tout le monde, surtout aux plus téméraires. Les usages prévalent sur les règles. Point commun à tous les automobilistes d’Europe d’ouest en est, le téléphone au volant. Une infraction universelle !
Il est en fait beaucoup plus simple de se déplacer par les airs en Roumanie, chaque centre urbain disposant d’un aéroport. On découvre un charme insoupçonné à ces patelins d’une autre époque. On y croise des femmes en habit traditionnel, des bergers qui font paître leurs troupeaux, des paysans en charrettes tractées par des chevaux.
De majestueuses églises orthodoxes aux dômes argentés ou dorés dominent des baraques tombant en décrépitude. Le culte, c’est visiblement sacré. Des calvaires gardent presque chaque coin de rue. On sillonne d’improbables bourgades, tellement reculées qu’elles laissent une impression de bout du monde.
S’il faut attendre des heures ou des jours, alors nous attendons
Au troisième jour, nous avons pris du retard en raison de ralentissements logistiques. Nous voici à Albita, dernier rempart par-delà la chaîne de montagnes. Encore de longues heures en transit, les lenteurs administratives ne connaissent décidément pas de frontière. Nous y croisons par hasard les deux semi-remorques affrétés en parallèle par la Croix-Rouge luxembourgeoise, dont les chauffeurs sont bloqués dans un chapelet de poids lourds.
Myriam parvient à leur faciliter le passage et leur éviter deux jours d’attente, après bien des démarches laborieuses et des imprévus. Les douaniers sont tatillons et pas franchement au fait de leurs propres procédures… Pas spécialement aimables non plus.
Des discussions sans fin pour un seul document à imprimer. Il y a bien un moyen d’avancer plus vite, à condition de se conformer aux pratiques locales… Les bakchichs sont monnaie courante. Mais ça, «c’est contraire aux valeurs de la Croix-Rouge. S’il faut attendre des heures ou des jours, alors nous attendons», souligne Myriam. Effectivement, nous attendrons notre tour jusque tard dans la soirée.
Bunã ziua, Moldova ! Une centaine de kilomètres plus tard, et rien d’autre qu’un désert de végétation alentour, Chișinău. Enfin. En une seconde, on fait un bond dans le temps présent. De larges avenues encadrées par des bâtiments massifs, de jolies terrasses de cafés illuminées de guirlandes.
Des décorations partout, même sur les arbres. Une vie nocturne et festive en pleine semaine. Une jeunesse parfaitement anglophone. Les enseignes occidentales sont revenues. Ici s’achève le road trip vers la terre promise à notre patience mise à rude épreuve. Et ici débute réellement la mission qui nous a guidées jusque-là, sur cette terre d’accueil de près d’un demi-million de réfugiés.
Découvrez à présent la seconde partie de notre reportage en Moldavie, à la frontière ukrainienne, où le Comité international de la Croix-Rouge a assuré un transfert de personnes à mobilité réduite depuis Odessa jusque dans un hôpital de Chișinău.
À lire juste ici ➡ [Reportage] À la frontière ukrainienne, le long chemin de l’exil
Dans notre Caddy Volkswagen, des vêtements destinés aux personnels de secours et de la protection civile. Les deux semi-remorques transportaient, eux, près de 3 000 kits d’hygiène. Toutes les marchandises ont été livrées dans un entrepôt de la banlieue de Chișinău, avant d’être dispatchées dans les centres gérés par la Croix-Rouge moldave.
Ces kits permettent de tenir environ un mois, mais en ce moment, les volontaires distribuent entre 300 et 400 colis par jour. Au pic de la crise, ils sont montés à 750.
Les achats sont financés par les dons pécuniers faits à la Croix-Rouge, laquelle peut ainsi adapter les produits et quantités nécessaires. Ce qui est bien plus utile que des dons en nature. «Au début du conflit, les gens ont spontanément manifesté leur solidarité et certains ont pris l’initiative d’apporter directement des affaires sur place.
Mais ils n’avaient pas les autorisations nécessaires pour passer les douanes et beaucoup ont abandonné ces sacs le long des frontières. Les ONG étaient débordées», explique Myriam. «Les dons in-kind pénalisent aussi l’économie locale car en Ukraine, de nombreux commerces et entreprises fonctionnent toujours.»
Pour faire un don en ligne, rendez-vous sur le site croix-rouge.lu, ou par virement bancaire sur le compte IBAN LU52 1111 0000 1111 0000 ; référence : Urgence Ukraine.
Alexandra Parachini