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Association ProVelo : «Il faut enlever de l’espace aux voitures»


L’absence de contrôles pour vérifier le respect des 1,5 mètre lorsqu’une voiture double un vélo fait polémique. «On ne peut pas tolérer qu’une disposition du code de la route ne puisse pas être contrôlée», assure Philippe Herkrath. (photo Fabrizio Pizzolante)

Philippe Herkrath, le vice-président de l’association ProVelo, souligne l’importance du vélo si l’on veut éviter que la mobilité s’effondre dans les zones urbaines. La promotion du deux-roues passe par la mise en place d’une infrastructure adéquate et sécurisée.

Ils étaient près de 800 cyclistes à manifester le 4 juin pour réclamer un réseau cyclable digne de ce nom et une meilleure cohabitation dans le trafic routier. Lors de la pandémie, un grand nombre de personnes ont découvert le vélo comme moyen de locomotion. Selon Philippe Herkrath, activiste à ProVelo, il est urgent que les responsables politiques aient le courage nécessaire de mettre les deux-roues sur un pied d’égalité avec les quatre-roues.

Quelle place le vélo prend-il aujourd’hui au Luxembourg dans la mobilité, voire dans la société ?

Philippe Herkrath : Le vélo a trouvé sa place comme moyen de transport au quotidien. Ces dix dernières années, on a pu constater une hausse du nombre des usagers de l’ordre de 10 % par an. Cette année, le nombre de cyclistes pourrait faire un bond de 60 % par rapport à 2021. Il semble donc que les gens qui ont découvert ou redécouvert le deux-roues pendant la pandémie continuent à rester en selle. On peut aussi voir que le vélo joue un rôle prépondérant dans le Plan national de mobilité 2035 (PNM), surtout pour parcourir les petites distances. Dans des villes comme Luxembourg ou Esch-sur-Alzette, il est indispensable de recourir au vélo pour éviter la paralysie.

Au-delà du nombre accru de gens qui ont enfourché un vélo, quelles sont les leçons que l’on peut tirer du boom de la pandémie ?

La pandémie a accéléré les choses. À l’étranger, on a pu constater la mise en place de pistes cyclables pop-up. On a réalisé que des infrastructures adaptées peuvent être rapidement créées sans devoir procéder, en amont, à de longues planifications. Nous souhaitons que cet enseignement soit aussi tiré davantage au Luxembourg.

Le succès du vélo lors de la pandémie n’a-t-il pas pris un peu de court les responsables politiques ?

Notre association revendique et promeut depuis de longues années des infrastructures adaptées. Le vélo est le moyen de mobilité du futur et il nous faut donc investir davantage dans des pistes cyclables sécurisées. Tout le monde en est conscient et les études le démontrent aussi : avec des infrastructures adaptées, on amène plus de gens à utiliser le vélo. Pour le moment, et en dépit du boom actuel, on constate que beaucoup hésitent encore, pour des raisons de sécurité, à se déplacer à vélo en ville. Je pense que, désormais, les responsables politiques reconnaissent l’importance du vélo, mais ils peinent encore à dégager l’espace pour créer des infrastructures sécurisées.

Pendant très longtemps, les pistes cyclables ont été délimitées par un simple marquage au sol ou des poteaux en plastique. S’agit-il d’une erreur de planification ?

Il est quelque part normal qu’avec un nombre limité de cyclistes, on hésite davantage à enlever de l’espace à la voiture pour mettre en place une piste cyclable sécurisée. Par le passé, les responsables politiques avaient peut-être aussi plus de doutes sur le rôle du vélo dans la mobilité de demain. On a donc réalisé ce qui semblait réaliste, mais aujourd’hui, avec le nombre d’usagers qui explose et le rôle accordé au vélo pour assurer la mobilité à l’horizon 2035, il faut enlever de l’espace à la voiture et le mettre à la disposition des cyclistes et piétons.

Le fait d’accorder moins d’espace aux automobilistes est-il devenu audible ?

Il n’est tout simplement plus possible de forcer les voitures et les vélos à partager une même chaussée ou, dans le cas des vélos et des piétons, un même trottoir. Il nous faut des infrastructures séparées, sécurisées et de qualité.

En zone urbaine, les efforts visant à offrir plus de place aux vélos s’intensifient. Dans le même temps, ProVelo et d’autres militants dénoncent régulièrement des couacs, comme les rues cyclables à Luxembourg où les automobilistes ne respectent pas la priorité réservée aux vélos. Au Limpertsberg, une nouvelle piste séparée, mais partielle, est à nouveau accaparée par les voitures en tant que lieu de stationnement. Comment expliquer cela ?

Il n’est pas évident de donner une explication. L’échange avec les responsables communaux est présent. Pour ce qui est de la rue Pasteur au Limpertsberg, nous avons clairement fait comprendre aux édiles qu’il s’agit d’une mauvaise solution. On se réjouit bien entendu que des efforts soient entrepris pour supprimer des emplacements de stationnement. Dans ce cas précis, cyclistes, piétons et vélos continuent toutefois d’entrer en conflit. À nos yeux, il aurait été préférable de barrer l’ensemble de la rue Pasteur au trafic automobile. Le courage politique pour faire ce dernier pas semble encore faire défaut.

La piste cyclable construite sur le plateau du Kirchberg peut-elle servir de modèle pour réaliser de futurs projets ?

La piste qui jouxte le tracé du tram est une très bonne solution. Il importe de disposer d’une piste cyclable continue, clairement identifiable et séparée du reste du trafic. Néanmoins, il faut toujours tenir compte du type d’infrastructure routière qui se présente à vous. Le très large boulevard Kennedy n’est pas comparable à ce que l’on trouve dans les quartiers résidentiels. Comme cela est mentionné dans le PNM, il faut plutôt miser sur des solutions où la voiture ne peut plus se déplacer d’un point A vers un point B en empruntant le chemin le plus court. L’accès au quartier doit être réservé à ceux qui y habitent ou qui s’y rendent spécifiquement. Cela permettrait de calmer le trafic automobile et de dégager, donc, un espace suffisant pour les piétons, les enfants qui jouent dans la rue et aussi les vélos.

Une de vos revendications est aussi la généralisation des 30 km/h dans les quartiers urbains. Pour favoriser donc cette cohabitation ?

La réduction de la vitesse autorisée entraîne, en effet, un apaisement du trafic. Les dangers sont réduits. Le trafic de transit diminue. Les infrastructures doivent toutefois suivre. Pour l’instant, nous avons encore souvent la situation absurde suivante : dans les zones 30 aux chaussées assez larges, on peut continuer à foncer et la police affirme alors ne pas vouloir contrôler la vitesse, car l’infrastructure n’est pas adaptée à un respect des 30 km/h. Le jeu qui consiste à se rejeter la responsabilité pénalise les usagers vulnérables de la route.

Le bilan des accidents de la route survenus en 2021 fait état d’une hausse de 10 % des cyclistes grièvement blessés. Commente expliquer ce chiffre ?

Je pense que le nombre plus important de cyclistes qui circulent sur les routes contribue à ce bilan. Les gens qui ont redécouvert le vélo manquent aussi encore d’exercice et roulent donc avec moins d’assurance. Vu la petite taille du Luxembourg, les fluctuations sont importantes. En 2020, on a eu à déplorer trois accidents mortels, mais aucun en 2021. En fin de compte, on peut retenir que le plus grand nombre de cyclistes, combiné au manque d’infrastructures adaptées, augmente le risque de conflits entre usagers de la route.

«Il n’est tout simplement plus possible de forcer les voitures et les vélos à partager une même chaussée»

La police a mené en 2021 une grande campagne de sensibilisation pour le respect mutuel sur la route. Où se trouve le plus grand problème? Dans le chef des automobilistes ou du côté des cyclistes ?

Le problème de cohabitation est réel. Il existe des cyclistes qui empruntent les trottoirs en pensant que cet espace leur appartient. Même si je peux en partie comprendre que le cycliste préfère rouler sur le trottoir, on ne peut pas cautionner qu’il ne respecte pas les piétons. Il faut aussi admettre que les cyclistes ne respectent pas toutes les règles sur la route. Les cyclistes ne sont donc pas à exclure du phénomène plus généralisé des infractions au code de la route. Le message du respect mutuel n’est certainement pas mauvais. Néanmoins, on souhaiterait que l’accent soit encore davantage mis sur le fait qu’il y a une énorme différence entre mettre en danger une personne à bord d’un véhicule pesant deux tonnes et le faire avec un véhicule pesant à peine 10 kg.

Dans la réponse à une récente question parlementaire du Parti pirate, le ministre Henri Kox précise que, lors des six derniers mois, aucun procès-verbal n’a été dressé contre des automobilistes n’ayant pas respecté la distance de 1,5 mètre lors du dépassement d’un cycliste. La police protège-t-elle suffisamment les cyclistes ?

La disposition des 1,5 mètre est inscrite depuis désormais quatre ans dans le code de la route. Il faut dès lors se donner les moyens de contrôler si cette distance minimale est respectée. Nous avons eu des entrevues avec la police où elle nous a expliqué ne pas disposer du matériel adéquat. Dans d’autres pays, ce matériel est employé. Il faudrait donc évaluer s’il existe une lacune législative ou s’il s’agit d’un défaut de technique. Pour nous, il est clair qu’on ne peut pas tolérer qu’une disposition du code de la route ne puisse pas être contrôlée. Être doublé de trop près par une voiture est considéré comme un des dangers majeurs par les cyclistes.

Au-delà de cet aspect de sécurité routière, quels sont les principaux défauts des infrastructures pour cyclistes en dehors des zones urbaines ?

D’un, le réseau de pistes cyclables n’est pas toujours continu. Il existe des points de passage dangereux. De deux, les pistes existantes, notamment entre Esch-sur-Alzette et Luxembourg, vous forcent à faire d’importants détours. Actuellement, il faut parcourir quelque 30 km. Avec une piste express, on arrive à 15 km. Cela peut faire une grande différence pour amener ou non une personne à opter pour le vélo plutôt que pour la voiture.

Le concept de corridor multimodal, prôné par le ministre de la Mobilité, François Bausch, va-t-il dans la bonne direction ?

Il faut voir à quoi vont finalement ressembler les pistes express le long de l’autoroute de Dudelange et de celle menant à Esch. Pour les cyclistes concernés, cela devrait toutefois constituer un saut de qualité et donc aussi amener encore davantage de personnes à se rendre à vélo en ville.

Faut-il aussi s’assurer que les entreprises offrent des installations permettant aux cyclistes de se garer, mais aussi de prendre une douche ou de se changer ?

C’est un aspect qui est à prendre en compte. Une étude de l’Automobile Club d’Allemagne vient toutefois à la conclusion que les installations sanitaires en entreprise ne jouent pas un rôle aussi prépondérant pour les cyclistes. Ceux qui empruntent le vélo pour aller travailler ont une distance assez courte à parcourir ou disposent d’un pédélec, ce qui rend le déplacement plus agréable. Disposer d’une infrastructure cyclable sécurisée et pouvoir garer en toute sécurité son vélo, qui peut coûter parfois plusieurs milliers d’euros, sont des aspects qui pèsent bien plus.

Qu’en est-il des capacités pour permettre aux cyclistes de monter à bord des trains ?

Nous sommes en contact avec les CFL. Ils ont l’intention d’augmenter les capacités pour permettre aux cyclistes de prendre le train. Néanmoins, si on envisage de devenir vraiment un pays où 10 % des déplacements se font à vélo, il devient à un certain moment impossible de proposer une capacité suffisante sur le rail. Il importe bien plus de proposer des infrastructures de stationnement sécurisées dans les gares.

Pouvez-vous définir les prochaines priorités afin que le vélo s’installe durablement comme moyen de mobilité ?

Dans le camp politique, on est aujourd’hui bien conscient que le vélo fait partie entièrement de la mobilité de demain. On a bien profité d’un ministre de la Mobilité issu des rangs de déi gréng, mais c’est moins une question de partis que de personnes. Une lacune existe encore dans les bureaux d’études. Très souvent, les planificateurs ont encore un background axé sur la voiture. Il faut donc encore un peu de temps pour que la perspective du vélo soit davantage intégrée dans ces bureaux ou services de mobilité.

 

6 plusieurs commentaires

  1. Quand vous aurez 75 ans, vous me reparlerez du vélo dans des pays vallonés, en allant chercher des courses.
    Avoir des cheveux longs ne présage pas nécessairement d’un cerveau bien rempli.

    • S’il y a plus de place pour les cyclistes, cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait plus de place du tout pour les automobilistes.
      Merci de cesser de croire que lorsqu’une alternative à la voiture est proposée, celle dit se doit d’être parfaite et adoptable par tous et tout le temps. L’on peut être cycliste le matin, et automobiliste le soir. Mais pour cela, il faut de la place pour tous. Malheureusement, jusqu’à aujourd’hui, c’est l’automobile qui a pris toute la place, et il va falloir qu’elle en redonne un peu.

  2. Bien sûr, et dès que les cyclistes ont des pistes cyclables, on les retrouve sur la route à embêter les voitures !

    • Bien sûr, et dès que les automobilistes ont des autoroutes, on les retrouve sur la route à embêter les vélos, les piétons, les riverains.

      Blague à part, quand un cycliste n’utilise pas une piste cyclable, c’est rarement pour le plaisir. La piste cyclable est peut être : mal signalée ; en mauvais état ; avec des débris divers, avec des promeneurs (et leurs chiens) ; dangereuse à chaque intersection ; non accessible de là où le cycliste venait ; ou ne permettant pas de tourner dans une autre rue là où le cycliste se rend.

      Quand la piste cyclable est bien faite, le cycliste l’utilise avec plaisir. Vous êtes alors bienvenu pour réclamer avec nous de meilleures pistes cyclables afin qu’on vous fiche la paix.

  3. Plus de piste cyclables, moins de voies de circulations, allez-y… Le résultat est simple, plus de bouchons, plus de pollution…

    • bauchriedner

      Ah Zorro, vous restez prisonnier dans la logique de la voiture. + de vélos = – de voitures = + de place librérée dans les villes = + de qualité de vie, c’est la logique des besoins urbanistiques et humains.

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