La défense d’Antoine Deltour a plaidé l’acquittement, ce mercredi après-midi devant la Cour d’appel Luxembourg, estimant que l’ex-auditeur de PwC respectait tous les critères de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) sur les lanceurs d’alerte.
C’est à une bataille juridique, jalonnée d’envolées oratoires, que se sont livrés les avocats d’Antoine Deltour, ce mercredi, en réponse aux réquisitions faites lundi par l’avocat général, John Petry. L’ex-employé de PwC Luxembourg peut-il, oui ou non, bénéficier pleinement de la jurisprudence de la CEDH (qui s’appuie sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme), et ainsi être dispensé de peine, pour avoir volé des centaines de tax rulings couverts par le secret professionnel ?
Requérant une peine allégée de 6 mois de prison avec sursis (contre une condamnation à 12 mois de sursis en première instance), l’avocat général avait estimé lundi qu’Antoine Deltour ne pouvait pas totalement être protégé, car il ne respecterait pas certains critères, notamment celui de la bonne foi au moment de la copie des documents sur clé USB, le 13 octobre 2010.
« Bricolage judiciaire »
Mercredi, son avocat, Me William Bourdon, également défenseur d’Edward Snowden, a cherché à démonter un à un ces « critères imaginaires » de l’accusation, qualifiés de « bricolage judiciaire ». La bonne foi d’abord. Pour être reconnu comme lanceur d’alerte, Antoine Deltour devait-il savoir précisément ce qu’il allait faire des documents au moment même où il est tombé dessus « par hasard » et a décidé de les copier ?
L’avocat estime qu’aucun élément de la jurisprudence de la CEDH n’impose une telle « préméditation minutieuse, avec un plan précis ». « Cette exigence d’instantanéité est intellectuellement absurde et n’existe pas. Antoine Deltour a toujours dit qu’il avait copié ces données par conviction et par inspiration citoyenne. Cela suffit pour caractériser sa bonne foi », a affirmé Me Bourdon, invoquant des « tâtonnements » et « le fruit d’une nécessaire maturation » avant de lancer effectivement l’alerte.
« Si c’était juste par curiosité intellectuelle, comme l’a soutenu l’avocat général, il n’aurait pris que quelques documents, et pas les 20000 pages dont il savait qu’elles pouvaient démontrer le caractère massif du système des tax rulings. » Et l’avocat de rappeler le désintéressement de son client, comme ultime gage de la bonne foi de sa démarche.
« Croyez-vous que la CEDH exige un vade-mecum ? »
Me Bourdon est également revenu sur le critère de subsidiarité. Antoine Deltour aurait-il dû être plus restrictif et prudent dans la révélation des documents ? Là encore, l’avocat a renvoyé l’accusation dans les cordes. S’adressant aux juges et fustigeant le petit manuel des « solutions alternatives » qu’avait dressé l’avocat général : « Les lanceurs d’alerte seraient donc soumis à une obligation prudentielle ? Croyez-vous que la CEDH dise à Antoine Deltour : on ne peut pas vous protéger car vous auriez dû faire une conférence de presse, écrire un petit livre, donner moins de documents ou enlever les noms sur les rulings ? Qu’il y avait une méthode et qu’il ne l’a pas respectée ? Non, jamais les juges de Strasbourg (siège de la CEDH) ne vont exiger un vade-mecum pour un lanceur d’alerte ! »
Et Me Bourdon de souligner que le journaliste Edouard Perrin a toujours soutenu que son enquête n’aurait rien valu sans les noms et la masse des tax rulings que lui a confiés Deltour.
« Il n’y a aucun préjudice »
L’avocat s’est enfin penché sur le critère de proportionnalité, que l’ex-auditeur de PwC n’aurait pas respecté, selon l’accusation, la violation du secret professionnel dépassant selon lui le « strict nécessaire » par rapport au préjudice causé. « C’est justement la transgression de ce secret qui a permis la révélation des documents qu’il voulait dénoncer », a balayé l’avocat.
« PwC a réclamé un euro symbolique et n’a pas chiffré son préjudice, qui serait trop compliqué à calculer. Cela n’est pas se moquer de vous ? », a lancé aux juges Me Bourdon. « Il y a des limites au culot et à la manipulation. S’ils ne l’ont pas calculé, c’est parce qu’il n’y a pas de préjudice, même de réputation. PwC ne s’est jamais aussi bien porté. Comme si la révélation de ces tax rulings avait attiré de nouveaux clients », a tranché l’avocat, avec sa verve habituelle, pointant « le cynisme » du cabinet d’audit.
« Pour toutes ces raisons, vous devrez acquitter Antoine Deltour », a conclu son défenseur sous de longs applaudissements. La Cour d’appel doit encore entendre les représentants de Raphaël Halet et Edouard Perrin les 4 et 9 janvier prochains.
Sylvain Amiotte
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« Votre décision marquera l’histoire »
Dans sa plaidoirie, Me William Bourdon n’a pas failli à sa réputation de ténor du barreau, maniant l’ironie, flattant les juges, taquinant l’avocat général et cherchant à ridiculiser les outrances du représentant de PwC.
Qualifiant les lanceurs d’alerte de « respiration pour la démocratie », Me Bourdon a estimé qu’Antoine Deltour faisait partie de ce « cercle fermé » à l’instar d’Edward Snowden, qu’il défend également. « Je retrouve chez Antoine Deltour la même humilité, la même intensité », a-t-il dit.
Face aux trois magistrats de la Cour d’appel, l’avocat parisien d’Antoine Deltour n’a pas lésiné, comme en première instance : « Si vous ne l’acquittez pas, aucun lanceur d’alerte ne sera jamais acquitté au Luxembourg. Votre décision d’acquittement marquera l’histoire du droit européen et figurera dans les livres dans vingt ou trente ans. »
Et de saluer « les efforts » de l’avocat général « pour rendre l’arrêt plus respecté et plus respectable que le jugement de première instance, ce qui ne sera pas difficile ». Tout en moquant son « bricolage » et sa « confusion juridique ».
Enfin, Me Bourdon a anticipé un éventuel patriotisme des juges : « Croyez-vous, si vous acquittez Antoine Deltour, qu’il y aura une noria de lanceurs d’alerte qui vont faire fuir toutes les entreprises et appauvrir le Luxembourg ? »