Accueil | A la Une | Procès LuxLeaks : l’accusation requiert des peines réduites

Procès LuxLeaks : l’accusation requiert des peines réduites


Antoine Deltour (à droite) aux côtés de son avocat Me Philippe Penning, ce lundi. (photo JC Ernst)

Six mois avec sursis pour Antoine Deltour, simple amende pour Raphaël Halet, nouvel acquittement pour le journaliste Edouard Perrin. Voilà les peines, réduites par rapport au jugement de première instance, qui ont été requises, lundi après-midi, par l’avocat général devant la Cour d’appel de Luxembourg, au deuxième jour du procès en appel des lanceurs d’alerte de l’affaire LuxLeaks.

Il aura donc fallu attendre ce lundi pour que ce procès LuxLeaks décolle un peu. Contrairement au premier procès, l’accusation a en effet cessé de considérer Antoine Deltour et Raphaël Halet comme de simples voleurs de droit commun. Le premier avocat général, John Petry, leur accordant – enfin – la possibilité d’être protégés par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme sur la liberté d’expression, en tant que lanceurs d’alerte. Comme Le Quotidien le révélait le 12 décembre en exclusivité, l’accusation a requis des peines allégées.

L’avocat général a ainsi qualifié le jugement de première instance de « paradoxal » et « difficilement compréhensible », en ce qu’il qualifiait les prévenus de lanceurs d’alerte, sans toutefois en donner une définition précise, et surtout en concluant qu’ils ne pouvaient à ce titre bénéficier d’aucune protection pénale. « Ce qui est en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) », qui interprète l’article 10 cité plus haut, a d’emblée balayé John Petry.

Dès lors, l’acquittement général devait-il être requis ? Non, a poursuivi l’avocat général, car pour s’appliquer pleinement et déboucher sur une condamnation assortie d’une dispense de peine, cette protection est subordonnée à cinq critères qui doivent tous être respectés.

Les critères de la CEDH épluchés au peigne-fin

Épluchant la jurisprudence de la CEDH, le représentant du ministère public s’est donc attaché, durant plus de deux heures, à « un examen minutieux » de chacun de ces critères : l’intérêt public des informations révélées ; leur authenticité ; avoir agi de bonne foi ; en avoir d’abord référé à sa hiérarchie et en dernier lieu au public lorsque cela est impossible ; et enfin le principe de proportionnalité (« le préjudice ne doit pas dépasser l’intérêt public des révélations »).

Pour le cas d’Antoine Deltour, John Petry a estimé qu’il respectait tous les critères… sauf celui de la proportionnalité. « La violation du secret professionnel était disproportionnée », a-t-il tranché, estimant que la jurisprudence ne protégeait cette violation qu’en des cas « très précis » qui ne s’appliqueraient pas ici.

Le manuel du parfait lanceur d’alerte

S’essayant froidement à un petit manuel du parfait lanceur d’alerte, l’avocat général a ainsi jugé qu’Antoine Deltour avait « toute une liste de solutions alternatives » à sa disposition pour dénoncer le système fiscal. Comme de témoigner seul des pratiques dont il avait connaissance, sans révéler les documents, ou alors en les anonymisant. « Donner les noms des entreprises n’était pas nécessaire. La divulgation intégrale des 20 000 pages, sans restrictions, n’apporte pas de réelle plus-value », a asséné John Petry, tel un devin refaisant le match.

Pourtant, le journaliste Edouard Perrin a toujours soutenu que les noms des multinationales concernées et le nombre important des documents avaient été indispensables pour donner toute leur ampleur à ces révélations d’un système « massif » d’évasion fiscale, lesquelles ont abouti -excusez du peu- à changer les règles du jeu fiscales internationales.

Qu’à cela ne tienne, pour l’accusation,  même si Antoine Deltour n’a jamais souhaité la publication ni des noms ni de la totalité des documents, « dans le doute, il aurait dû s’abstenir » au moment de les confier à Perrin. « Ses restrictions données à l’oral n’étaient pas suffisantes », a jugé John Petry. « La violation massive du secret professionnel dépasse ici la violation du strict nécessaire. »

Euh, c’était quoi le « strict nécessaire » pour déclencher un tel séisme médiatique et politique ? On le saura peut-être lorsque le magistrat publiera son petit manuel.

« Il a copié les documents par curiosité intellectuelle »

C’est donc avec la note imparfaite de 4/5 que la jurisprudence de la CEDH peut s’appliquer à Antoine Deltour, selon le « professeur » John Petry. Notamment pour le chef de violation du secret professionnel. Mais pas pour celui du vol de données, qui après dissociation a obtenu la note… de 0/5.

Poursuivant son détricotage, l’avocat général a en effet estimé qu’Antoine Deltour n’avait pas copié les documents, auxquels il a accédé « par hasard », « dans l’intention claire et précise de les révéler ». Sa motivation, au moment de mettre les tax rulings sur clé USB, aurait été de satisfaire « une curiosité intellectuelle inspirée de pressentiments négatifs », selon John Petry. « Il n’était pas encore sûr de leur caractère néfaste et se considérait seulement comme un lanceur d’alerte potentiel. » Dur, le professeur Petry !

Ainsi, même si le vol des données n’a à lui seul « porté aucun préjudice », ce chef d’accusation ne saurait être protégé par la jurisprudence de la CEDH…

Partant de ces deux reproches, tout en écartant au passage la violation du secret des affaires, et reconnaissant à Antoine Deltour « une certaine naïveté » et « de sincères préoccupations » quant à l’injustice fiscale (quand même), l’avocat général a fini par requérir six mois de prison avec sursis à l’encontre de l’ex-auditeur de PwC. Une peine deux fois moins élevée que le jugement de première instance.

« Raphaël Halet a déjà subi une sanction avec son licenciement »

Concernant Raphaël Halet, le ministère public lui a également attribué une entorse au principe de proportionnalité, et donc une note similaire de 4/5. Certes il n’a divulgué que 14 déclarations fiscales, « un nombre suffisant pour être illustratif » selon le bon point accordé par – grand seigneur – John Petry, à l’inverse d’Antoine Deltour qui aurait donné beaucoup trop d’infos.

Mais l’avocat général a jugé – au doigt mouillé ? – que les documents de Halet avaient « une pertinence limitée », car ils étaient en partie « déjà disponibles » publiquement, ne « montraient pas vraiment le système » et s’ajoutaient « inutilement » aux révélations déjà connues issues des données d’Antoine Deltour… Ce que conteste là encore le journaliste Edouard Perrin, estimant que les deux types de données (rulings et déclarations fiscales) étaient indispensables pour montrer « l’amont et l’aval » du système.

Considérant que Raphaël Halet avait « déjà subi une sanction avec son licenciement », l’avocat général a requis au final une simple amende contre celui qui avait écopé de neuf mois de prison avec sursis en première instance.

Le procès se poursuivra mercredi après-midi avec les premières plaidoiries des avocats de la défense. Comme l’a déjà fait Me Bernard Colin, conseil de Raphaël Halet, ceux-ci auront à cœur de dénoncer cette « application à la carte » de la jurisprudence de la CEDH. Et, dans le cas d’Antoine Deltour, de convaincre les juges que la démarche d’un lanceur d’alerte n’obéit pas forcément à des règles de préméditation minutieuse. Et que la note finale doit être jugée sur l’ensemble de leur démarche, de sa pertinence et de ses effets : 5/5.

Sylvain Amiotte

Après celle de mercredi, une ou plusieurs audiences supplémentaires seront finalement nécessaires début janvier pour entendre toutes les plaidoiries. Leur date n’a pas encore été fixée.

« Edouard Perrin s’est comporté en journaliste responsable »

Le parquet avait fait appel de sa relaxe en première instance. Pour au final requérir… un nouvel acquittement. Histoire, peut-être, de rendre une copie bien propre au cas où l’affaire soit portée devant la Cour européenne des droits de l’Homme.

Lundi, l’avocat général John Petry a en tout cas rapidement réglé le cas du journaliste français. Certes il a bien suggéré à Raphaël Halet l’utilisation d’une boîte mail « morte » pour sécuriser la transmission des données, alors qu’il savait que celles-ci étaient couvertes par le secret professionnel. « Mais il n’a pas été à l’origine de la violation de ce secret », a recadré l’accusation. « Il n’ a utilisé ni ruse, ni menace, ni pression. (…) Il s’est comporté en journaliste responsable, de bonne foi, et a contribué à révéler des données d’intérêt général. »

Fermez le ban : « Edouard Perrin est à acquitter intégralement, car il est protégé par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme sur la liberté d’expression », a conclu John Petry.

Ces réquisitions « vont nous faciliter la tâche », a immédiatement commenté le président de la Cour d’appel.

Les pratiques luxembourgeoises ? « Pas parfaitement légales, mais… »

Dans ses réquisitions, l’avocat général, a pris soin de ne pas s’attarder sur le fond du sujet, à savoir le système industriel d’évasion fiscale des multinationales avec la complicité de l’Etat luxembourgeois.

John Petry a ainsi considéré comme acquis l’intérêt général des révélations de l’affaire LuxLeaks. Tout en plaçant quelques bémols, histoire de défendre un peu l’honneur du pays. Ainsi les pratiques du Grand-Duché ne seraient peut-être « pas parfaitement légales », « mais il faut mettre les choses en perspective » (c’est-à-dire ?).

Aussi, reconnaît le magistrat, « quelques » enquêtes ont bien été ouvertes par la Commission européenne concernant des rulings luxembourgeois (Fiat, Amazon, Engie), mais « pas les 500 » révélés par Antoine Deltour.

Quant au tamponneur fou, Marius Kohl, l’ex-préposé du fisc qui aurait été un peu trop zélé dans l’octroi à l’aveugle des rescrits fiscaux : « Oui, il y a des éléments qui rendent cette thèse crédible (…), « mais il faut éviter la caricature », a encore édulcoré l’avocat général.

Un commentaire

  1. J’ose croire que la justice sera rendue de façon neutre.