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Procès Bari : comment un policier infiltré a rencontré « le grossiste en blanche »


Le policier infiltré a confirmé ce que ses collègues avaient découvert lors d’observations. (Photo : archives lq)

Troisième jour de ce procès-fleuve. Un commissaire en chef de la police judiciaire a raconté comment un agent infiltré a rencontré la tête présumée du réseau de trafic de stupéfiants.

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Le 10 novembre 2020, la police judiciaire faisait tomber les membres d’un réseau de trafic de stupéfiants et de blanchiment d’argent au terme de 18 mois d’enquête. Cette opération d’envergure, à laquelle une centaine d’hommes ont participé, a permis d’amener une vingtaine de personnes face à la justice. La semaine passée, un premier enquêteur de la police judiciaire – ils seront sept en tout à se succéder à la barre – a expliqué la genèse de l’enquête et les divers moyens d’observation mis en oeuvre pour collecter des informations et des preuves contre les principaux protagonistes.

Un policier a notamment infiltré l’équipe sous l’alias David. Un commissaire en chef du service Méthodes particulières de recherche de la police judiciaire a expliqué hier matin à la 16e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg comment le jeune homme avait rencontré celui qui était surnommé «le grossiste en blanche» ou «l’ami italien» et se trouvait à la tête d’un trafic dont les enquêteurs n’ont pas encore révélé l’ampleur exacte.

«Une pratique courante dans le milieu de l’immobilier»

Dans la grande salle d’audience du tribunal, on se serait cru au cinéma dans un film de gangsters. Le commissaire en chef a relaté comment David a fait la connaissance de N., un des hommes chargés du blanchiment de l’argent de la drogue, au détour d’une conversation sur les bolides italiens de couleur rouge et les montres de collection le 24 octobre 2019. Une relation de confiance s’est installée et, au fil de déjeuners presque quotidiens, N. s’est livré de plus en plus sur ses activités légales et illégales.

L’homme de 48 ans est développeur de projets immobiliers. Il a expliqué avoir engagé «l’ami italien» en tant qu’apporteur d’affaires sur la base d’un faux contrat de travail. «N. a dit à David que la tête présumée du réseau lui remettait chaque mois 5 000 euros en liquide que N. lui reversait ensuite comme salaire après avoir prélevé sa commission», rapporte le commissaire en chef. Il s’agissait là d’une des méthodes utilisées pour blanchir l’argent. Les ventes de bolides et les fausses factures en étaient d’autres, comme le fait d’échanger de l’argent sale contre des sommes prélevées sur le compte de sa société. «Une pratique courante dans le milieu de l’immobilier», selon les propos de N. rapportés par l’agent infiltré.

Vrai policier, faux braqueur

David s’est fait passer pour un braqueur à la tête d’un butin de 300 000 euros issu d’un braquage en Suisse. Pour tenter d’approcher «le grossiste en blanche», il a fait croire à N. que ses complices, des policiers sous couverture également, recherchaient un «système sûr» pour le blanchir. Il a prétendu vouloir se refaire une virginité en créant son entreprise de transport et a insinué au passage pouvoir rendre des services à «l’ami italien». Enfin, David a, après des hésitations feintes, demandé à N. de le mettre en contact avec ce dernier pour acheter 8 kilogrammes de cocaïne à 36 000 ou 38 000 euros le kilogramme avec l’argent du butin.

Le piège tendu par la police s’est refermé de plus en plus autour des deux hommes. N. et son associé ont accepté de blanchir 50 000 euros pour le policier, qui a finalement rencontré «l’ami italien» le 7 octobre 2020 chez un concessionnaire automobile à Esch-sur-Alzette. Ce dernier a proposé au policier sous couverture de lui fournir «autant de cocaïne» qu’il voulait. Il a même été jusqu’à lui parler de ses affaires et à l’emmener à son lieu de livraison et de stockage à Leudelange.

La drogue revendue était acheminée dans un premier temps à Leudelange par divers livreurs, dont certains étaient connus des autorités belges pour avoir traversé le royaume depuis les Pays-Bas avec de la marijuana cachée dans leurs véhicules. Mais également chez certains des membres du réseau, qui était également approvisionné depuis l’Espagne par des livraisons postales. Une douzaine de paquets auraient transité entre les deux pays.

Téléphones cryptés

Les membres du réseau communiquaient avec des téléphones cryptés, dont les enquêteurs ont réussi à déchiffrer les contenus, notamment des conversations par SMS entre les noms de code Beigeradio et Ringrider autour de commandes et de livraisons de stupéfiants. Malgré toutes les précautions prises, la police parviendra quand même à mettre fin à leurs activités. N. aurait dit à David, le 2 février 2020, vouloir arrêter de blanchir l’argent de «l’ami italien», parce qu’il «n’était plus assez sérieux et prudent», qu’il flambait trop et «ne passait plus assez inaperçu» à son goût.

Ce mardi après-midi, les enquêteurs de la police judiciaire en diront plus sur la suite des opérations et du travail d’infiltration dans cette affaire dite «Bari» en référence à la région d’origine du grossiste et de son bras droit.