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Pour s’approvisionner en héroïne, ils composaient le «Golden Number»…


Le „Golden Number“ était très sollicité par les toxicomanes au Luxembourg. Rien qu’entre juin et décembre 2017, 13843 communications ont pu être retracées. Le tribunal a eu le dernier mot. (Photo : Fabienne Armborst)

La justice tournant au ralenti, on en profite pour revenir sur une affaire… stupéfiante qui a occupé fin février le tribunal. Au bout du fil, une «centrale de commande» coordonnée depuis les Pays-Bas.

– «Salut, t’es la vers 14 hrs?
– Jsui belval plaze apre j vai rodange.
– Tu reste jusqu’à quelle heure au belval?
– 14h
– Ok, je psse avant 14 h au belval
– Dans 5-10min je suis au belval,? C’est un autre que hier
– Suis au belval, ou exacte stp?
– (…)
– (…) a devant la entrance d la parking
– Ok, je suis la.» (sic)

Des messages SMS de ce type dans une affaire de trafic de drogue, on en trouve à foison. La particularité de ce dossier qui a occupé jusqu’au printemps 2018 le SREC Esch, c’est qu’avant de récupérer sa commande d’héroïne, cette toxicomane avait composé le «Golden Number». C’est un autre dossier qui avait mis la puce à l’oreille des enquêteurs. Constatant qu’un certain nombre de toxicomanes contactaient quotidiennement ce fameux numéro luxembourgeois et que ces échanges téléphoniques étaient suivis de ventes… stupéfiantes à Esch-Belval, Rodange ou Luxembourg, ils avaient poussé leurs investigations.

Plus de 80 toxicomanes identifiés

L’enquête a ainsi permis d’identifier 87 toxicomanes ayant profité de ce réseau. Et selon le calcul des enquêteurs, les quantités d’héroïne vendues entre fin septembre 2017 et le 25 avril 2018 – date de la dernière activité du «Golden Number» – se situaient entre 24 et 36 kg pour une contre-valeur de 534 950 à 779 840 euros.

Et pour cause : ledit numéro aboutissait à une sorte de «centrale d’achat». Son opérateur, un dénommé «Fernando», géolocalisé principalement aux Pays-Bas, recueillait appels et messages des toxicomanes luxembourgeois. Ces derniers étaient ensuite informés du lieu et de l’horaire de la transaction. Pour communiquer et coordonner les livraisons des commandes avec les revendeurs de rue à son service au Luxembourg, «Fernando» utilisait par contre un numéro néerlandais.

Avant d’arriver à toutes ces révélations, il a fallu un certain temps aux enquêteurs. Un premier repérage téléphonique avait permis de retracer 13 843 communications pour le «Golden Number» entre début juin et décembre 2017. Il avait aussi montré que ce numéro luxembourgeois avait été utilisé dans deux téléphones portables différents. Mais comme le numéro était connecté à des antennes aux Pays-Bas, l’écoute n’avait pas donné de résultat.

Il a donc fallu se rabattre sur la mise sur écoute de quelques toxicomanes notoires au Luxembourg. Leur audition a permis d’en savoir plus sur le fonctionnement du «Golden Number». Enfin, il y a eu les observations policières sur le terrain. Elles ont pu établir certaines transactions avec les revendeurs de rue ainsi que leur approvisionnement par une VW Polo immatriculée aux Pays-Bas.

«Demain j’ai un petit problème»

Les deux premières arrestations ont eu lieu le 23 avril 2018 à Esch-sur-Alzette et à Pétange. Après cela, les enquêteurs ont pu constater une certaine nervosité du côté du «Golden Number». «Demain j’ai un petit problème.» Telle est la réponse envoyée à plusieurs commandes. Mais le problème de revendeur a vite été résolu d’après les observations policières. La preuve : dès le lendemain, un nouveau rendez-vous était donné en gare de Rodange… Mais le 25 avril, c’était bel et bien la fin de l’activité du «Golden Number». Les dealers avaient senti qu’ils avaient la police à leurs trousses.

L’un des deux dealers interpellés portait deux factures d’hôtel sur lui. La perquisition dans un hôtel à Esch-Belval a ainsi aidé le SREC Esch à retracer les séjours des revendeurs sur le territoire luxembourgeois. Les réservations avaient toutes été effectuées avec une même carte de crédit sur un même site. Ce qui a permis de relever d’autres réservations d’hôtel au Luxembourg depuis le début de l’année 2018. Les informations remises lors du check-in ont complété l’enquête.

Lors de son arrestation, le dénommé «Fernando» a contesté en bloc être l’utilisateur du «Golden Number». L’enquête avait également relié à lui un certain nombre de voyages en avion au Portugal et au Cap-Vert, toujours en compagnie du «Golden Number». Il n’y a pas que les listes de passagers des vols qui l’attestent, mais aussi les données roaming du portable. «Une simple coïncidence» selon lui. Tout comme le fait que le fameux numéro ait souvent été connecté à une antenne dans les environs directs de son domicile à Rotterdam…

Huit ans de prison pour la tête du réseau

Ses explications n’ont toutefois pas convaincu les juges. Car ils l’ont condamné le 27 février 2020 à huit ans de prison, dont deux ans avec sursis, et une amende de 5 000 euros. Son acolyte qualifié de «support organisationnel» en charge notamment de la réservation des chambres d’hôtel et de la location des véhicules servant à l’approvisionnement écope de six ans de prison, dont deux avec sursis, et 3 000 euros d’amende. L’homme poursuivi pour avoir plus particulièrement géré l’accompagnement et le contrôle des revendeurs de rue prend six ans de prison ferme et 3 000 euros d’amende. Un sursis n’était plus possible à cause de son casier judiciaire.

Enfin, les quatre derniers hommes sur le banc des prévenus, identifiés comme revendeurs, sont condamnés à des peines allant de deux ans de prison avec sursis à quatre ans ferme et une amende de 1 250 euros. La 12e chambre correctionnelle a retenu la circonstance aggravante que les sept hommes ont agi au sein d’une association de malfaiteurs.

Seuls deux d’entre eux ne se trouvent pas en détention préventive. Tous ont la possibilité d’interjeter appel contre le jugement.

Fabienne Armborst

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