Déjà à l’affiche d’un doublé cannois l’année dernière, Vicky Krieps est revenue le week-end dernier sur la Croisette avec deux œuvres très différentes, qui confirment l’étendue de son talent et l’envie de repousser les frontières.
Habillée d’une courte combinaison Chanel bleu électrique, d’une longue robe blanche à boutons ou d’un large costume crème, Vicky Krieps a illuminé les marches du palais des festivals de Cannes autant de fois qu’elle les a montées : trois fois en 24 heures. C’est le temps qui séparait, le week-end dernier, les projections de Corsage, de Marie Kreutzer, et Plus que jamais, d’Emily Atef, tous deux en compétition au sein de la sélection Un certain regard et dont l’actrice luxembourgeoise tient le haut de l’affiche.
Standing ovation et émotion
Pour le premier film, Vicky Krieps et la réalisatrice Marie Kreutzer ont reçu une longue «standing ovation»; après le second, ce sont les larmes et l’émotion qui ont parlé, que le vide laissé par l’absence de Gaspard Ulliel, son compagnon dans Plus que jamais, n’a pas apaisées.
D’un côté, donc, le biopic doucement punk d’une figure historique transfigurée en icône féministe, de l’autre, un drame français terrassant sur l’amour et la maladie. Immense actrice, Vicky Krieps réussit brillamment son grand écart entre les deux et donne raison à Xavier Bettel, qui avait déclaré chez nos confrères de L’Essentiel, lors de son passage sur la Croisette la semaine dernière, que l’actrice n’était «plus une étoile montante; c’est une étoile». Il faut dire que sa révélation à l’international a eu l’effet d’une déflagration, lorsque le génie américain Paul Thomas Anderson l’a choisie pour briller dans son Phantom Thread (2017) : un rôle sur mesure pour une actrice qu’il est impossible d’enfermer dans une case, avec assez de charme pour séduire le prestigieux couturier joué par Daniel Day Lewis, assez de classe pour prétendre à le sortir de son éternel célibat, et assez d’intelligence et de détermination pour mettre à mal sa domination.
Vicky est une actrice imprévisible et libre d’esprit
En choisissant la voie du cinéma, la petite-fille du résistant et ancien président du LSAP Robert Krieps s’est plutôt rangée du côté de son père, distributeur de films de patrimoine. La Belle et la Bête (Jean Cocteau, 1946), a-t-elle raconté par le passé, lui a fait l’effet d’un choc; des années plus tard, Vicky Krieps peut endosser avec la même aisance l’un comme l’autre rôle, en passant par toutes les nuances qui les séparent. C’est qu’elle choisit ses rôles avec soin, même si, avec deux films à Cannes deux années de suite – l’année dernière, elle était à l’affiche de Serre-moi fort, de Mathieu Amalric, et Bergman Island, de Mia Hansen-Love, le premier hors compétition, l’autre en lice pour la Palme –, on ne l’a jamais vu aussi présente (sept films en 2021!).
Agenda bien chargé
Il faut dire que son talent ne connaît pas de frontières géographiques ou linguistiques, et qu’il traverse allègrement les genres pour proposer des interprétations qui amènent les films vers d’autres horizons : dans le blockbuster horrifique Old (M. Night Shyamalan, 2021), son personnage sort progressivement des clichés de l’horreur pour livrer une réflexion sur la mort et le temps qui passe. Après avoir tourné pour la deuxième fois avec Vicky Krieps, Marie Kreutzer nous assure qu’elle est «une actrice imprévisible et libre d’esprit», capable de livrer des choses différentes à chaque prise, et toujours avec la même intensité. «Ce doigt, c’est son idée!», dit la réalisatrice autrichienne en levant le majeur, en référence à une séquence de Corsage où Sissi, exaspérée par l’attitude de ses hôtes, quitte prématurément un dîner en les gratifiant d’un doigt d’honneur. Dans son pendant triste, elle quitte aussi un dîner dans Plus que jamais, sans le geste désobligeant mais avec des paroles désemparées, gardant au bord des sanglots une colère qui n’explose jamais : «Vous faites comme si de rien n’était, et c’est humiliant», assène-t-elle aux personnes autour de la table avant de prendre l’air.
Marie Kreutzer nous avouait que c’est Vicky Krieps qui a eu l’idée de faire un film sur Sissi; le personnage a été rigoureusement écrit par la réalisatrice, mais l’actrice l’a fait sienne aussi grâce à quelques trouvailles, dont le fameux doigt d’honneur. Toutefois, dans ses deux films cannois cette année, elle écrit et interprète des chansons originales. Croirait-on bientôt à un premier film de la part de cette inarrêtable? À en croire son agenda bien chargé (et toujours éclectique), cela n’arriverait de toute façon pas dans l’immédiat.
Toujours costumée, elle sera bientôt une autre impératrice autrichienne, Anne, dans le blockbuster français en deux parties Les Trois Mousquetaires, de Martin Bourboulon, ou la poétesse Ingeborg Bachmann dans le nouveau film de Margarethe von Trotta, actuellement en tournage. Il est certain que Vicky Krieps n’a pas fini de nous impressionner, mais dans la grosse machine cannoise, où tout est contrôlé et millimétré, l’actrice, qui avait tout son temps pour les marches, semblait inatteignable pour tout le reste. Pas vraiment la meilleure façon de garder les pieds sur terre…