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«Nous ne craignons plus d’aller vers une premiumisation»


Pour Antoine Clasen, directeur général de Bernard-Massard, le pinot noir est un cépage d’avenir au Luxembourg.

Alors que la série «Vignes et vignerons» fête ses 10 ans ce mois-ci, le directeur général de Bernard-Massard, Antoine Clasen, revient sur cette dernière décennie et balise le chemin jusqu’à 2032.

Les dix dernières années

Plus pointu à la vigne

Antoine Clasen : «Cela fait quasiment 10 ans que je suis là (NDLR : il est arrivé en 2013 en tant que directeur commercial avant de prendre le fauteuil de directeur général en 2016). J’ai vu beaucoup de projets se concrétiser et tous visaient à faire progresser la qualité de nos vins. Nous la recherchons depuis toujours, mais nous voulons aller encore plus loin.

Beaucoup d’investissements ont été réalisés, tant dans le travail à la vigne que dans la cave. Mais il n’y a pas de secret, l’essentiel du travail se fait à la vigne. Tout commence là : on ne fait pas de bons vins avec de mauvais raisins.

Depuis quelques années, par exemple, toutes nos vignes du Grevenmacher Fels sont cultivées en bio, même si ça ne figure pas sur l’étiquette. Nous travaillons de plus en plus les vignes du Clos des Rochers en parcellaire. Avec nos rieslings Groärd, Palmberg et bientôt Koeppchen, nous jouons dans la cour des grands même s’il n’y a qu’au Luxembourg qu’on peut en profiter.

Si nous voyons bien que ces bouteilles sortent toujours très bien dans les dégustations internationales, les quantités sont trop petites pour être exportées. J’étais la semaine dernière en Suède pour présenter mes vins à des journalistes et à des représentants du monopole (NDLR : Systembolaget), ils ont adoré.

Un climat plus favorable

Ce qui a beaucoup changé aussi, ces dix dernières années, c’est le climat. Pour nous, le réchauffement climatique a vraiment commencé en 2003 mais depuis 2012, nous n’avons pratiquement pas eu de millésimes froids. Désormais, les maturités sont atteintes chaque année sans problème, ce qui était loin d’être le cas avant.

Mais ça ne rend pas le métier forcément plus facile parce que nous avons besoin de nous adapter à ces nouvelles conditions. Le changement le plus évident est la date des vendanges, très avancée par rapport aux anciennes habitudes, notamment pour récolter les raisins utilisés pour le crémant, mais il faut également revoir les pratiques pour l’effeuillage, par exemple.

Meilleur et plus cher

Surtout, depuis une décennie, nous ne craignons plus d’aller vers une premiumisation pour tous nos types de vin. Le crémant est devenu totalement accepté socialement. Désormais, lorsqu’une banque sert du champagne lors d’une réception, cela choque tout le monde et on se demande pourquoi il n’y a pas plutôt du crémant luxembourgeois.

En dix ans, le point de vue des clients a changé. Ceux qui se rendent compte de leur qualité n’hésitent plus à acheter des bouteilles à plus de 15 euros, mais il faut que le prix soit en rapport avec la qualité du vin. La dynamique est la même pour les vins tranquilles. Les consommateurs avisés savent que le rapport qualité/prix est très bon et ils sont prêts à payer des prix plus élevés qu’auparavant. Cette tendance est évidente depuis 5 ou 6 ans et elle ne s’arrêtera pas.

Les dix prochaines années

Toujours plus qualitatif

Il va falloir poursuivre les efforts menés pour produire des vins toujours qualitatifs, plus précis, plus pointus. C’est ma vision en tant que directeur de Bernard-Massard, mais je crois que c’est aussi celle de la plupart des vignerons du pays. Si l’on veut survivre, il n’y a pas d’autre choix que la qualité.

Moins de domaines

À mon avis, la prochaine décennie sera marquée par une diminution du nombre des domaines. Certains vignerons ou apporteurs de raisins vont arrêter sans que la génération suivante poursuive le travail. Produire des vins coûte de plus en plus cher et les enfants choisiront parfois des métiers plus sûrs et plus faciles.

Les domaines qui resteront seront donc plus grands, ils concentreront davantage de vignes et cela impliquera un nouveau défi : celui de la rationalisation du travail. Il faudra plus d’équipements dans la cave, plus de personnel et une organisation parfaite pour que tout fonctionne bien, le travail à la vigne comme celui en cave.

Moins de cépages

Je réfléchis également à réduire le nombre de cépages pour nous spécialiser sur ce que nous faisons de mieux. Je pense particulièrement au pinot noir, au chardonnay, au pinot blanc et au riesling, qui sont très importants pour les vins tranquilles et les crémants. Il faut aussi continuer à produire du pinot gris parce que les clients l’aiment, mais avec le réchauffement climatique, il va falloir s’adapter et ne pas le planter partout. Sinon, nous aurons le même problème qu’avec le rivaner qu’on a trop planté et qui ne se vend plus.

Caractériser les terroirs

Le choix de planter tel cépage sur tel coteau est fondamental à mes yeux. L’année dernière, nous avons commencé à réaliser des études très précises pour déterminer les caractéristiques de chacune de nos parcelles afin de mieux comprendre les sols, notamment grâce à la technique de la conductivité électrique (NDLR : en étudiant la façon dont un faible courant électrique traverse le sol, on peut cartographier précisément les variabilités de sa nature, de sa teneur en eau, de sa composition physico-chimique…).

Une fois que nous aurons terminé ce travail, nous irons creuser des fosses pédologiques qui nous permettront de visualiser et de comprendre l’étagement des couches géologiques. Je pense que nous sommes le premier domaine à réaliser ces études au Luxembourg. Elles seront décisives puisque grâce aux données obtenues, nous serons en mesure de planter les cépages les mieux adaptés sur chaque parcelle. Ce travail de précision nous permettra d’aller encore plus loin dans la recherche de la qualité.

Vinification parcellaire

Nous commençons déjà à raisonner en termes de parcelles avec nos pinots noirs. Désormais, nous avons déterminé la finalité de chaque vigne, si elle nous permettra de faire du rouge, du rosé ou du crémant. Pour le vin rouge, nous vinifions nos quatre parcelles séparément et elles donnent quatre types de vins assez différents. C’est très intéressant.

Peut-être que nous prendrons la décision d’individualiser telle ou telle parcelle au sein d’une cuvée propre, mais ce travail va aussi nous permettre de réaliser les meilleurs assemblages, de jouer sur l’association des différentes nuances pour produire le vin le plus abouti.

Je crois beaucoup au pinot noir. Je lui vois un très bel avenir au Luxembourg. Avec le climat, nous avons de bonnes maturités et même lors des années plus fraîches, il donne de très bons résultats. De toute façon, ce n’est pas grave si un millésime est plus léger parce qu’il a fait moins chaud. Il sera différent, bien sûr, mais cette variabilité nous rappellera qu’il nous faut travailler avec la nature, la respecter plus que la contraindre.
Nous isolons également désormais pour les mêmes raisons les parcelles qui nous permettent d’élaborer les crémants du Clos des Rochers, notre haut de gamme. Cette façon de faire nous donne la possibilité de travailler de manière très précise, d’avoir les bases qui nous permettront de créer les meilleurs crémants possible.

Repenser la gamme

Mais il faut être cohérent, la recherche de l’excellence pour nos vins premium doit aussi s’accompagner d’une progression de nos gammes plus classiques. Moi, j’aime beaucoup le système allemand en forme de pyramide avec une pointe composée des meilleurs crus, ceux issus des terroirs les plus qualitatifs, et une base qui comprend les vins du domaine, créés en travaillant l’assemblage des autres vignes.

Avec nos très nombreux cépages et cette habitude de localiser chaque cuvée, nous produisons trop de vins différents. Je crois que l’on devrait réserver les cuvées de terroir uniquement aux meilleurs vins. Cela permettrait en plus de produire de plus grandes cuvées avec le reste, ce qui en faciliterait la commercialisation (notamment à l’étranger) tout en garantissant une qualité constante.

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