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Nesat, ancien fugitif, fuit son procès depuis 2019


L’affaire de Nesat doit théoriquement durer deux jours, mais elle dure depuis quatre ans. (Photo : editpress)

En détention préventive depuis 800 jours, un ancien fugitif fuit son procès. Ses avocats successifs ont tous jeté l’éponge. Impressions d’une affaire qui n’en finit pas avant même d’avoir commencé.

Près de huit ans se sont écoulés depuis les faits reprochés à Nesat. Sa victime présumée est aujourd’hui une adolescente âgée de 15 ans qui attend que son agresseur présumé soit jugé définitivement. En janvier 2019, il avait été condamné par défaut à 5 ans d’emprisonnement pour le viol d’une enfant de 7 ans dans un centre d’asile à Foetz en février 2016. Au moment où tombait la sentence, l’homme de 45 ans se trouvait à Belgrade. Considéré comme fugitif, il intègre alors la liste des 17 prédateurs sexuels les plus recherchés d’Europe en octobre 2020 avant de négocier son retour au Luxembourg avec les autorités puis de s’opposer à sa condamnation.

Encore fallait-il que cette opposition au jugement soit considérée recevable. Le 3 mai 2021, le Kosovar se retrouvait à nouveau face aux juges de la 9e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement pour en débattre. Pour son avocat de l’époque, Me Stroesser, elle l’était. La 9e chambre criminelle lui a donné raison le 14 mai 2021 et a fixé rendez-vous au prévenu un mois plus tard, les 15 et 16 juin 2021, pour un nouveau procès. Mais deux ans et demi plus tard, le procès n’a toujours pas eu lieu. Six remises se sont succédé jusqu’à hier matin. Nesat a fait son entrée dans le box des prévenus de la salle d’audience, encadré par des policiers et un nouvel avocat, Me Paris. Me Stroesser a jeté l’éponge et Me Paris ne tardera pas à l’imiter.

Quatre avocats commis d’office en huit ans

Nesat est venu à bout d’au moins quatre avocats commis d’office en huit ans et a failli venir à bout de la patience du tribunal. Mardi matin, son avocat a demandé à la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg de lui accorder une énième remise, entre autres, pour lui permettre de préparer correctement la défense de son client. Client qui n’aurait d’ailleurs pas compris les raisons exactes de sa citation à comparaître. Elle n’aurait pas été traduite dans une langue qu’il maîtrise. Idem pour les jugements de 2019 et 2021.

«Votre client demande toujours des remises à la dernière minute quand tout le monde s’est déplacé», note la représentante du parquet, désignant l’enquêteur du service de protection de la jeunesse de la police judiciaire, les experts judiciaires, la famille de la victime présumée et les interprètes assis au fond de la salle. «Il cherche toujours des raisons pour remettre l’affaire. Les dernières fois, c’était à cause de l’interprète», ajoute la présidente. «Me Paris, vous avez reçu le dossier répressif le 26 octobre dernier. Cela vous laissait largement le temps de vous préparer.» – «Si je n’obtiens pas de remise, je dépose mon mandat», prévient l’avocat. Quelques minutes plus tard, après une suspension d’audience, il a quitté la salle, sa robe sous le bras.

Un problème d’interprétation

Le prévenu n’ayant pas souhaité renoncer à l’assistance d’un homme de loi, l’affaire a malgré tout dû être remise aux 5 et 6 mars prochains. Des dates aussitôt contestées par Nesat. Après avoir évoqué une violation des droits de la défense, il a indiqué que ce délai «trop court» ne lui laisserait pas le temps de trouver un avocat. «Il faudrait peut-être d’abord arriver à s’entendre avec un avocat. Il est rare de se trouver face à des prévenus qui en ont usé une dizaine et dont tous ont déposé leur mandat», s’est agacée la présidente. «Cela fait un an que l’affaire ne cesse d’être remise devant notre chambre et c’est la première fois qu’il évoque le jugement qui n’a pas été traduit. Il aurait eu tout loisir de demander une traduction à l’un de ses précédents avocats. La dernière fois, il a réclamé l’assistance d’un interprète de langue anglaise.»

Nesat semble chercher à tout prix à gagner du temps et à repousser l’échéance de son procès. Il est pourtant en détention préventive depuis 800 jours. «Il n’y a pas d’interprète judiciaire serbe au Luxembourg pour traduire le dossier. Je demande un interprète de l’ambassade», insiste le prévenu. Lors d’un procès, le prévenu ou un témoin peut, s’il ne maîtrise pas suffisamment une des trois langues officielles du Grand-Duché, demander l’assistance d’un interprète dans sa langue maternelle. «Il n’y a pas à ma connaissance d’interprète qui sache lire et écrire la langue serbe en alphabet cyrillique», insiste le prévenu. C’est pour cette raison qu’il aurait demandé à pouvoir s’exprimer en anglais et à être assisté d’un interprète anglophone, dit-il.

«Si, moi. J’ai fait 12 ans d’études en Serbie», répond un des interprètes habituels du tribunal en s’avançant à la barre. «Le prévenu ne veut pas de mes services parce que j’ai traduit les propos de son épouse dans une affaire de violences conjugales et il ne me fait pas confiance.» Si le prévenu a pour mission de trouver un nouvel avocat avant le mois de mars, le parquet devra, quant à lui, trouver un nouvel interprète agréé par Nesat. La juge a prévenu : «Un jour, l’affaire sera prise et on arrêtera de jouer.»

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