La récolte sera précoce mais il est encore difficile de prédire précisément quand les vendangeurs commenceront leur labeur. Fin août, début septembre ?
Toute cette année aura été précoce. Avec un printemps qui est arrivé tôt dans la Moselle luxembourgeoise, les premières fleurs sont sorties autour du 1er juin avec trois semaines d’avance sur une année normale, un concept d’ailleurs de plus en plus difficile à cerner. Depuis l’apparition des bourgeons, il faut dire que tout est allé très vite : «Au printemps, la végétation a explosé, sourit Marie Kox (domaine Sunnen-Hoffmann, à Remerschen). La terre avait encore en réserve l’humidité de l’année dernière et, puisqu’il faisait très beau, les ceps avaient tout ce qu’il fallait pour leur croissance. L’an dernier, nous avions mis cinq semaines pour faire la taille douce (NDLR : tailler légèrement et effeuiller pour éclaircir les vignes) mais cette année, la croissance était tellement rapide que nous avons dû tout faire en moins de deux semaines!».
L’incroyable ensoleillement qui a suivi a permis à la vigne de poursuivre sur le même rythme. Mais assez vite, le manque d’eau s’est fait ressentir. Les vieilles vignes, qui peuvent aller chercher l’eau en profondeur grâce à leurs profondes racines n’ont pas vraiment souffert, mais c’est tout le concept de jeunes vignes qui a été revu.
Au mois de juillet, lorsque la sécheresse a commencé à poser problème, ce sont les vignes de moins de trois ans que les vignerons ont arrosées. Pas pour garantir une récolte, puisque l’on ne peut produire de vin qu’à partir de la troisième vendange, simplement pour les maintenir en vie. Mais plus le temps a passé et plus les vignes un peu plus âgées ont commencé à souffrir, elles aussi. «Même celles de 7 ou 8 ans manquent d’eau, on voit bien qu’elles souffrent…», soupire Guy Krier (domaine Krier-Welbes, à Ellange-Gare).
L’eau, la clé du problème
Le stress hydrique est pourtant bénéfique à la vigne, un léger manque d’eau force la plante à puiser les minéraux dans le sol qui permettront d’aiguiser les caractéristiques du terroir aux futurs vins. Mais lorsque ce stress devient trop fort, comme c’est le cas cet été, la vigne n’en tire plus rien de bon : elle souffre au point de freiner son métabolisme, de perdre des feuilles (limitant la photosynthèse) et de bloquer la maturation des raisins. Or ce processus de survie nuit à la qualité des baies, les arômes ne se libèrent pas et l’acidité (la colonne vertébrale des vins) risque de manquer.
Autre conséquence logique du manque d’eau, si les raisins mûrissent, ils ne grossissent pas. «En ce moment, il y a beaucoup de chair et peu de jus dans les grains, explique Jean-Marie Vesque (domaine Cep d’Or, à Hëttermillen). L’idéal serait d’avoir suffisamment de pluie pour faire du jus, le plus tôt étant le mieux.»
Par la force des choses, ce manque de jus a également pour conséquence de concentrer les tannins contenus dans les pépins et la pellicule des raisins. Pour bien faire, il faudrait donc que des pluies suffisantes arrivent sans tarder, pour que la vigne ait le temps de rétablir l’harmonie entre le sucre, l’acidité et les tannins à l’intérieur des baies.
Beaucoup d’incertitudes sur la date
Ces considérations laissent donc beaucoup d’incertitudes quant à la date des vendanges. Si la fin du mois d’août et le début du mois de septembre voyaient quelques averses arroser la Moselle, elles pourraient être très précoces. Forts de l’expérience de 2018, autre année exceptionnellement solaire, bon nombre de vignerons ne traîneront pas pour couper les premières grappes.
Quelques domaines envisagent déjà de récolter les premiers raisins pour le crémant dès la fin du mois d’août. «Nous avons surtout besoin d’acidité pour les crémants, pas de grande maturité, indique Henri Ruppert (domaine Henri Ruppert, à Schengen). Puisque la deuxième fermentation (NDLR : celle qui apporte les bulles et se fait en bouteilles) ajoute quelques degrés d’alcool, il faut des vins de base peu alcoolisés. Il y a donc de grandes chances pour que nous commencions fin août.»
Marie Kox fait la même analyse : «Rétrospectivement, nous nous sommes dit que nous avions vendangé les crémants un peu trop tard en 2018, il ne faudra pas faire la même erreur cette année. Si les raisins sont mûrs fin août, nous serons prêts pour faire un premier passage destiné au crémant. Mais nous laisserons les grappes qui nous serviront à produire les vins tranquilles pour les récolter plus tard.»
Il y a beaucoup de chair et peu de jus dans les grains
Un choix cornélien
D’autres vignerons estiment que la patience pourrait aussi avoir du bon. S’il ne pleut pas d’ici là, ils pourraient attendre jusqu’au dernier moment en espérant que les averses s’invitent pour faire gonfler les baies. Ils auraient alors de meilleurs rendements et, peut-être, des raisins plus intéressants… avec le risque, aussi, de devoir composer avec des surmaturités compliquées à gérer lors de la vinification.
À travers cette simple question de la date des vendanges, on se rend compte à quel point le vigneron est confronté à des choix difficiles et pourtant définitifs. S’il se rend compte qu’il aurait dû attendre ou, au contraire, anticiper, c’est déjà trop tard et il devra composer avec ce qu’il a en cave. Il aura alors un goût amer en bouche, celui d’avoir travaillé d’arrache-pied toute l’année pour avoir les plus beaux raisins possibles, mais de ne pas avoir pris la meilleure décision au pire moment.
L’évolution du climat force les vignerons à repenser leurs méthodes de travail et leur calendrier. S’il est sans doute plus facile pour un vigneron indépendant de s’adapter aux nouvelles conditions, puisqu’il est seul à la barre de son domaine, il ne faut pas sous-estimer la difficulté de ce choix pour les plus grosses structures. Chez Vinsmoselle, par exemple, le début des vendanges a toujours été fixé au 15 septembre au plus tôt, sauf conditions très exceptionnelles (le 10 août en 2018). Mais puisque le crémant est le fer de lance de la coopérative, il y a de fortes chances que les portes des caves s’ouvrent un peu plus tôt cette année.
En France, des récoltes précoces
dans tous les vignobles
Dans le Languedoc-Roussillon, les premiers coups de sécateurs ont été donnés dès la fin du mois de juillet et tous les vendangeurs étaient au travail dès les premiers jours d’août pour récolter muscat, chardonnay et grenache blanc. Du jamais-vu. En Occitanie, les vendanges ont débuté dès le 10 août, notamment pour le chardonnay, ce qui constitue aussi un record. Mais cette précocité a son revers, les vignerons constatant une grande variété de vigueur dans leurs parcelles, selon les expositions et les ressources en eau.
Dans le Bordelais, les premiers raisins ont été coupés mardi dernier, le 16 août, deux jours plus tôt que le précédent record qui datait de 2003, autre année de canicule. Ces vendanges bordelaises ont débuté par le sauvignon. Les raisins qui seront utilisés pour élaborer le crémant sont aussi en cours de récolte.