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Luc Frieden : «Je voudrais que chacun puisse avoir un lit chaud, être nourri»


C’est la lutte pour une vie digne et le respect de l’État de droit qui sont les deux catégories essentielles pour ce gouvernement » (Photo : Fabrizio Pizzolante)

Le Premier ministre, Luc Frieden, semble agacé par le débat sur la mendicité qui, selon lui, n’est pas essentiel pour le gouvernement au regard des sujets qui s’imposent pour l’avenir du pays.

Le débat sur l’interdiction de la mendicité pose la question du respect de l’État de droit. Quelle est votre position sur ce sujet qui oppose les pouvoirs entre eux?

Luc Frieden : Je voudrais d’abord qu’on situe cette polémique dans un contexte plus large. Pour moi, ce qui est important, c’est que chaque être humain puisse vivre dans la dignité. Je voudrais que chacun puisse avoir un lit chaud, être nourri, avoir des services sociaux et de santé à sa disposition. C’est un premier point.

Ensuite, l’État de droit doit fonctionner. C’est le respect de règles que le Parlement se donne. Là où l’État de droit n’est pas respecté, il faut que les autorités interviennent. Ce sont deux principes importants que j’essaie de combiner. Dans le détail, c’est un règlement de police de la Ville de Luxembourg qui doit correspondre à la législation.

Il appartient aux tribunaux de décider si tel est le cas, sinon il appartient au Parlement, dans une démocratie, de clarifier les textes.

Justement, cette clarification n’a jamais été faite. Pourquoi? Comptez-vous corriger l’erreur?

Je n’étais ni au gouvernement ni au Parlement ces dix dernières années, mais j’ai demandé aux ministres compétents de clarifier les choses, de vérifier la situation législative et d’y apporter les clarifications qui s’imposent après analyse dans le cadre d’une réforme du code pénal.

Le sujet n’est pas essentiel pour le gouvernement. Ce sont la lutte pour une vie digne et le respect de l’État de droit qui sont les deux catégories essentielles pour ce gouvernement.

Je trouve que la place accordée à ce débat sur la mendicité est largement exagérée dans le débat général et les sujets qui s’imposent pour l’avenir du pays.

Le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, a regretté la faiblesse du registre de transparence. Le lobbying représente-t-il un problème au Luxembourg?

D’abord, je crois que les gens doivent se parler et les responsables politiques doivent être à l’écoute des citoyens et des entreprises, y inclus les ONG et les syndicats. Je suis évidemment pour la transparence et je n’ai aucun problème à ce que l’on sache avec qui je parle, avec qui les ministres et les députés parlent au cours de la journée.

Je crois qu’il faut décrisper ce sujet. Oui au dialogue avec tout le monde et oui, ça peut se savoir. Le dialogue et l’écoute font partie de la mission de gouverner.

Depuis des années, les gouvernements successifs balayent les critiques alertant sur le mur des pensions. Aujourd’hui, il y a urgence à réformer le système…

Je crois que la question mérite un débat de société, parce que tout travailleur veut être assuré de ne pas tomber dans la pauvreté à la fin de sa vie professionnelle. Le mur des pensions, entre guillemets, a reculé à cause de notre forte croissance, sujet qui génère un vrai débat de société également.

Beaucoup de gens nous ont dit, ces dernières années, y compris au cours de la campagne électorale, qu’ils ne voulaient pas cette croissance. Je suis d’avis qu’il faut une certaine croissance pour financer la sécurité sociale et donner les moyens à l’État d’avancer.

Je voudrais donc avoir un débat large sur toutes les implications du maintien d’un bon système des pensions. Ce doit être un débat qui ne change rien à la situation des gens à la retraite ou proches de l’être, mais un débat nécessaire pour ceux qui commencent à travailler aujourd’hui, pour qu’ils sachent ce qui leur arrivera dans 30 ou 40 ans, tout en tenant compte de l’histoire, de la pénibilité au travail, des années de cotisation.

C’est un débat de longue haleine dans lequel il faut intégrer non seulement les partenaires sociaux, mais aussi les partis politiques et la société civile. Il faut connaître les sentiments des gens face à ce sujet très important.

La réforme de 2012, à laquelle vous avez participé en tant que ministre des Finances, devait assurer le financement du système de pension pour les trente, voire cinquante prochaines années. Elle n’a pas suffi?

C’était une bonne réforme, mais elle n’a pas abordé l’ensemble des problèmes, dont la nécessaire croissance pour financer les pensions.

En outre, la situation générale a quelque peu changé au cours des dix dernières années, et il faut voir la situation dans les différents pays avoisinants et la situation des nombreuses personnes qui travaillent chez nous et qui repartent dans leur pays d’origine une fois retraitées

Je ne me prononcerai pas davantage sur un sujet qui sera débattu à la fin de cette année, début de l’année prochaine.

Y a-t-il lieu de s’affoler?

Je ne crois pas, non, mais un gouvernement doit s’occuper des problèmes à moyen et long terme.

À quoi ressemblera le plan Marshall que le gouvernement annonce pour la transition énergétique et la digitalisation?  

La transition digitale et écologique va coûter beaucoup d’argent. Elle est absolument nécessaire pour que notre société réussisse à prévenir le changement climatique, et pour que notre économie reste compétitive. Un État moderne a besoin d’une digitalisation accrue.

Pour financer ce plan, nous devons mettre sur pied un raisonnement financier à moyen et à long terme, et en même temps étudier des financements alternatifs. L’État ne doit pas tout absorber.

Une partie reviendra aux entreprises, avec des soutiens étatiques là où c’est possible, mais aussi un mélange entre public et privé pour réussir cette double transition.

« Le mur des pensions a reculé à cause de notre forte croissance, sujet qui génère un vrai débat de société également ». (Photo : Julien Garroy)

Un partenariat public-privé, comme pour le logement. Que pouvez-vous nous dire sur les premières mesures?

Les premières réunions ont eu lieu entre les ministres compétents pour échanger sur les grandes lignes du programme de coalition. Mon ambition est de faire adopter par le Conseil de gouvernement, avant les vacances de carnaval, les mesures fiscales pour relancer la construction et le logement, comme les deux sont liés.

Il y a urgence en la matière et je voudrais que les gens investissent à nouveau dans la pierre par le biais de ces mesures fiscales pour éviter une crise du secteur de la construction avec tous les dommages sociaux que cela entraînerait.

Dans une deuxième étape, les réformes en matière de procédures environnementales et de plans d’aménagement devront être menées, mais elles prennent évidemment un peu plus de temps.

Les mesures fiscales suffiront-elles pour la relance?

Ce sont des incitatifs fiscaux pour encourager les investissements dans le logement locatif et abordable, valables pendant deux ans pour donner un coup de pouce au secteur.

Il s’agit de mesures relatives à la taxation des plus-values, à l’amortissement accéléré, au crédit d’impôt dit « Bëllegen Akt« .

La place financière, qui assure le train de vie du pays, peut-elle encore rester assez solide pour le servir?

Je crois qu’un pays comme le nôtre a besoin d’un secteur des services important, à côté de l’industrie, du commerce, de la logistique et d’autres secteurs, mais c’est un secteur qui mérite toute notre attention. Nous devons donc veiller à ce qu’il reste toujours compétitif par rapport à d’autres centres comme Paris, Francfort, Dublin et Londres. Tel est l’objectif du nouveau gouvernement.

Nous avons développé, au Luxembourg, un cadre légal et un savoir-faire uniques et qu’il faudra continuer à adapter, notamment dans le domaine de la finance verte, mais aussi dans le secteur des fonds d’investissement. Je crois que cela est possible et c’est l’ambition du gouvernement.

Comment se porte-t-elle? Est-elle fragile?

Elle se porte bien, elle est bien évidemment en situation de concurrence, mais je ne pense pas qu’elle soit fragile. Je dirais plutôt qu’elle est forte et notre rôle est de veiller à ce que la place financière reste attractive, parce que nous sommes en compétition avec d’autres pays.

Vous retrouvez le club européen et cette Union que vous défendez corps et âme. Cependant, a-t-elle changé en dix ans?

L’Europe est plus que jamais nécessaire pour notre pays. Sans elle, pas de paix, de sécurité et de prospérité pour le Luxembourg. L’Europe a fondamentalement changé par rapport à la guerre contre l’Ukraine qui nous a rappelé que l’Europe reste un projet de paix, ce qui a été oublié dans certains pays.

L’Union doit être renforcée, en termes politiques, économiques, voire militaires, face aux autres grands géants que sont les États-Unis et la Chine. Cette tâche a toujours été difficile, parce que nous sommes 27 États souverains. Lors de mes premières réunions avec les chefs d’État et de gouvernement, j’ai pu comprendre qu’il y avait un grand consensus pour faire de l’Europe un havre de paix, de démocratie, de prospérité qui est différent des autres pays. Nous discutons plus des moyens pour y aboutir que des objectifs, et cela me rassure.

Quelles sont vos attentes en vous rendant en Hongrie, en visite chez le Premier ministre Orbán?

Je suis fondamentalement opposé à bon nombre de déclarations faites par le Premier ministre hongrois, mais j’estime que dans une Europe à 27, il faut s’entretenir avec chacun, que la politique d’isolement n’est pas une bonne politique.

Surtout, la Hongrie va avoir la présidence de l’Union européenne à partir du 1er juillet et ne pas parler aux Hongrois ne me semble pas être la bonne attitude. Pour le reste, je me rappelle avec émotion ma visite en Hongrie en 2007 en ma qualité de ministre de la Justice à l’occasion de l’entrée du pays dans la zone Schengen.

J’ai vu les larmes de joie de citoyens hongrois à la frontière. Ils nous remerciaient de les avoir pris dans la famille européenne. C’est la raison pour laquelle j’ai dit que le peuple hongrois n’est pas antieuropéen. Visiter les 27 pays, c’est mieux comprendre le sentiment des peuples, au-delà de leurs dirigeants.

L’Europe a perdu deux grands noms de sa construction, Jacques Delors et Wolfgang Schäuble. Que retenez-vous d’eux?

D’abord, ils savaient tous deux que l’Europe était essentielle pour la paix et la prospérité. De Delors, que je n’ai pas connu, je me suis inspiré des idées du marché unique, d’Erasmus et j’ai fait mes premiers discours à l’université sur l’acte unique européen, un instrument économique au service des idéaux politiques.

C’est la raison pour laquelle j’ai assisté à l’impressionnante cérémonie aux Invalides à l’invitation du président Macron. Schäuble, que j’ai connu pendant de nombreuses années, est devenu un ami et j’appréciais la dimension intellectuelle qui l’animait.

C’était quelqu’un qui respectait les pays voisins et les petits pays. J’ai surtout appris de lui la détermination et la discipline personnelle qui consiste à braver les difficultés tout en maintenant le cap.