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[Littérature] Une pétillante rentrée hivernale


Le Quotidien a sélectionné pour vous 14 livres de cette rentrée hivernale. (Photo illustration Pixabay)

C’est la rentrée ! Au menu d’ici fin février, pas moins de 482 romans et récits. Une reprise illuminée par le roman évènement de Régis Jauffret et l’ultime livre de Russell Banks. Et pour que le plaisir soit total, Le Quotidien en a sélectionné douze autres, tous aussi enthousiasmants.

Neuf Rencontres et un amour, Jérôme Attal. Fayard

Ce fut une brève rencontre. Une histoire éphémère entre Antonin Artaud, dramaturge, écrivain et poète français, et Anaïs Nin, écrivaine hispano-franco-américaine. Une passion, folle, ou plus exactement «dingue» qui, au romancier, chanteur et parolier Jérôme Attal, a inspiré Neuf Rencontres et un amour. L’auteur se garde de dater l’histoire. Cependant quelques indices laissent penser qu’elle s’est déroulée au printemps 1933. Les deux vont se rencontrer une première fois au domicile d’Anaïs, qui fut l’amante d’Henry Miller et de sa femme Jude. Artaud, le poète maudit et fauché, est attiré par elle. Ils vont se voir à neuf reprises. Ils discutent, fument, quelques baisers, rien de plus. Suffisant en tout cas pour tisser un roman de l’amour passionnel.

Mon nom dans le noir, Jocelyn Nicole Johnson. Albin Michel

Voici une nouvelle voix venue de Charlottesville, Virginie. Elle s’appelle Jocelyn Nicole Johnson, enseigne l’art à l’université et signe cette année son premier roman, Mon nom dans le noir (paru originellement outre-Atlantique en 2021). À sa sortie, il fut salué par le New York Times qui rappelait alors que ce livre s’inspirait des émeutes de Charlottesville et de l’invasion du Capitole à Washington en janvier 2021. Dans son roman, elle raconte une Amérique touchée, dans un futur proche, par les catastrophes climatiques et les pannes massives. Avec un groupe, une jeune femme noire, Da’Naisha Love, échappe aux suprémacistes blancs, et trouve refuge à Monticello, la plantation de Thomas Jefferson. La vie s’y organise, mais la terreur approche…

Le Grand Magasin des Rêves, Lee Mi-ye. Éditions Picquier

Le Grand Magasin des Rêves, premier roman de Lee Mi-ye. Après la K-pop qui emplit les oreilles de la sono mondiale, aurait-on là avec ce livre la perspective d’une K-littérature? Avec plus d’un million d’exemplaires vendus dans son pays, la jeune romancière (diplômée en ingénierie et ancienne collaboratrice de Samsung) a imaginé une ville où l’on peut se rendre seulement quand on dort. Là, le lieu le plus prisé est le Grand Magasin des Rêves, quatre étages, lumières étincelantes. On peut y acheter tous les rêves, les cauchemars, les songes prémonitoires. Ce magasin, au fil des pages, on va le découvrir, le fréquenter avec la jeune Penny, réceptionniste au rez-de-chaussée. À vos oreillers ! 

L’événement

Dans le ventre de Klara, Régis Jauffret. Récamier

(Photo DR)

Depuis un long moment, on le sait : avec Régis Jauffret, on a un écrivain de grand talent, qui n’a pas peur de secouer le monde des lettres. Alors, quand arrive son nouveau roman, rien d’étonnant à ce que cela soit un événement. Ainsi en est-il avec sa nouvelle (formidable) production, Dans le ventre de Klara. Et quand on referme ce livre, on se dit que, oui, il n’y a que Jauffret pour se lancer dans une telle histoire. Après des microfictions et autres textes sur ce père autrichien qui avait séquestré sa fille, sur DSK, ou encore Gustave Flaubert, le romancier s’est lancé dans un projet fou, abrasif, totalement «borderline».

En effet, seul lui pouvait tenter de relever le défi : raconter, entre réalité et fiction, les neuf mois de grossesse de Klara, la mère d’Adolf Hitler, qui deviendra le dictateur le plus féroce de tous les temps, l’incarnation du mal absolu. Le roman court de juillet 1888 à avril 1889 et est raconté par Klara Hitler, partagée entre l’amour maternel et les visions des crimes futurs de son enfant. Basé sur des documents rares, voici le récit d’une grossesse funeste, d’une jeune femme mise enceinte par «Oncle». Une femme qui confie : «Assise au fond de ma tête, je suis le cocher minuscule aux rênes de nerf et de muscle qui pilote ce véhicule humain dont l’enfant est un voyageur vautré dans le ventre obscur…». Une femme qui rapporte aussi les mots de son mari : «Promets-tu de mettre au monde un petit Hercule?». Au bout, une perspective intime sur le développement du fœtus destiné à incarner l’horreur du nazisme et de la Shoah.

La Fantaisie, Murielle Magellan. Mialet-Barrault

Pour décor et cadre de vie, une tour dans une banlieue parisienne. Il y a Mona, qui sort péniblement d’une longue dépression. Elle est le personnage principal de La Fantaisie, le septième et très réussi roman de Murielle Magellan, également cinéaste, scénariste et dramaturge. Donc, Mona se lance dans une opération reconstruction. Elle s’installe dans un minuscule appartement – pour accéder au lit-mezzanine, les marches sont des casiers de rangement et l’un est scellé. Elle y trouve un manuscrit que le précédent habitant, un jeune homme, a laissé vingt ans auparavant. Le texte est empli de drôlerie, d’humour. Elle a envie de retrouver l’auteur des mots. Y parviendra-t-elle? Vingt ans plus tard, que restera-t-il des rires, de la fantaisie ?

Jusqu’à ce que mort s’ensuive, Olivier Rolin. Gallimard

Le roman de l’éblouissement, de l’intelligence. Un titre magnifique, Jusqu’à ce que mort s’ensuive. Un auteur de la meilleure réputation, Olivier Rolin qui, dans le passé, avait régalé avec, entre autres, Le Météorologue ou Sibérie. Cette fois, comme l’indique le sous-titre («Sur une page des Misérables»), l’écrivain s’aventure dans les pas de Victor Hugo. Et de deux de ses personnages : Emmanuel Barthélémy, l’ouvrier «gamin tragique», et Frédéric Cournet, le marin géant truculent. Avec ces deux-là, on est sur les barricades de l’insurrection parisienne de juin 1848. Barthélémy et Cournet ne sont pas des personnages de fiction, ils se battent du même côté, mais vont devenir des ennemis mortels. Un roman formidablement épique, furieusement révolutionnaire.

10, villa Gagliardini, Marie Sizun. Arléa

«C’est quand ils quittent la maison qu’ils la regardent», assurait Marguerite Duras dans La Vie matérielle. De ces mots, romancière et nouvelliste de grand talant, Marie Sizun s’est inspirée. Et est retournée dans le petit appartement qu’enfant, elle a partagé avec sa mère dans le XXe arrondissement parisien. Elle en propose un récit délicat, 10, villa Gagliardini. «J’ai deux ans et je suis dans l’appartement. Ce qu’il y avait avant, je ne m’en souviens pas», confie l’auteure. Elle écrit : «C’est mon écorce, ma coquille, mon nid… Il est mon enfance et quelque chose de plus, comme un secret». Inévitablement, se souvenir des belles choses. Ce que fait et écrit élégamment Marie Sizun.

Un soir d’été, Philippe Besson. Julliard

L’été 1985, l’île de Ré, un groupe de six jeunes – cinq garçons et une fille… Depuis bientôt un quart de siècle, chaque début d’année, Philippe Besson se glisse en librairies. Il garde ses habitudes avec Un soir d’été et prend goût à l’autofiction car, cette fois, il raconte l’été de ses dix-huit ans. Insouciance, frivolité, joie avec François attiré par Alice (la plus jolie fille de la plage), Marc qui fraie furtivement avec Philippe et Nicolas qui vit, depuis l’an passé, sur l’île avec sa mère. Il transpire la mélancolie. Un soir de juillet, la bande décide d’une sortie en boîte de nuit. Nicolas, lui, disparaît. Que lui est-il arrivé ? On ne le saura jamais. Des années après, dans la ville où il habite désormais, un passant, Philippe croit reconnaître un visage, une démarche…

Élixir, Kapka Kassabova. Marchialy

Elle est née il y a cinquante ans à Sofia (Bulgarie), a grandi en Nouvelle-Zélande et vit en Écosse. Romancière, Kapka Kassabova a été récompensée pour ses écrits à de nombreuses reprises (dont le prix Nicolas-Bouvier), elle est de retour avec l’éblouissant Élixir. Pour l’occasion, elle est revenue au pays natal, dans la vallée, à la fin des temps. Elle s’y est posée dans la Mesta, montagne à l’écosystème préservé. Dans ce texte du grand air en quatre actes, l’auteure raconte des plantes de toutes tailles, formes et couleurs. Plus qu’un traité sur le bienfait des plantes, c’est un hommage à ces femmes et hommes, voyants, poètes et guérisseurs qui possèdent ce savoir ancestral pour fabriquer l’élixir. Un roman pour le respect de la Terre, une ode à la nature !

Une sale affaire, Virginie Linhart. Flammarion

Soudain, le téléphone sonne. On est en 2020. La romancière-documentariste Virginie Linhart décroche, son éditrice lui annonce un problème : la maison d’édition vient de recevoir une mise en référé pour L’Effet maternel, son livre à paraître quelques jours plus tard. Sa mère et son ex-compagnon qui l’a plaquée il y a vingt ans alors qu’elle était enceinte réclament pas moins de 68 coupes dans le manuscrit. Aujourd’hui, avec Une sale affaire, Virginie Linhart chronique l’événement. Raconte la justice, les avocats, la pêche aux témoignages, le procès – sa mère et son ex-compagnon là, tout près… Sans la moindre animosité dans l’écriture, l’auteure pose de nombreuses questions. Qu’est-ce que la littérature et, surtout, que peut-on écrire ?

Le coup de cœur

Le Royaume enchanté, Russell Banks. Actes Sud

(Photo AFP)

Le grand Paul Auster est catégorique, évoquant Le Royaume enchanté de Russell Banks : «C’est le meilleur livre qu’il a écrit». Le meilleur, et son dernier, aussi. Né en 1940, écrivain progressiste américain, Russell Banks est mort en janvier 2023 après avoir bouclé The Magic Kingdom (Le Royaume enchanté en VF). Cette fois encore, comme il l’avait déjà fait dans Oh, Canada, l’auteur met en scène un homme qui se souvient.

Ainsi, en 1971, Harley Mann, alors 81 ans, rencontre sa vie à un magnétophone. Une vie qui va tenir sur quinze bobines. Bobine #1 : «C’est Harley Mann qui parle. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. Les mots me sont tombés de la bouche. Faut croire que je ne suis pas habitué à ce mode de communication. Je m’enregistre sur un Grundig TK46 flambant neuf que j’ai acheté hier quand je suis allé à Orlando en voiture depuis chez moi en voiture (…) pour assister à l’ouverture officielle du parc de loisirs gigantesque de Walt Disney». Et Harley Mann de se raconter. Son adolescence, l’installation de la famille dans des marécages de Floride.

Aussi cette communauté – pieuse et abstinente – de Shakers dont le credo est clair : «Les mains au travail et le cœur à Dieu». Problème : dans ce «royaume enchanté», Harley est tombé amoureux d’une jeune femme, leur relation ne pourra être que clandestine et sa loyauté envers les Shakers sera brisée. Entre mémoire et imagination, voici un grand roman d’un implacable chroniqueur dont le style risque de manquer.

Ça saigne encore, Paolo Nori. Philippe Rey

À quoi tient le goût de la lecture? Parfois, à presque rien. À un livre sans âge et sans couverture. Ainsi, le jeune Paolo Nori a récupéré un tel objet de son grand-père. C’est le coup de foudre immédiat, le jeune homme happé, emmené, bouleversé par ce Crime et châtiment du romancier russe Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski. Il étudie le russe, enseigne, traduit, écrit. En 2020, il se lance dans l’écriture d’une biographie de son écrivain adulé, le fait apparaître en archer dont les flèches «font saigner», parce qu’elles touchent le fond de l’âme… On croise d’autres géants de la littérature russe (Tourgueniev, Pouchkine, Gogol, Tolstoï) et aussi des membres de la famille Nori, dont sa compagne surnommée «Togliatti» comme l’ancien secrétaire du PC italien! Une déclaration d’amour à la lecture, capable de changer le cours d’une vie.

Neuf Vies, Peter Swanson. Gallmeister

Point de départ : neuf personnes. Aucun lien entre elles. Elles reçoivent, au même moment, une lettre dans laquelle sont inscrits neuf noms dont le leur. Est-ce une plaisanterie ? Une erreur ? Un courrier sans intérêt notable? Mais deux des neuf personnes sont retrouvées mortes : c’est le début d’un compte à rebours qui va ponctuer Neuf Vies, nouveau roman de l’Américain Peter Swanson (déjà remarqué pour Huit Crimes parfaits). C’est alors, tandis que d’autres meurtres sont révélés, qu’entre en jeu Jessica Winslow, agente du FBI. Elle se fixe pour objectif de tirer au clair cette affaire. Précision : son nom figure sur la liste. Pour ce polar parfaitement mené, Peter Swanson ne cache pas s’être grandement inspiré de Dix Petits Nègres d’Agatha Christie.

Très chers amis, Gary Shteyngart. Éditions de l’Olivier

Après un traité du savoir-vivre, un voyage en Absurdistan et le conte d’une triste histoire d’amour, Gary Shteyngart, romancier américain né en Russie, livre un sixième et enthousiasmant roman, Très chers amis. Un roman follement covidé, puisqu’il met en scène, lors du début du confinement en 2020, Sacha Senderovski, écrivain, sa femme Macha, psychiatre, et leur fille adoptive Natacha, enfant précoce obsédée par la K-pop. Chez eux, il convie cinq amis pour y vivre le temps de la pause pandémique. La troupe est composée d’intellectuels, le cadre est idyllique mais, dans cette retraite forcée, ça va vite tourner aux affrontements! En maître du second degré, Gary Shteyngart signe un texte cinglant. Oui, qu’il est doux d’être confinés quand la pandémie fait rage !

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