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L’interdiction de la mendicité «indigne d’un État de droit» pour le CCDH


La Commission consultative des droits de l’homme rappelle au gouvernement que la mendicité ne peut être interdite et émet des gros doutes.  (Photo : archives lq/didier sylvestre)

Le règlement communal contre la mendicité doit être abrogé car il porte atteinte à la dignité des plus pauvres, devenus indésirables. La CCDH remet ainsi le gouvernement à sa place.

Indigne d’un État de droit.» À la veille du débat qui doit se dérouler aujourd’hui à la Chambre des députés sur le sujet, la Commission consultative des droits de l’homme adresse un rappel à l’ordre au gouvernement concernant l’interdiction de la mendicité. Cependant, le Premier ministre, Luc Frieden, a tenu à préciser sur les ondes de la radio 100,7, hier matin, que la décision d’interdire la mendicité ne revenait pas au gouvernement mais au ministre de l’Intérieur, Léon Gloden, néanmoins soutenu par tous les membres du gouvernement.

Le ministre Gloden a en effet autorisé le conseil échevinal de la capitale à changer son règlement de police, ce que sa prédécesseure, Taina Bofferding, avait refusé de valider. Déjà longuement critiquée par l’opposition, cette interdiction vient d’être commentée par la CCDH qui rappelle que la mendicité simple est toujours autorisée comme le formule le code pénal, contrairement à ce que le ministre de l’Intérieur a affirmé. La CCDH se réfère à une jurisprudence du tribunal de Diekirch.

Si le gouvernement veut restreindre certaines libertés dont le droit de mendier, il faut respecter les principes de légitimité et de proportionnalité. Surtout, c’est à travers une loi que ces restrictions s’opèrent. Or, la CCDH observe qu’aucune base légale n’existe en la matière, vu qu’un règlement de police d’une commune ne peut être considéré comme une «loi» au sens de l’article 37 de la Constitution et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. «Le décret du 28 décembre 1789 paragraphe L, que le gouvernement considère comme base légale dudit règlement, ne remplit pas non plus le critère de légalité car il manque de précision, de prévisibilité et de garanties contre les abus de la part des autorités», ajoute la Commission.

Elle critique encore le manque de clarté dans les objectifs poursuivis. Que veut le gouvernement? Selon Léon Gloden, il veut supprimer la mendicité agressive ou organisée. Le règlement proposé ne fait pas de distinction et vise la mendicité en général, pourtant. Et encore faudrait-il définir avec précision ce qu’est la mendicité agressive et si cette interdiction pourrait l’éradiquer.

Le droit européen contourné

Si le gouvernement affirme qu’il n’a pas adopter une interdiction généralisée de la mendicité, le fait de la chasser des rues de la capitale de 7 h à 22 h équivaut au même objectif. C’est une façon de contourner le droit européen qui veille à ce que les mendiants soient toujours tolérés.

La CCDH adhère difficilement à l’argument avancé par le gouvernement qui entend lutter contre la traite des êtres humains quand il évoque une mendicité organisée. Léon Gloden avait évoqué les «grosses berlines allemandes immatriculées à l’étranger» qui venaient déposer les mendiants dans la capitale.

«En tant que rapporteur national sur la lutte contre le fléau de la traite des êtres humains, la CCDH est particulièrement choquée par ce raisonnement», indique-t-elle. Il faut avant tout punir les auteurs et non les victimes, insiste la CCDH, car dans le cas contraire, «le Luxembourg bafouera non seulement les droits fondamentaux des victimes de traite mais réduira aussi à néant toute chance de collaboration avec les autorités».

Tout en reconnaissant l’existence de tels réseaux organisés, elle regrette que l’accord de coalition «fasse un amalgame entre ces deux phénomènes tout en ignorant les autres formes de traite». Dans cette lutte, il faut des moyens et «aider les victimes au lieu de les stigmatiser».

Un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, datant de 2021, précise bien qu’une personne a le droit de demander de l’aide à autrui. «Cet arrêt cite la rapporteuse spéciale des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, selon laquelle la motivation de rendre la pauvreté moins visible dans une ville et d’attirer des investissements n’est pas légitime au regard des droits de l’homme.»

Le gouvernement a opté pour «une approche réductrice et culpabilisante pour les personnes en situation de précarité». Le gouvernement a beau répéter, pour justifier sa décision, que les pauvres et les sans-abri sont pris en charge en cas de besoin, la CCDH, elle, exhorte le gouvernement à s’interroger sur les raisons pour lesquelles certaines personnes ne veulent ou ne peuvent pas recourir aux services disponibles au Luxembourg. Si le gouvernement Frieden veut réellement lutter contre la pauvreté, il faudrait commencer par suivre les recommandations des acteurs de terrain.

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