Le ministre des Classes moyennes, Lex Delles (DP), étudie les revendications des artisans en proie à des problèmes récurrents de pénurie de main-d’œuvre, alors qu’ils craignent de subir le même sort que le secteur Horeca.
Une étude représentative publiée par la Chambre des métiers met en exergue le besoin structurel en main-d’œuvre, «un des défis stratégiques majeurs dans les années à venir». Le développement des compétences est une des priorités pour assurer la survie des petites et moyennes entreprises. La pénurie de main-d’œuvre n’arrange rien à leur situation fragile, d’autant qu’elles déploient déjà moult efforts pour retenir leurs salariés actuels. Le ministre des Classes moyennes, Lex Delles (DP), est ouvert à toutes les pistes qui pourraient mener à aider les PME, actuellement dans une passe difficile due à la crise dans le bâtiment.
Quand le bâtiment va, tout va. Mais en ce moment, il va mal et les artisans craignent, plus encore que les faillites, la fuite de la précieuse main-d’œuvre, comme le secteur Horeca l’a vécue au cours de la pandémie. Comment comptez-vous réagir pour aider les PME?
Lex Delles : La fuite de la main-d’œuvre est un très grand danger, on a vu effectivement dans le secteur Horeca qu’elle n’est pas revenue après la pandémie. Nous avons 8 500 entreprises artisanales et je suis content que le ministre du Logement, Henri Kox, organise les Assises du logement le 22 février prochain pour aborder cette problématique. Il est déjà en discussion pour le rachat de certains projets afin d’aider le secteur. Tout logement qui n’est pas construit aujourd’hui manquera demain et nous ne rattraperons pas ce retard, d’où l’urgence de réagir dans ce dossier.
Les artisans attendent des solutions et pas une analyse de la situation, qu’ils connaissent déjà…
Quand on analyse leurs revendications, nous constatons que nombre d’entre elles sont de nature fiscale. Le nombre de ventes en l’état futur d’achèvement est en chute libre et il faut donc discuter de la manière de procéder pour stabiliser le secteur. Nous étions déjà dans une crise du logement et elle va empirer. On parle du secteur de l’artisanat parce qu’il est le premier touché. Mais un appartement qui n’est pas construit, c’est une cuisine, une salle de bains et de l’ameublement qui ne sont pas livrés. Alors, il y a urgence à réagir et, le 22 février, nous allons discuter des voies de sortie possibles de cette crise.
Que peut-on attendre à quelques mois d’une échéance électorale?
Ce n’est pas une question électorale, mais d’urgence nationale. Il faut trouver des solutions pour l’avenir du Luxembourg parce que la crise du logement nous a déjà causé d’autres problèmes, aussi liés à l’attractivité du pays. Nous devons assurer que, notamment, les jeunes puissent avoir accès à un logement abordable. Un ralentissement de la construction a un effet contre-productif que nous devons contrecarrer.
La pénurie de main-d’œuvre est aussi liée à l’attractivité du pays et les députés en ont débattu mardi dernier. En faites-vous une priorité?
La pénurie de main-d’œuvre existait avant la pandémie, elle a pris de l’ampleur, puis s’est stabilisée et aujourd’hui elle est moins importante qu’il y a trois mois. La pénurie de main-d’œuvre est un problème au niveau international et les pays limitrophes sont dans la même situation que nous, et il faudra trouver là aussi des solutions. Nous sommes en contact régulier avec la Chambre des métiers et la Chambre de commerce, parce que cette pénurie touche tous les secteurs. Le gouvernement s’est doté d’une stratégie d’attraction des talents, mais on ne parle pas uniquement de profils hyper-spécialisés, surtout quand on pense à la transition énergétique : si on veut construire des panneaux photovoltaïques, il faut les personnes adéquates pour les installer. Nous travaillons à différents niveaux.
Lesquels?
D’abord, sur la formation initiale, qui est très importante. Ensuite, sur la formation continue, parce que le mécanicien ou le couvreur d’hier n’est plus celui d’aujourd’hui. Les centres de compétences de l’artisanat sont très importants pour la transition énergétique. Si on ne trouve pas les compétences auprès de ces personnes, on ne pourra pas gérer la crise énergétique. Le secteur de l’artisanat a une double obligation, celle de réduire sa production de CO2 dans sa propre entreprise, mais aussi celle de la société luxembourgeoise.
Que pensez-vous de la proposition de la Chambre des métiers de réformer les conditions d’accès au marché de l’emploi pour les pays tiers?
Je pense qu’il faut creuser toutes les pistes, car le problème de main-d’œuvre n’est pas uniquement un problème luxembourgeois, mais européen.
Les députés ont débattu également de l’organisation du travail, autre grande priorité pour les entreprises artisanales, qui se plaignent d’un manque de flexibilité. Le fameux plan d’organisation du travail (POT) n’était donc pas le bon dispositif?
Le gouvernement a annoncé une analyse de ce POT qui nous permettra de l’évaluer. Les patrons me disent qu’il est très peu utilisé et il faut savoir pourquoi. Peut-être est-il trop contraignant? Nous verrons.
La priorité du gouvernement était de conserver le pouvoir d’achat des ménages
Les patrons vont faire face à une augmentation de salaire de près de 10 % entre la hausse du salaire social minimum et les trois tranches indiciaires annoncées. Comment les rassurez-vous?
L’aide principale qu’un gouvernement peut fournir pour pérenniser les entreprises, c’est d’assurer du pouvoir d’achat aux ménages. On remarque, à partir des études du Statec et d’Eurostat, que le Luxembourg figure parmi les pays qui enregistrent la plus faible inflation au niveau européen. On voit bien que les mesures décidées lors des deux tripartites ont bien aidé le secteur. Il était primordial de créer un bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité pour contenir l’inflation. Parallèlement, nous avons aussi conservé le pouvoir d’achat à travers les crédits d’impôt et les tranches indiciaires. Le Statec vient de confirmer que le pouvoir d’achat moyen est supérieur en 2022 et 2023 par rapport à 2019, et que celui des ménages les plus modestes augmente alors que celui des ménages plus aisés ralentit. Cela démontre l’efficacité des mesures prises. Le Luxembourg a connu une croissance économique bien plus importante que la moyenne européenne après le pic de la pandémie, grâce aussi aux aides aux entreprises, de l’ordre de 587 millions d’euros pour les seules classes moyennes, donc entreprises et indépendants, auxquelles s’ajoute tout le chômage partiel pour aider les salariés à conserver leur emploi.
Les salaires participent à l’attractivité du pays. Mais pour faire digérer les galères des frontaliers sur leur trajet, il faut en faire plus… Des idées?
Il y a toujours cette flexibilité qui fait défaut. Le POT a été voté en 2016 et on sait que le « one size fits all« ou autrement dit en français « la taille unique« , ne fonctionne pas, je le pense personnellement. Une entreprise dans un même secteur est déjà différente d’une autre, comme un salarié qui a des besoins d’organisation qui diffèrent de ceux d’un autre salarié.
Le ministre de la Mobilité et le gouvernement dans son ensemble font énormément d’efforts. Ces dernières années, le budget pour les investissements dans ce domaine de la mobilité a sensiblement augmenté, ce qui aide aussi d’ailleurs le secteur de la construction. Mais si le trafic augmente, le rayon géographique des personnes qui viennent travailler au Luxembourg diminue. La question n’est pas seulement de savoir comment j’arrive au travail, mais comment j’organise ma journée de travail. Le télétravail est important et la ministre des Finances, Yuriko Backes, fait d’énormes efforts avec ses homologues des pays frontaliers pour trouver des accords qui permettent d’augmenter les jours de télétravail. Pour l’artisanat, c’est plus difficile, d’où l’importance de la flexibilité dans l’organisation du temps de travail. Il y a aussi les coworking spaces (NDLR : espaces de cotravail), aux abords des frontières qui se multiplient, pas assez encore à mon goût, mais Rome n’a pas été construite en un jour. Le ministre Marc Hansen travaille sur ce dossier aussi.
Les artisans attendent toujours que le gouvernement se préoccupe du statut de l’indépendant. Où en êtes-vous?
Georges Engel, le ministre du Travail, a déposé un projet de loi à ce sujet. C’est un premier pas vers une ouverture du chômage partiel en cas de fermeture administrative. L’indépendant pourra ainsi avoir accès à un revenu de compensation pour la durée de la fermeture. Actuellement, le chômage complet des travailleurs indépendants ne lui est pas applicable, car il ne s’agit pas d’une cessation d’activité en raison de difficultés économiques et financières, ou pour des raisons médicales, mais d’une fermeture temporaire, et le chômage partiel se limite aux salariés. Il fallait corriger cette inégalité.
Les 500 millions gagnés sur le déficit initialement prévu, que Yuriko Backes veut transformer en cadeaux fiscaux, n’auraient-ils pas été mieux investis dans le logement abordable?
Nous avons des discussions sur l’équité fiscale. Le gouvernement, il y a cinq ans, avait comme projet de mener une réforme fiscale. Maintenant, on a vu à travers les différentes crises que d’énormes sommes ont dû être déboursées pour atteindre le niveau qui est le nôtre aujourd’hui. L’accord de coalition n’avait pas prévu les crises successives, mais la priorité du gouvernement était de conserver le pouvoir d’achat des ménages. Concernant les investissements dans le logement abordable, je rappelle que les députés ont voté en faveur d’une motion qui invite le gouvernement à encourager le Fonds de compensation à soutenir la création de logements à coût modéré. C’est plutôt positif.
Combien de temps le gouvernement pourra-t-il maintenir l’économie sous perfusion?
Le gouvernement a annoncé que s’il avait une marge de manœuvre, des adaptations seraient faites. C’est le cas aujourd’hui, donc le gouvernement discutera pour répondre à cette question.
Et boum: Je dirais qu’on est bel et bien en train de se casser le nez contre le fameux « mur des retraites » dont parlait Jean-Claude Juncker il y a 20 ans! Certes, nous choisissons la facilité en faisant venir beaucoup de monde, mais la migration ouverte n’est pas non plus la solution à tout. Eh oui: Le Luxembourg est le pays en Europe où les gens partent en retraite le plus tôt… Peut-être faudrait-il aborder cette question là aussi!