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Les Francofolies plantent leur tente à Esch


(Photos : julien garroy)

Durant cinq jours, et avec près de 15 000 festivaliers au compteur, les Francofolies se sont pour de bon enracinées à Esch-sur-Alzette. Un voeu pieux imaginé en 2017 enfin exaucé, dans un Gaalgebierg taillé pour la fête.

Il a fallu faire preuve de patience et de beaucoup d’entrain pour enfin voir les Francofolies à Esch, longtemps condamnées à une poisse qui semblait ne plus les lâcher. Il y a eu, en 2018, cette première édition «test» avec un Julien Clerc enroué et sans Shaka Ponk, puis une autre rabotée en 2021, en raison de la crise sanitaire et de ses jauges ultrarestrictives. Comme un symbole, c’est pour Esch 2022, capitale européenne de la culture, que les vannes se sont totalement ouvertes. Idéal pour montrer «l’image d’une ville verte et ouverte», loin de son passé sidérurgique et rugueux, avoue Pim Knaff, échevin à la culture.

Sur place, en effet, les deux symboles sont réunis : il y a déjà ce site superbe au Gaalgebierg, en pleine nature et déjà appréhendé l’an dernier. «Notre force, ça a été l’anticipation», clame Loïc Clairet, directeur des Francofolies d’Esch. Tout semblait ainsi rouler comme une vieille habitude, sur un généreux emplacement où se répondaient stands associatifs (branchés développement durable), de multiples tentes pour se rassasier, deux scènes et beaucoup d’espace au frais pour se poser. Côté largeur d’esprit, l’ambition se remarque par un public bigarré (venu principalement de Belgique, de France et d’Allemagne) et une affiche tout autant diversifiée.

Après une version «adaptée», prévue pour un parterre réduit de 500 spectateurs, les Francofolies «made in Luxembourg» s’étalent donc en grand, affirmant leur statut de festival «européen» avec certes un très sérieux accent français. Marquer le coup, une bonne fois pour toutes, était important, vital même, ne serait-ce qu’en raison de ce partenariat avec le grand frère de La Rochelle, qui va courir jusqu’en 2027, comme le promet son grand manitou, Gérard Pont. Il ne fallait donc pas se planter afin d’imaginer la suite. En somme, anticiper déjà «l’héritage» de cette édition.

Dimensions écologique et collective

Avouons-le, sur les cinq jours, les faux pas sont restés anecdotiques, avec toutefois, en haut du podium, le concert de PNL, vendredi, retardé d’une heure, les deux frangins tant appréciés de la scène rap francophone étant habitués à n’en faire qu’à leur tête. Ce n’est sûrement pas ce qu’il faudra retenir des réjouissances (malgré ce qu’en disent les réseaux sociaux et les galères qui se sont ensuivies pour ramener le public au bercail). Non, l’essentiel est ailleurs et tient en quelques points : la dimension écologique d’abord, avec toute la panoplie qui va avec (circuit court de distribution, gestion des déchets, écoresponsabilité…). Une attention rappelée par le géant en bois du Danois Thomas Dambo dominant l’entrée du site.

Les faux pas sont restés anecdotiques avec toutefois, en haut du podium, le concert de PNL, vendredi, retardé d’une heure

Une dimension collective, aussi, avec un projet porté par une ville entière, où «tout le monde est intégré», sans voix opposante, dit Pim Knaff. Une programmation de qualité, enfin et surtout, soufflée et soutenue depuis La Rochelle, forte de sa longue expérience. Car quand il est question de la famille, on partage! Dans une ambiance bon enfant, plutôt familiale et «middle age», il y en a eu pour tous les goûts, des premiers évènements satellitaires (à la Kulturfabrik, à L’Arche de Villerupt et à l’Escher Theater) au grand ramdam du Gaalgebierg. Et c’est peu dire! Se sont ainsi croisés sur l’affiche les enfantillages d’Aldebert, la délicatesse des jumelles d’Ibeyi, la fureur metal et le piano «mainstream» de Sofiane Pamart.

L’équilibre musical était respecté, avec une sérieuse orientation hip-hop. Pas de quoi, en tout cas, faire la fine bouche

Sur le site, l’équilibre musical était plus respecté, avec une sérieuse orientation hip-hop. Pas de quoi, en tout cas, faire la fine bouche. Surtout que pour beaucoup d’amateurs de live, les Francofolies d’Esch étaient leur premier festival postcovid. Tout un symbole, chaperonné par 45 artistes qui ont fait retrouver au public leur «vie d’avant» : plusieurs noms étaient déjà prévus pour les éditions qui n’ont finalement pas eu lieu (en 2019 et 2020), dont la fameuse tête d’affiche du vendredi et cette longue attente. Ce qui, au passage, n’a pas empêché le monde, pourtant agacé, de s’agglutiner toujours plus contre la scène, réveillant même de vieilles peurs qui avaient disparu du temps des restrictions sanitaires. Ici, on s’inquiétait d’avoir été drogué à son insu à l’aide de seringues; là, on craignait de ne plus retrouver les copains partis s’enfoncer dans la foule. Aucun incident, heureusement, n’a été à déplorer.

Mieux que ça : PNL a immédiatement essuyé le mécontentement temporaire en déroulant un show qui ressemblait à un grand best of de 80 minutes, ponctué entre chaque titre par de chaleureux mercis. Même N.O.S., habituellement moqué – gentiment – par les fans pour se tromper régulièrement de paroles dans son couplet sur Blanka, titre phare de leur dernier album, a fait un rare sans-faute. Si le concert restera dans les mémoires, ce sera plus volontiers pour ses bons côtés.

«Tout peut arriver»…

En apothéose de ce week-end ensoleillé, un dimanche en plein cagnard sur la grande scène qui a commencé par un concert fou du rappeur luxembourgeois Maz, devant un parterre rempli. Et, tout devant, un trio de fans de Roméo Elvis ont attendu l’artiste tout l’après-midi, jusqu’à ce que le rappeur belge mette l’ambiance à partir de 19 h 30, à grands coups de hits énergiques (Drôle de question, Bruxelles arrive, Chocolat, le récent ChatChienChaud…) et de provocations doucement rigolotes («Le Luxembourg, c’est une région de Belgique, non? Je vous demande à vous, moi, je suis français…»).

On apprécie aussi, dans un registre similaire, l’infatigable taquinerie de Grand Corps Malade, qui s’est notamment fendu, samedi, de régulières blagues à l’adresse du public et d’un faux hommage à Louane sur scène à travers un écran géant. Quant à Roméo Elvis, la bête de scène qu’il est n’en a pas moins donné quelques sueurs froides à l’organisation avant de prendre le micro, en restant muet à toute interview et en modifiant sa «setlist» à la dernière seconde. Finalement, le titre de son tout nouvel album colle bien au personnage : Tout peut arriver.

Il était d’ailleurs tout bonnement impossible de trouver quiconque, parmi toutes les personnes qui ont foulé le sol du Gaalgebierg, qui ait été déçu. Il faut dire que dans ce décor absolument charmant, l’excellente programmation a trouvé un écrin qu’elle risque de chérir longtemps. Malgré tout, on a eu mal au cœur pour l’excellente Lala &ce, vendredi après-midi : la rappeuse lyonnaise, qui partage sa vie entre la France et Londres, a joué devant une poignée de personnes… Sans ambiance, donc, ce qui a quelque peu découragé l’artiste. Pour le coup, on ne peut que blâmer les organisateurs; celle qui, jusqu’au bout des «locks», incarne la relève féminine du «cloud rap» aurait certainement trouvé son bonheur si on lui avait accordé la petite scène dans l’heure qui précédait PNL. Sans compter que cela aurait servi d’échauffement idéal pour le public.

Public électrisé

Comme il est d’usage en festival, ce sont souvent les plus petites scènes qui apportent les plus belles surprises. Ce fut ici le cas, notamment avec la jeune Charles, gagnante de The Voice Belgique, qui a enchanté le lieu avec sa pop rêveuse, hantée par le spectre de Billie Eilish (elle s’est même risquée à une reprise de No Time to Die, seule au piano, pour un moment qui a donné des frissons). Lujipeka, lui, a transformé la scène, cachée sous les arbres, en une grande fête (avec des cadeaux, s’il vous plaît!) et, plus tôt dans la journée, Aloïse Sauvage – qui a remplacé au pied levé la chanteuse Poupie, tombée malade – a électrisé une fosse pleine à craquer.

La grande surprise, outre d’autres beaux moments offerts par Thylacine ou Pierre de Maere, restera la techno contagieuse et festive de Mezerg : pendant près d’une heure trente, le jeune homme, seul sur scène avec un piano et une boîte à rythmes, a décroché la mâchoire de tout le monde, y compris les rares personnes assises au fond, qui n’avaient plus assez d’énergie pour danser. Il est évident que, fortes d’une programmation aussi copieuse cette année, les Francofolies d’Esch ont en ligne de mire un retour encore plus fort, déjà annoncé entre le 8 et le 11 juin 2023. En voilà une bonne nouvelle. Clara Luciani a même pensé aux confettis!