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Les BD qu’il ne fallait pas manquer en 2022


Hoka Hey !, un western dans la plus pure tradition, mais vu du côté indien avec cette histoire de vengeance et de transmission. (Photo Rue de Sèvres)

Des histoires intimes, qui parlent de sport ou de famille, à la grande histoire, depuis l’Afrique à l’ex-URSS : voici nos BD préférées de 2022 !

Le poids des héros (David Sala, Casterman)

(Photo Casterman)

Après son adaptation d’un roman de Stefan Zweig (Le Joueur d’échecs), David Sala sort son livre de famille, marqué par l’héroïsme de ses deux grands-pères : Antonio Sotto de Torrado, résistant espagnol expédié au camp de Mauthausen, et Josep Sala, également républicain et réfugié, qui s’est retrouvé au cœur de la Résistance française.

Une troisième figure anime le récit : la mère de David Sala, militante infatigable des droits de l’homme. À la mort de celle-ci, l’auteur se voit attribuer un lourd héritage : la nécessité de garder en vie le courage et les sacrifices de ses aînés afin qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. Face aux douleurs et à la barbarie, il convoque ses souvenirs d’enfance et répond par un geste pictural de haute volée, avec des dessins aux couleurs explosives qui font penser à Klimt, Schiele ou Chagall. Traversant trois générations, Le Poids des héros parle de devoir de mémoire et de transmission, mais aussi de la nécessité d’affronter les démons du passé… pour s’en libérer.

Fleurs de pierre (Hisashi Sakaguchi, Revival)

(Photo Revival)

Quel est donc ce manga qui se présente sous la forme d’un roman graphique et se passe durant la Seconde Guerre mondiale? C’est Fleurs de pierre, sorti entre 1983 et 1986, premier long récit de Hisashi Sakaguchi, que les éditions Revival ressortent dans son découpage original. On y suit les mésaventures du jeune Krilo, embarqué en 1941 dans un conflit qui décime ses camarades et son village. On est alors en Yougoslavie, pays morcelé (aux cinq peuples, quatre langues, trois religions et deux écritures) envahi par les nazis.

Dans sa quête, qui consiste notamment à retrouver son frère et son amie, le garçon croise une galerie de personnages intrigants, tous confrontés à une question à double tranchant : faut-il collaborer ou résister? L’auteur ne détourne pas les yeux et montre toutes les horreurs du conflit, mais contrebalance avec de l’humour et des intrigues. Une œuvre archidocumentée qui n’a finalement qu’un seul défaut : il faudra attendre 2025 et quatre autres tomes pour en connaître l’issue.

Hoka Hey ! (Neyef, Rue de Sèvres)

(Photo Rue de Sèvres)

On avait l’habitude de croiser Neyef dans des ambiances sombres, voire horrifiques, marque de fabrique du label 619 aux penchants collectifs et gore (DoggyBagsMidnight Tales). Pour sa première escapade en solo, l’auteur change de registre : il sort les chevaux et s’en va vers l’Ouest! Un western dans la plus pure tradition, mais vu du côté indien avec cette histoire de vengeance et de transmission.

D’un côté, Little Knife et sa bande, Amérindien froid et violent à la recherche du meurtrier de sa mère. De l’autre, Georges, jeune Lakota élevé dans une réserve, qui ne connaît rien de ses racines. Entre les deux et le long de leur périple, des coups de feu et des cadavres, mais aussi des considérations sur l’écologie, l’identité, l’animisme, la colonisation, l’amitié, la liberté… Le tout servi par un dessin généreux qui laisse la place aux grands espaces américains, que l’on traverse au galop. Un beau voyage initiatique pour l’un des ouvrages de l’année. Que dire de plus? Peut-être «hoka hey!».

Slava (t. 1) (Pierre-Henry Gomont, Dargaud)

(Photo Dargaud)

On ne devrait plus présenter Pierre-Henry Gomont, un auteur qui, par ses fulgurances graphiques et ses personnages ultra-attachants, détonne dans le milieu. Il s’est attaqué, par le passé, à la dictature (le superbe Pereira prétend), aux liens du sang et du sol (Malaterre) et au fait divers rocambolesque (La Fuite du cerveau). Place à l’histoire, la grande, avec ce premier volet d’un triptyque sur la chute de l’URSS. On y suit deux pieds nickelés, genre Pierre Richard et Gérard Depardieu, plongés dans la neige, les roublardises et les tourments d’un pays déboussolé, où tout doit se reconstruire.

Une nouvelle comédie bien plus politique qu’il n’y paraît, car elle annonce, en creux, la Russie d’aujourd’hui. Mais une fois encore, Pierre-Henry Gomont donne de la légèreté à l’ensemble, habillant une séduisante galerie montée sur ressort d’un dessin plein de bonnes idées. Un récit sur le néo-capitalisme lucratif et corrompu qui s’apprécie à coups de verre de vodka. Mieux vaut affronter l’avenir gaiement.

La couleur des choses (Martin Panchaud, Çà et là)

(Photo Çà et là)

C’est assurément l’ovni de l’année. Il est l’œuvre de Martin Panchaud, auteur suisse pas comme les autres. En effet, ce dernier souffre, depuis tout petit, d’une dyslexie sévère. Un handicap qui l’oblige à trouver des solutions, comme ce robot qu’il emmène à chaque dédicace… La Couleur des choses, son premier ouvrage, est, lui aussi, singulier, uniquement composé de symboles géométriques et de pictogrammes. Dessinés en vue plongeante, tous les personnages sont représentés sous la forme de ronds de couleur. Pas de cases ni de bulles. Une abstraction totale!

Techniquement, on est entre le jeu vidéo, les schémas et les cartographies type Illustrator. Si, au départ, le procédé est déroutant, au fil de la lecture, il fonctionne à merveille et on suit avec plaisir les péripéties d’un adolescent souffre-douleur, mais chanceux millionnaire. Mise en scène dynamique, dialogues qui font mouche et rebondissements à gogo : un thriller à l’anglaise qui affirme qu’on peut être minimaliste et pertinent à la fois.

Perpendiculaire au soleil (Valentine Cuny-Le Callet, Delcourt)

(Photo Delcourt)

Valentine Cuny-Le Callet en est convaincue : la peine de mort ne devrait exister sous aucun prétexte. À 19 ans, elle entame une correspondance avec un prisonnier qui végète dans le couloir de la mort : Renaldo McGirth, 28 ans, incarcéré depuis près de dix ans en Floride, lui aussi assidu au dessin et à l’écriture. Après quatre ans d’une relation épistolaire avec celui qu’elle finira par rencontrer dans le quartier des condamnés, l’auteure en tire un essai, adapté ici graphiquement.

À quatre mains, à l’aide de gouache, de stylo-bille et d’autres techniques, ils tissent un récit poignant aux multiples allers-retours, dans et hors les murs. On y parle des conditions de détention, de racisme, d’amour, de solitude, de famille, de la mort, mais aussi de courage et de ténacité, tout ce qui fait la vie de prisonniers dont l’existence est en sursis. Une expérience d’un noir profond qui captive, sur plus de 400 pages, par son humanité. Amener de la beauté dans un monde qui en est dépourvu, voilà un geste des plus admirables.

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