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Lemi Ponifasio, tête de pont


Lemi Ponifasio. (photo Alfonso Salgueiro)

Le red bridge project, porté par le Mudam, le Grand Théâtre et la Philharmonie, semble avoir trouvé le candidat idéal dans sa volonté de «construire des ponts» entre les disciplines et les publics : le metteur en scène et chorégraphe Lemi Ponifasio.

Pour un projet XXL, il faut une personnalité d’une même carrure. Depuis 2017, le red bridge project s’évertue à la trouver, et après les passages, remarqués, de la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker et l’artiste sud-africain William Kentridge, il convie un personnage hors norme, qui a la force tranquille de celui qui porte en lui des convictions.

C’est vrai, Lemi Ponifasio est moins connu que ses deux prédécesseurs, mais cela tient sûrement à une humilité et une empathie qu’il porte en toute circonstance. À la Philharmonie, lors des présentations, il se dit ainsi certes «honoré» que l’on ait pensé à lui pour cette proposition «d’envergure», mais également «préoccupé» par ce qu’elle implique : «Il y a beaucoup d’argent et d’attentes en jeu», glisse-t-il. Oui, ce n’est pas rien.

Selon les confidences de Tom LeickBurns, la première rencontre avec Lemi Ponifasio remonte à 2014, quand «son» Grand Théâtre accueillait The Crimson House, pièce radicale, puissante, politique qui évoquait les racines de l’imposant créateur, né dans les Samoa, îles qui ne le quittent jamais vraiment, comme il le précise : «Mon corps porte en lui l’esprit de ma famille, mon village, les arbres et les poissons… Je suis un morceau de cette terre.» Il y a un terme pour cela, qu’il aime défendre : la «cosmovision», soit cette façon dont un individu perçoit, conçoit et interprète l’univers et sa place au sein de celui-ci. En somme, «être dans le présent, à un moment donné, à un endroit donné», lâche-t-il. 

Le théâtre n’est pas un «divertissement»

Depuis quelques semaines maintenant, et jusqu’en novembre de l’année prochaine, c’est le Luxembourg qui concentre toute son énergie et son attention. Le red bridge project implique en effet de «repousser ses limites», formule qui s’attache aussi bien aux trois institutions culturelles porteuses du projet (Mudam, Philharmonie, Grand Théâtre) qu’à l’artiste.

De passage, Sam Tanson, ministre de la Culture, qui s’accorde un break dans sa campagne législative, profite de cette «agréable» pause hebdomadaire pour dire : «Ces maisons, qui se tiennent à 500 mètres de distance, prouvent que l’on peut travailler ensemble dans une approche multidisciplinaire, et autour d’un même artiste.» D’autant plus palpitant que celui-ci développe, selon elle, une œuvre «engagée» à l’esthétique «radicale».

On ne pourra la contredire à la vue de son travail passé. Celui qui a fondé en 1995 sa compagnie MAU («ma destinée» en samoan, mais aussi le nom d’un ancien groupe indépendantiste) déteste voir l’art comme une récréation, censée distraire la bourgeoisie : «Les gens ne viennent pas au théâtre pour être divertis. C’est une perte de temps que de penser le contraire», balance-t-il.

Alors, il espère toujours que ceux «qui sont assis là, en silence, repartiront chez eux avec quelque chose». Même si c’est lourd à porter, comme après Tempest, où il évoquait l’escalade des pouvoirs d’État et des détentions arbitraires après le 11 septembre 2001. Ou encore avec Birds with Skymirrors, témoignant de la disparition des îles du Pacifique, dévastées par le changement climatique.

Les communautés nationales impliquées

Il n’a pourtant pas l’humeur intransigeante de ses spectacles. Lemi Ponifasio est un homme rieur et taquin, qui voit la «vie comme une aventure» qui, pour qu’elle se réalise, implique de «regarder au-delà de ce qu’on connaît déjà». Ses études de philosophie et de sciences politiques l’ont apparemment forgé, d’où ce discours qui brasse, pêle-mêle, l’importance de la «rencontre» et du «lien», d’être un «esprit libre» et d’agir comme tel, sans oublier les autres : «Comment se reconnecter, se reparler?», questionne-t-il, sachant «qu’il vaut mieux échanger, vu que le monde est de plus en plus petit…». Par son art, qu’il définit comme un «acte existentiel», il brise les murs, gomme les kilomètres et annihile les frontières, pour «apprécier et vivre le monde» dans l’instant.

Les spectacles montrés au Luxembourg s’en veulent le témoin : Jerusalem, qui lancera la semaine prochaine le red bridge project, se veut une utopie à deux faces, amplifiée par les chants maoris et la poésie du Syrien Adonis. Un peu plus tard, Love to Death mixera flamenco et l’histoire du Chili, particulièrement celle préoccupante du peuple mapuche.

Enfin, Sea Beneath the Skin poussera un cri d’alarme sur la pollution des océans. C’est toutefois au Mudam que l’approche de l’artiste trouvera tout son sel, via un double programme inclusif, lui qui s’efforce sans relâche à rassembler les communautés des pays dans lesquels il se pose.

Avec ses près de 170 nationalités, le Luxembourg serait-il alors le terrain de jeu idéal pour Lemi Ponifasio? Il rigole : «Le théâtre, ce n’est pas une question de contrôle. C’est la possibilité de ce qui peut naître.» Depuis le mois de mars, il s’est ainsi tourné, à hauteur d’homme – et non d’artiste – vers ce «melting-pot» pour imaginer un futur sur scène, pas encore clair, mais inscrit «dans leur réalité» et non celle «définie par les corporations, les politiques…».

Une manière également pour les trois établissements (qui n’ont toujours pas retrouvé l’affluence d’avant la pandémie) de prouver à ce public, souvent «délaissé», qu’ils ne sont pas des lieux «si intimidants» que ça. On peut même s’y rendre en tram, gratuitement. Un «sens du partage» qui, forcément, fait rire Lemi Ponifasio.

À voir

«Jerusalem»

Les 13 et 14 octobre

Grand Théâtre  – Luxembourg

«Love to Death»

Les 2 et 3 février 2024

Grand Théâtre  – Luxembourg

«Sea Beneath the Skin»

Le 14 juin 2024

Philharmonie – Luxembourg

«The Manifestation»

Le 29 juin 2024

Mudam – Luxembourg

«Credo – I Believe»

Le 9 novembre 2024

Mudam – Luxembourg

Programme complet :

www.redbridgeproject.lu

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