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[Le portrait ] Emir Bijelic, trop jeune retraité


Les crampons aux pieds, c’est fini. (Photo : mélanie maps)

Le milieu de terrain du Progrès a mis un terme à sa carrière à 25 ans.

Il n’y a pas grand monde qui a compris, mais puisque «personne n’est dans (s)on corps» et que «personne ne peut choisir pour (lui)», Emir Bijelic a suivi cette idée extrêmement surprenante qui le travaille depuis très longtemps. En fin d’année dernière, à 25 ans, à l’âge où certains commencent seulement à trouver leur rythme de footballeur, lui a décidé d’arrêter. La reprise, ce dimanche, ce sera sans lui. Il comptait s’arrêter l’été dernier, mais ses dirigeants lui ont demandé de pousser jusqu’à décembre 2023 pour les besoins du club. Il a accepté, mais ne fera pas un pas de plus. Rideau, le même hiver où un Tarek Nouidra qui n’arrive pas à décrocher revient à la Jeunesse à 36 ans et où un Nabil Dirar gourmand, 37 ans, vient apporter sa fougue à Schifflange.

Ses parents, qui l’ont véhiculé entre ses 9 à 12 ans (avant l’internat, le centre de formation, puis un appartement, seul) du Grand-Duché au centre de formation du FC Metz, quatre à cinq jours par semaine, dans l’Opel Zafira familial, qu’il «voyait fatigués par tous ces allers-retours» alors que lui faisait ses devoirs sur la banquette arrière à l’aller puis s’endormait au retour, sont un peu tristes et un peu choqués : «Ils ne s’attendaient pas à ce que je prenne ma retraite aussi tôt». Sa femme également a un petit pincement au cœur, elle qui adorait venir l’encourager au stade. Mais c’est sans commune mesure avec la surprise initiale de son coach, Jeff Strasser. «Il m’a dit : « impossible, tu rentres dans tes meilleures années, sors-toi ça de la tête! »»

Sauf que «ça», cette retraite ultraprécoce d’un joueur aux 68 matches de BGL Ligue, c’est dans le cortex frontal d’Emir Bijelic depuis juillet 2019 et son retour de l’étranger. Elle ne voulait pas en sortir. Le plan, quand il a résilié au bout d’un été de préparation un contrat pas du tout avantageux financièrement avec Maastricht (avec qui il n’aura donc pas joué du tout), en D2 néerlandaise, c’était de reprendre l’école, de trouver un métier, de voir si ça lui plaisait et… d’en finir avec le foot. Le milieu de terrain a fini par en arriver là, en quatre ans et une dernière fabuleuse saison au Progrès : l’école, c’est bon, le boulot, c’est bon, ne restait qu’à trouver le courage de faire ce qu’aucun jeune footballeur passé par un centre de formation ne fait jamais, en général, c’est-à-dire arrêter sans avoir rentabilisé une adolescence gâchée.

Mes cousins du bled enfileront plusieurs paires de chaussettes

Car la logique, en général, est de ne pas avoir fait tout ça pour rien. Le Bosno-Luxembourgeois a décidé de prendre le problème à l’envers, comme personne ne le fait jamais : «J’ai fait trop de sacrifices qui m’ont coûté ma vie d’ado. J’avais un rêve qui était de devenir professionnel et je l’ai pris très au sérieux. Au FC Metz, le cadre est strict. On ne peut pas se défouler, sortir, faire des bêtises. On en loupe, des choses. Je n’ai pas profité de ma jeunesse!» Aujourd’hui, plutôt que d’empiler les matches de BGL Ligue, voire de Coupes d’Europe, il est donc question de profiter de sa vie de «millenial». Cet hiver, quand ses désormais ex-coéquipiers du Progrès surveillaient ce qu’ils mangeaient et buvaient afin de bien préparer leur retour à l’entraînement, il a visité Dubaï et l’Autriche. Et alors qu’ils se gèleront à Mersch pour la 16e journée de BGL Ligue, lui sera à Tuzla, où sa famille possède toujours une maison. Notamment pour refourguer ses huit à neuf paires de crampons «à des petits cousins du bled qui enfileront plusieurs paires de chaussettes pour qu’elles soient à la bonne pointure». Il bazarde une partie du passé. Ce qui ne servira plus.

Pour l’instant, Bijelic est sur un rythme binaire qui lui va. Boulot d’éducateur auprès d’enfants à besoins spécifiques en journée, matches de padel de temps en temps pour retrouver un peu d’adrénaline. Il assure que le football ne lui manque pas. Pas encore? «Non, non, je crois que c’est définitif, même si je continue de l’aimer.»

L’amour c’est beau, mais dans le monde impitoyable du ballon rond, ça ne fait pas vivre. Emir s’en est rendu compte à 15 ans. Alors qu’il est déjà en internat en Moselle et donc éloigné de sa famille depuis trois ans, Aston Villa lui fait une offre de contrat. Le club anglais le fait même signer, certain que le FC Metz prendra les 250 000 euros qu’il lui offre. Mais les Grenats en veulent 600 000 et refusent de négocier. Après trois semaines de séances avec notamment Jack Grealish, trois amicaux contre Manchester United, Newcastle et Birmingham, il revient dégoûté vers la Lorraine, où on ne lui fera jamais franchir le cap vers l’effectif pro. «Je ne comprenais pas. Et finalement, maintenant, j’ai compris : c’est le business.»

Et si Metz avait dit «oui», où serait-il? Et s’il avait choisi de rester avec la sélection luxembourgeoise plutôt que d’opter pour la Bosnie, à partir des U17? «Je me suis posé la question pour les deux cas. Je ne veux pas vivre avec des « peut-être », ce n’est pas l’histoire que je veux raconter à mes enfants!»

Quand ils seront nés, il leur racontera plutôt ses débuts à Bertrange, à l’âge de 4 ans, son idole de jeunesse Sergej Barbarez et sa petite barbichette blonde, mais aussi sa victoire en championnat de France scolaires avec Metz, contre Rennes, ou encore son succès avec la Bosnie en tour élite U19 contre la France d’Upamecano et Ikone, mais aux côtés d’Ermedin Demirovic (Augsburg, Fribourg…). Peut-être même qu’il le leur racontera au ski, un petit plaisir auquel il n’avait pas droit au FC Metz et qui ne lui était passé à Niederkorn que… s’il ne lui arrivait rien. Mais ça, c’était avant.

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