Accueil | A la Une | Le modèle luxembourgeois s’essouffle : «Soutenir tout le monde ne sera plus une option»

Le modèle luxembourgeois s’essouffle : «Soutenir tout le monde ne sera plus une option»


Freinage de la croissance, augmentation de la population, perte de compétitivité : «Des sujets auxquels il va falloir s’attaquer», selon les économistes d’Idea. 

Si le Grand-Duché a plutôt bien résisté à la pandémie de covid, les récentes crises semblent plus dures à encaisser, entraînant le ralentissement de l’économie. Une «anomalie», selon les économistes de la fondation Idea.

Conjoncture mondiale, évolution de la croissance, productivité, marché de l’emploi, finances publiques : la fondation Idea – le laboratoire d’idées de la Chambre de commerce – a passé au crible tous les indicateurs et livre, dans son dixième avis annuel publié hier, une analyse détaillée de la situation économique nationale.

Et le constat est clair : la récession se confirme pour 2023, avec un repli du produit intérieur brut (PIB) à 1,1 %. Les chocs successifs (guerre en Ukraine, difficultés d’approvisionnement, inflation, hausse des taux d’intérêt) ont ainsi davantage déstabilisé le Luxembourg que la crise sanitaire, et la nouvelle coalition au pouvoir entre dans une séquence où se cumulent ralentissement, incertitudes, et défis à relever.

«Malgré une attitude proactive du gouvernement, le Luxembourg n’a pas pu éviter un nouvel épisode récessif en 2023 – le deuxième en quatre ans – avec un repli de l’activité dans trois secteurs majeurs : finance, construction et logistique», explique Vincent Hein, le directeur.

Selon les experts, une tendance au décrochage s’accentue depuis quatre ans. Ils le remarquent à travers le freinage de la croissance économique, passée de 5 % par an à 2,3 %. Puis, au niveau de l’augmentation de la population et de l’emploi, puisque pour produire plus, il faut toujours plus de monde. Ce qui représente un vrai défi compte tenu des nombreux obstacles structurels (logement, mobilité, vieillissement de la population, etc.)

Enfin, une certaine inquiétude quant à la compétitivité du pays s’ajoute, alors que le salaire horaire moyen a augmenté de 36 % depuis 2016, quand l’inflation plafonne à 20 % sur la même période. «Tout cela constitue des sujets auxquels il va falloir s’attaquer», poursuit l’économiste.

Côté finances publiques, le budget 2023 affiche un déficit de 0,7 % du PIB, qui devrait se creuser en 2024 et 2025, pour atteindre -1,2 %. Des chiffres qui peuvent paraître raisonnables au regard de la situation d’autres pays européens, mais qui font figure d’«anomalie» pour le Luxembourg.

«Aujourd’hui, le modèle socio-économique luxembourgeois est challengé», commente Vincent Hein. «On observe un renforcement des relais mis en place par l’État. Or, ces plans de soutien et mesures fiscales coûtent cher et ne pourront pas durer indéfiniment», pointe-t-il.

«C’est la croissance continue des bases imposables qui permet de subventionner un coût du travail relativement modéré et la protection sociale. Le pays a su mobiliser ses marges ces dernières années, mais là, il devient urgent d’en recréer», prévient l’expert. «Soutenir tout le monde aussi facilement ne sera plus une option. C’est l’un des aspects de l’essoufflement du modèle qu’on évoque.»

Le pacte social risque de se fissurer

Michel-Edouard Ruben a, quant à lui, décortiqué les données liées au logement pour mesurer la profondeur des difficultés d’accès à la propriété dans certaines communes. En imaginant un résident qui gagnerait le salaire moyen de sa commune et souhaiterait y acheter un appartement de 60 m2 en contractant un prêt sur 25 ans, il a pu mettre en évidence à quel point les prix, dans certaines villes, sont éloignés du pouvoir d’achat de leurs habitants.

«La situation est particulièrement tendue dans les communes réputées en situation défavorable. Alors que le taux d’effort (NDLR : part des revenus d’un ménage consacrée au logement) est de 36 % en moyenne au niveau national, il culmine à 45 % à Esch-sur-Alzette, 47 % à Schifflange, 49 % à Pétange, et même 50 % à Differdange», liste le spécialiste.

En gros, les 7 545 euros/m2 à Differdange sont moins abordables pour les Differdangeois que les 9 200 euros/m2 à Mamer pour les Mamerois. Avec un risque réel pour le pacte social et sa promesse d’accès à la classe moyenne : «Au Luxembourg, où 70 % des ménages sont propriétaires, 80 % des Luxembourgeois, on accorde une grande importance au fait de posséder son logement», avance l’économiste.

«Or, face aux difficultés d’accès à la propriété, on peut craindre une fragmentation entre les insiders, ceux qui auront les moyens de rentrer dans le modèle, et les outsiders, des jeunes qui ne pourront plus se loger, des nouveaux arrivants condamnés à rester locataires, etc.» De quoi générer des tensions et fissurer le pacte social luxembourgeois, conclut-il.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.