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Mondorf : le Jangeli joue la carte mosellane


L’équipe du Jangeli, avec le chef Sébastien Domange (à g.), choisit les plats, tandis que le critique Claude François sélectionne les vins : une association gagnante!

Le beau restaurant du Domaine thermal de Mondorf propose une fois par mois un dîner porté par des accords mets/vins luxembourgeois. Une bien belle idée !

C’est une très belle initiative qu’ont lancée conjointement le Jangeli et Vinslux, le guide des vins luxembourgeois produit par Claude François. Depuis le début de l’année, chaque deuxième mercredi du mois, un dîner en quatre services est servi en accord avec des vins provenant de la Moselle luxembourgeoise. « Le chef Sébastien Domange me propose les plats qu’il choisit dans sa carte de saison et je puise dans l’ensemble des vins luxembourgeois ceux qui me semblent s’accorder le mieux avec chacun, explique Claude François. Cet exercice me plaît beaucoup et il prouve, une fois de plus, que les vins luxembourgeois peuvent définitivement être de grands vins de gastronomie.»

Nous étions de passage au domaine thermal le 8 mars dernier et il faut bien admettre que le défi a été remporté haut la main. La cuisine du chef Domange, vive, précise et généreuse, se mariait à la perfection avec les quatre vins servis. Le crémant pinot noir rosé extra brut du domaine Cep d’Or (Hëttermillen) accompagnait idéalement les rillettes de joues de porc confites rehaussées d’un gel de cornichons et de pickles de girolles et d’oignons rouges. Ce crémant aux fines bulles, énergique et noble, non dosé et ayant passé plus de trois ans sur lattes, contrebalançait le gras des rillettes, une association idéale pour ouvrir l’appétit.

Un travail d’orfèvre

Venait ensuite une entrée d’une gourmandise exquise : un tartare de noix de saint-jacques et de truite fumée égayé par des fruits de la passion, de la grenade, une huile de clémentine, un houmous à la betterave rouge, un salpicon d’agrumes à la coriandre et au vinaigre de mangue. Malgré la multitude de saveurs, l’assiette était étonnamment équilibrée, très fraîche : un travail d’orfèvre ! Le choix d’un chardonnay aurait pu surprendre, mais cet Ahn Vogelsang 2021 bio de la maison Schmit-Fohl (Ahn) était une excellente idée. Malgré son élevage en barrique, le cru avait gardé beaucoup d’énergie. Sa belle naissance et le talent des vignerons ont fait des merveilles !

Lorsque le plat principal arrivait, on se disait déjà que l’on n’aurait plus très faim en partant ! Ce beau faux-filet d’Angus, tendre et généreux, était surmonté d’une sauce au pinot noir luxembourgeois au cassis, sauce miroir à la moutarde violette et servie avec un mille-feuille croustillant à la pomme de terre, betterave et cassis. Les fruits rouges, bien sûr, appelaient un beau pinot noir et c’est l’excellent Charta 2019 bio du domaine Krier-Bisenius (Bech-Kleinmacher) que Claude François avait sélectionné. Ce cru remarquable a tenu toutes ses promesses, les petits fruits noirs caractéristiques du cépage n’étaient absolument pas étouffés par un élevage présent, mais délicat. Cette bouteille est la preuve que le Grand-Duché peut aussi être un grand pays de vin rouge.

Ce crémant pinot noir rosé du domaine Cep d’Or a été servi lors de la mise en bouche. Photo : tania feller

Un rôle d’ambassadeur

Le dessert a été un autre moment fort du dîner. Le baba au gin luxembourgeois Opyos, kumquat confit et orange sanguine, chantilly au poivre long fumé était un petit miracle. Douce mais sémillante, cette friandise était succulente. Pas évident, pourtant, de trouver un vin en compagnonnage puisque l’excellent gin Opyos est très porté sur les agrumes. Finalement, ce pinot gris Sélection 2020 du domaine Schumacher-Lethal (Wormeldange) se montrait très complémentaire. Opulent, fruité et épicé : ses saveurs s’entrelaçaient suavement avec celles du dessert.

Avec cette proposition de dîner qu’il fait durer dans le temps puisque ces soirées sont prévues jusqu’à la fin de l’année, le Jangeli s’inscrit un peu plus dans la défense d’une gastronomie de terroir. Situé à deux pas de la Moselle, il prend son rôle d’ambassadeur de la région avec conviction. Il démontre qu’il n’est pas uniquement le restaurant d’un bel hôtel pour curistes, mais bien un haut lieu de la gastronomie du pays.

Le menu accord mets/vins (4 plats et 4 vins) est disponible en deux formules : avec des verres de 10 cl (99 euros/personne) ou des verres de 15 cl (106 euros/personne). Les vins sélectionnés sont également servis dans les autres restaurants du Domaine thermal : le Chalet Am Brill et la brasserie Maus Kätti.

Vins luxembourgeois : les restaurants s’y intéressent enfin

Petit à petit, on sent le vent tourner. Longtemps, les vins luxembourgeois ont été tenus à l’écart des cartes des vins des belles adresses. Pas complètement absents, non, mais on trouvait quelques références en fond de liste, histoire de dire. Parfois, ils n’étaient même pas là du tout. À la place, on servait plutôt des vins étrangers (français, italiens…), souvent archiconnus, faciles à vendre, avec un coefficient multiplicateur beaucoup plus rémunérateur.

Comprendre pourquoi les vins luxembourgeois ont si peu eu la cote depuis des décennies est complexe, mais des pistes peuvent être proposées. Tout d’abord, les vins de la Moselle ont souvent été des vins de soif. Jusqu’aux années 1990, les vignerons livraient davantage de vins de bistrot (elbling et rivaner) que de crus de haut niveau. Par la force des choses, quand on allait au restaurant, ce n’était pas pour se faire servir les mêmes vins que ceux bus par les ouvriers de l’industrie ou de l’agriculture après une journée de labeur. Sans doute que cet a priori dépassé n’est toujours pas complètement mort.

Autre élément de réponse : qui a défendu l’image de marque des vins luxembourgeois? Pas grand monde, il faut bien l’admettre. Ou alors, sans grande efficacité. Et, assez étrangement, puisque le pays peut compter sur de nombreux épicuriens, la sommellerie a souvent été le parent pauvre de la restauration. Les établissements qui emploient un vrai spécialiste diplômé sont rares et, le plus souvent, les cartes des vins sont élaborées par les marchands eux-mêmes. Voilà qui explique la redondance des propositions et pourquoi, alors que l’offre mondiale est pléthorique, on retrouve souvent les mêmes étiquettes dans les restaurants du pays.

Qui plus est, ceux qui tiennent les clés de la cave sont presque tous étrangers, français en grande majorité. Un tropisme hexagonal a donc longtemps prévalu. Pour le coup, difficile de blâmer uniquement les patrons puisqu’on ne forme toujours pas de sommeliers au Grand-Duché. Si l’enseignement autour des boissons et de leur service évolue dans le bon sens à l’École d’hôtellerie et de tourisme du Luxembourg (à Diekirch), elle ne forme pas de vrais sommeliers.

Heureusement, même si cette époque n’est pas encore complètement révolue, on observe de plus en plus d’initiatives qui mettent en avant une production locale dont les meilleures bouteilles ont tout à fait le cran qu’il faut pour être servies dans des restaurants gastronomiques. Ce dîner mensuel au Jangeli est une belle démonstration, pourvu qu’il essaime!

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