La justice a annulé l’interdiction de mise sur le marché d’herbicides à base de glyphosate, en vigueur depuis janvier 2021. Le travail de pionnier du Grand-Duché en la matière connaît un coup d’arrêt.
«Le Luxembourg est-il allé trop vite ?» Voilà la question que nous posions dans nos colonnes début août 2022, quelques jours après que le Tribunal administratif eut jugé comme contraire au droit européen la décision de bannir le glyphosate. «Sur mon initiative, le Conseil de gouvernement a décidé d’aller en appel. Le glyphosate reste interdit au Grand-Duché», clamait alors le ministre de l’Agriculture et de la Viticulture, Claude Haagen. Cette affirmation n’est plus valable depuis jeudi. «Le 30 mars 2023, la Cour administrative a confirmé le jugement du Tribunal administratif annulant les décisions de retrait d’autorisation de mise sur le marché de huit produits phytopharmaceutiques contenant la substance active glyphosate», informe brièvement un communiqué du ministère.
«Un procès de principe» pour Bayer
En clair, le glyphosate peut, depuis jeudi dernier, à nouveau être légalement vendu et employé au Luxembourg, y compris dans les jardins privés. Le ministre Claude Haagen se contente de «prendre acte» de la décision de justice. «Après une analyse détaillée de l’arrêt, le gouvernement en conseil décidera des suites à donner qui seront communiquées en temps voulu», annonce le même communiqué. Aucune prise de position plus complète n’est à prévoir avant le milieu, voire la fin, de cette semaine.
Le 1er janvier 2021, le Luxembourg était le premier pays européen à interdire le glyphosate. L’UE était censée suivre le mouvement fin 2022, mais les tergiversations se poursuivent à Bruxelles. Le recours intenté contre la décision luxembourgeoise par Bayer, le géant pharmaceutique et agrochimique allemand, «était un procès de principe», comme l’indiquait, fin juillet 2022, le président de la Centrale paysanne, Christian Wester, interrogé par Le Quotidien. Ce n’est pas avec les quantités utilisées dans le pays – quelque 14 tonnes par an – que la société s’est sentie lésée.
Le gouvernement avait longuement préparé le terrain à l’interdiction anticipée de l’herbicide, classé depuis 2015 comme «potentiellement cancérogène» par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le «Roundup», le produit à base de glyphosate le plus répandu, avait déjà disparu des rayons dès le 30 juin 2020. Il avait été décidé d’accorder un «délai de grâce» pour écouler les tout derniers stocks entre juillet et décembre 2020.
810 000 euros de primes
Conscient qu’il n’existe pas encore de véritable alternative à cet herbicide, le gouvernement a décidé d’accompagner les exploitations qui étaient d’accord pour bannir le glyphosate dès l’année culturale 2020. Les exploitants ont pu toucher une compensation par hectare allant de 30 à 100 euros. Des primes totalisant 810 000 euros ont été versées à 710 agriculteurs. Vingt-six maraîchers ont obtenu 4 000 euros et 52 000 euros sont allés aux 157 viticulteurs.
L’ensemble des vignerons avait d’ailleurs assuré bannir le glyphosate dès le courant de l’année 2020. Depuis, la profession a démontré qu’il était tout à fait possible de produire de beaux raisins sans utiliser ce produit. Mais ce choix laisse aussi un peu perplexes certains vignerons. «Est-ce que c’est bien ou mal? Honnêtement, je ne sais pas, relevait en août dernier Ern Schumacher, du domaine Schumacher-Lethal. Utiliser les machines prend beaucoup de temps. Avant, avec le glyphosate, j’avais besoin d’une journée de travail pour tout mon domaine. Maintenant, avec les machines, il me faut entre une semaine et demie et deux semaines avec le tracteur. Ça fait beaucoup de CO2…»
«Faut-il encore l’utiliser?»
Un constat semblable est dressé par les agriculteurs. Utilisé auparavant pour nettoyer une prairie avant de la dédier à une culture céréalière, le glyphosate a été remplacé par la charrue et la herse. «Cette interdiction a nécessité des approches alternatives qui ont aussi des conséquences environnementales», nous expliquait fin juillet Christian Wester, le directeur de la Chambre d’agriculture. Les labours détruisent les sols et sont sans pitié pour la faune qui les peuple. Sans compter que plusieurs passages sont nécessaires pour éliminer toutes les racines et que la manœuvre produit, également, son lot de gaz à effet de serre.
Et maintenant? «Ce n’est pas parce que le glyphosate serait de nouveau disponible qu’il faudrait l’utiliser. Tous devraient réfléchir à ce qu’ils ont envie de faire, pour eux et leurs clients», avançait déjà en août dernier Nicolas Schmit, du domaine viticole Schmit-Fohl.
«Il faut attendre la décision européenne quant au renouvellement de la licence de Bayer. Si l’autorisation est prolongée, peut-être qu’il sera à nouveau sur le marché», estimait pour sa part le président de la Centrale paysanne.
Le glyphosate, c’est quoi?
Le glyphosate est une substance active utilisée pour contrôler les plantes. Depuis des décennies, il est l’herbicide le plus fréquemment utilisé à la fois dans le monde et dans l’UE. Le glyphosate est utilisé principalement pour lutter contre les mauvaises herbes. Il est généralement appliqué avant que les cultures soient semées afin de faciliter leur croissance en éliminant les plantes concurrentes. Le recours à cet herbicide élimine ou minimise la nécessité d’utiliser des machines de labourage (agriculture «zéro labour»), réduisant ainsi l’érosion des sols et les émissions de carbone.
Sans herbicide à large spectre, comme le glyphosate, un agriculteur peut perdre jusqu’à 22 % de sa récolte en raison d’un désherbage insuffisant.
Sites internet : food.ec.europa.eu; glyphosate.eu/fr
Je connais un agriculteur qui ne laboure plus depuis des années, laissant les vers de terre faire le travail.
Sans round up, cette forme de culture, qui protège les sols, n’est plus possible.
Pour le moment, il n’existe aucune peuve que le glyphosate soit mauvais pour la santé aux doses prescrites (à haute dose, l’aspirine est mortelle).