Accueil | A la Une | Laurence Mortier : «Que le dépistage devienne un acte préventif»

Laurence Mortier : «Que le dépistage devienne un acte préventif»


Laurence Mortier, chargée de direction du service HIV Berodung de la Croix-Rouge luxembourgeoise. (photo DR)

Depuis ce lundi et jusqu’au 27 novembre a lieu la Semaine européenne du dépistage du VIH, un virus en hausse et pourtant bien connu. Entretien avec Laurence Mortier, chargée de direction du HIV Berodung.

Du 20 au 27 novembre 2023 a lieu la Semaine européenne du dépistage afin d’encourager la population à se faire tester pour le VIH, mais aussi d’autres infections sexuellement transmissibles (IST). Il s’agit là de la dixième édition, dont l’enjeu est toujours aussi important au vu du nombre de cas en hausse au Luxembourg.

Selon le Service national des maladies infectieuses, le nombre de patients nouvellement infectés et nouvellement suivis a considérablement augmenté en 2022 : 67 nouveaux cas ont été recensés (contre 51 en 2021) pour 164 personnes vues pour la première fois en consultation (105 en 2021).

Membre du service HIV Berodung de la Croix-Rouge luxembourgeoise depuis 18 ans et chargée de direction depuis le début du mois, Laurence Mortier tient à relativiser cette hausse, tout en rappelant l’importance des tests précoces et le caractère parfois tabou du VIH.

En quoi cette semaine européenne du dépistage est-elle si importante ?

Laurence Mortier : Cette semaine a lieu car, malheureusement, il y a toujours des gens qui sont infectés par le VIH et toujours des personnes qui ne le savent pas et découvrent qu’elles sont positives après une hospitalisation. Alors que c’est toujours plus simple de se faire dépister, de savoir qu’on est positif et de prendre son traitement à temps afin de bien vivre avec le VIH. Sinon, le système immunitaire est déjà fort affaibli. On souhaite donc que le dépistage devienne un acte préventif afin que la personne ne tombe pas malade. Le VIH se transmet lors des rapports sexuels non protégés ou lors du partage de matériel de consommation de drogues, donc ça dépend des modes de vie, mais se faire dépister une fois par an, c’est déjà bien.

On en a beaucoup parlé pendant des années, mais le message est différent aujourd’hui

Comment réagissez-vous face à la hausse du nombre de cas en 2022 ?

Il est clair qu’on n’est pas encore face à une diminution. Maintenant, les chiffres de 2022 sont à prendre avec un peu de recul car avec l’immigration, notamment les personnes venues d’Ukraine, il y a eu des personnes positives qui sont rentrées dans la cohorte, mais qui le savaient déjà. C’est vrai que les chiffres sont assez saisissants et qu’il y a bel et bien des nouveaux cas, on n’y échappe pas. Mais je pense que ça reflète la situation mondiale, avec beaucoup de migrations.

Il y a 20 ans, le sida était partout. Est-ce que depuis, le VIH s’est « banalisé » et les gens se testent donc moins ?

Je ne sais pas si on peut parler de banalisation. Peut-être qu’effectivement, on en a beaucoup parlé pendant des années, mais le message est différent aujourd’hui car on a des outils de prévention très efficaces. Il y a 20 ans, on parlait du préservatif et maintenant, il y a le traitement d’urgence, celui de pré-expostion et celui qui rend une personne infectée indétectable et son infection intransmissible. Cela a été une révolution. Quand je suis arrivée, le message principal c’était le préservatif. Je me rappelle des campagnes où l’on insistait beaucoup dessus, en disant : « Vous partez en vacances, ne m’oubliez pas ». Maintenant, une personne qu’on dépiste, je dis cette phrase bateau, mais que je pense : « Ici, c’est une bonne nouvelle ». Car maintenant, au moins on sait et on peut avoir accès au traitement et améliorer la santé des patients.

Donc avec tous ces messages positifs disant qu’on peut mieux vivre avec qu’il y a 20 ans, peut-être que cela a fini par peser davantage dans la balance que le côté « on s’infecte toujours ». Lorsque les gens l’apprennent lors d’une hospitalisation, certains savent qu’ils ont pris des risques et réagissent plutôt bien à l’annonce, car ils sont informés. Malgré tout, certaines personnes se sentent encore condamnées.

Avec cette évolution, est-ce que le VIH reste une maladie taboue? 

Il faut être conscient que lorsque l’on annonce un résultat positif à une personne, on change sa vie. Même si elle est bien informée. C’est lui dire qu’à partir de maintenant, elle va prendre des médicaments tous les jours et faire des analyses sanguines souvent. Puis, la plus grosse difficulté, c’est l’annonce à l’entourage.

Il y a toujours la question : « Est-ce que je dois l’annoncer ? ». Et malheureusement, il y a encore de la stigmatisation et des gens qui n’osent pas l’annoncer car certains vivent de mauvaises expériences en le faisant. Si on prend la définition de la santé de l’OMS, qui est un bien-être physique, moral et social, alors ça change quand même la vie. Un résultat positif engendre énormément de questions qui peuvent créer un véritable mal-être. Donc c’est une de nos missions d’accompagner les gens pour l’acceptation du diagnostic et dans la « disance ». C’est un mot, inventé par nos homologues français, pour qualifier le fait de pouvoir dire : « Je suis positif, mais j’ai un traitement et je ne peux pas transmettre le sida ».

Le HIV Berodung a 35 ans

Fondé en 1988 afin d’accompagner les personnes atteintes du sida, le HIV Berodung est un acteur national de santé publique pour la prévention et la prise en charge psychosociale du VIH, de l’hépatite C et d’autres IST. Composé de 16 personnes, le service propose un accompagnement complet, du dépistage jusqu’au suivi psychologique pour aider et écouter les personnes positives, ainsi que leur entourage.

Gratuitement, le HIV Berodung s’occupe aussi d’une écoute téléphonique, de la gestion des traitements médicamenteux, du soutien sociaux pour les personnes qui n’ont pas de traitement, faute de documents, ou encore de la prévention auprès des scolaires.

Sur ce dernier volet, le HIV Berodung dispose également d’une «formation multiplicateurs», afin de former des professionnels, souvent en lien avec la jeunesse, pour qu’eux-mêmes deviennent acteurs de prévention. Situé au 94, boulevard Général-Patton, à Luxembourg, le service réalise des dépistages tous les lundis et mercredis, de 17 h à 19 h, ainsi qu’au Centre LGBTIQ+ Cigale, 16, rue Notre-Dame, les jeudis de 12 h 30 à 14 h 30.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.