Jean-Michel Campanella, le président de l’association Mieterschutz, redoute que la crise du logement s’accentue encore avec la situation tendue dans le secteur de la construction. Les pots cassés seraient payés par ceux qui sont à la recherche d’un toit.
La situation ne cesse de se corser. Alors que l’État peine, en concertation avec les investisseurs privés, à accélérer la cadence pour la construction de logements abordables, les prix des loyers continuent à exploser.
L’association Mieterschutz Lëtzebuerg et son président, Jean-Michel Campanella, appellent les partis politiques à se positionner clairement dans un dossier qui est à considérer comme une priorité absolue. Selon lui, l’investissement en idées et en argent doit enfin être à la hauteur de l’urgence.
L’Observatoire de l’habitat annonce que plus de 5 500 familles sont en attente d’un logement abordable. Quelle est votre interprétation de ce chiffre, en hausse de 43 % sur un an?
Jean-Michel Campanella : Lors de nos entrevues avec les partis politiques en amont des élections communales, on avait déjà échangé sur ces chiffres et effectué la comparaison avec 2020, où quelque 3 000 familles se trouvaient déjà sur la liste d’attente. En trois ans, le chiffre de candidats-locataires a presque doublé. Il s’agit d’un signal d’alerte supplémentaire.
Et d’un constat d’échec pour le gouvernement?
Le constat est en tout cas inquiétant, d’autant plus que l’on ne sait pas trop ce qu’il en adviendra après les élections législatives. On a l’impression que le gouvernement sortant n’a plus vraiment l’intention d’aller de l’avant, surtout dans le domaine du logement locatif.
On est fortement déçu que la nouvelle loi sur le bail à loyer ne soit plus vraiment poussée en avant. Il est vrai qu’il n’existe pas d’accord global, mais il aurait été important de mettre en œuvre au moins différents éléments. C’est le cas pour l’encadrement des frais d’agence et des garanties locatives. Cela constituerait un vrai soulagement pour les gens.
Selon l’Observatoire de l’habitat, les personnes seules, les familles monoparentales et les familles nombreuses représentent les trois quarts des candidats-locataires. Votre expérience du terrain confirme-t-elle ce profil?
Les personnes seules vivant dans un studio sont obligées de payer des loyers proportionnellement bien plus élevés que celles qui louent un appartement de plusieurs chambres. L’offre pour ce genre de profil est insuffisante. Les studios en location sont très chers ou de faible qualité.
Pour ce qui est des monoparentaux, les échos que nous recevons font état d’une discrimination des familles concernées par les agences et propriétaires. Ces derniers sont peu enclins à louer un bien à une personne avec un petit revenu et avec plusieurs enfants qui font du bruit, etc. Mais même des personnes travaillant pour l’État, touchant un revenu moyen et qui ont deux ou trois enfants connaissent de grandes difficultés à se loger correctement.
Tous ces constats sont dressés à un moment où les loyers continuent d’exploser, de 11,5 % au deuxième trimestre de cette année, selon le portail atHome.lu. Comment expliquer cette tendance, alors qu’en parallèle les prix de vente pour les appartements et maisons sont en baisse?
Avec la hausse des taux d’intérêt et les difficultés à contracter un prêt, même les gens qui ont cherché à acheter un logement se voient désormais contraints de continuer à louer, surtout les jeunes. On avait dès le départ réclamé un outil pour mieux encadrer les loyers.
Les tripartites successives ont permis de trouver des solutions pour encadrer les prix de l’énergie. Pourquoi ne pas s’engager sur une voie semblable pour limiter, par exemple, la hausse des prix des loyers à un maximum de 5 % pour un an, en attendant une solution durable dans le cadre de la mise en application de la réforme du bail à loyer, où il manque toujours un consensus entre les partis formant le gouvernement.
Au-delà du chiffre brut, quelles sont les répercussions de la forte hausse des loyers sur le terrain?
Les répercussions sont multiples. On observe que des gens perdent leur logement, car le propriétaire a trouvé des locataires prêts à payer un loyer plus élevé. D’autres personnes acceptent de payer un loyer plus élevé sans vraiment avoir les moyens financiers de supporter cette charge supplémentaire. Il n’étonne guère que l’on entende de plus en plus que les gens rencontrent de grands problèmes à continuer à payer leur loyer. Tout cela renforce aussi le phénomène des gens qui quittent le Grand-Duché pour aller se loger de l’autre côté de la frontière.
Le gouvernement sortant a fini par décider d’investir davantage dans le logement locatif abordable. Ce changement de paradigme était-il devenu incontournable?
Il faudra que l’investissement produise encore ses effets. Pour le moment, on ne voit pas encore d’impact sur les chiffres. La hausse continue des prix des loyers témoigne du manque d’offre suffisante. Ici, le gouvernement n’est pas le seul à mettre en cause, les promoteurs doivent, eux aussi, miser davantage sur le locatif. L’État ne pourra pas agir seul.
La main publique détient à peine 4 117 unités de logements locatifs abordables, soit 1,67 % du parc alors que le gouvernement compte atteindre les 20 %. Que vous inspire ce faible chiffre?
Il ne s’agit pas d’une surprise en soi, mais ce chiffre nous effraye, bien entendu. Il ne témoigne pas de la gravité de la situation. Peu importe le nombre de logements locatifs abordables qui doivent encore suivre, la cadence doit être considérablement augmentée. Il faut néanmoins admettre que le ministre Henri Kox démontre sa volonté de changer les choses.
Dans ce contexte, comment jugez-vous les nouvelles taxes visant à contrer la spéculation foncière et mobiliser les logements laissés vides?
Pour l’instant, tout cela reste encore trop vague et trop éloigné dans le temps. Le principe de ces taxes est bon, même si les taux retenus sont trop faibles. Au moins, le signal est donné que l’on ne peut plus continuer comme avant. Il faudra trouver le bon équilibre entre les différentes catégories de personnes. Contrairement à l’Allemagne, le fait d’être propriétaire ne vous oblige à rien du tout.
L’inscription du droit au logement dans la Constitution aura-t-elle un impact positif?
Il ne s’agit pas véritablement d’un droit au logement, mais d’un objectif à valeur constitutionnelle où l’État s’engage à ce que toute personne puisse vivre dignement et disposer d’un logement approprié. Le ministre Kox évoque le fait qu’il s’agit d’un premier pas vers le droit au logement.
Comme trop souvent, on a l’impression que le chantier du logement avance trop lentement. D’ailleurs, peu d’engagements concrets ont été pris par les partis dans la campagne pour les élections communales, alors que chacun s’accorde sur la gravité du problème. Il sert peu de promouvoir le vivre-ensemble ou de partager des Gromperekichelcher si le citoyen n’a pas de logement…
En vue des élections législatives, quelles sont vos grandes revendications?
Une des priorités doit être d’enfin mener à bien la réforme de la loi sur le bail à loyer, du moins sur les parties où un consensus existe déjà. Je pense aux colocations ou aux chambres des cafés. Ensuite, il sera nécessaire de continuer à augmenter les budgets pour développer le logement abordable, mais aussi les logements d’urgence.
À l’approche des législatives, le secteur de la construction sonne l’alerte. Quel est le risque réel?
Il est difficile de savoir ce qu’il en adviendra, mais chacun peut constater que la vente de logements est en berne. Même des gens qui étaient en mesure d’acheter ne peuvent plus financer leur projet immobilier. Il reste à voir quelle sera l’ampleur du problème. Je ne vois pas encore de signes d’un effondrement complet du marché.
Ce seront plutôt des plus petites entreprises qui vont connaître des difficultés. Les plus grandes ont pu dégager d’importantes marges ces dernières années. Elles ne devraient pas être trop lourdement impactées à court ou moyen terme. Les grands perdants sont les gens en attente d’un logement.
L’État a débloqué un premier paquet d’aides de 150 millions d’euros et compte aussi acheter des logements en l’état futur d’achèvement. Est-ce que cela sera suffisant pour relancer la machine?
On a pu voir que si l’État souhaite vraiment investir, il parvient à mobiliser d’importantes sommes d’argent. Des milliards d’euros non prévus ont été débloqués pour amortir les plus graves effets de la pandémie et de la guerre en Ukraine.
Certes, la marge de manœuvre financière est devenue plus réduite, mais le logement doit être une priorité absolue. Les quelques centaines de millions d’euros consacrés au logement pèsent peu par rapport aux milliards d’euros mobilisés dans d’autres domaines, notamment la défense.