Si elle a été fortement occupée durant les inondations, l’administration de la Gestion de l’eau travaille tout au long de l’année à surveiller les cours d’eau et à prévenir les risques en cas de crue.
On pourrait les croire en pleine nature au bord d’une rivière, la réalité est tout autre et bien moins poétique. C’est dans l’un des nombreux immeubles de Belval, à Esch, que les agents de l’administration de la Gestion de l’eau (AGE) ont pris leurs quartiers. Depuis 2004, cette institution, placée sous la tutelle du ministère de l’Environnement, est chargée de gérer tous les aspects liés à l’eau. «Ces sujets étaient déjà traités avant mais par plusieurs administrations comme les Eaux et forêts, les Ponts et Chaussées ou l’administration des Services techniques agricoles (ASTA), précise Olivier Jeitz, chef de la division de l’hydrologie à l’AGE. En 1999, la décision a été prise de regrouper toutes ces activités.»
Supervision de l’approvisionnement en eau potable, surveillance et protection des eaux de surface et des eaux souterraines, gestion des autorisations liées à l’eau, coordination des interventions à la suite des pollutions accidentelles… Les attributions de l’AGE sont vastes pour cette agence qui emploie près de 200 personnes.
Prévenir les inondations
Au sein de l’AGE, la division de l’hydrologie est également en charge de la prévention des crues afin d’aider les communes à se préparer efficacement en cas d’inondations. «Nous élaborons des projets soit sur leur demande, soit de notre propre initiative», détaille Claude Schortgen, de la division de l’hydrologie. L’objectif est d’identifier les endroits présentant des risques d’inondations ou sujets à des crues subites, et de proposer des solutions. «Nous regardons les endroits touchés par des inondations puis un bureau d’études établit un catalogue de mesures avec l’ASTA et l’AGE.»
Les solutions sont variées et peuvent aller de la construction de murs ou de digues anticrues à des plans élaborés en collaboration avec le CGDIS. L’idée n’est pas tant d’empêcher toute inondation, une chose impossible, que de limiter au maximum les dégâts quand les crues surviennent. Un travail qui doit s’adapter aux réalités du terrain et aux besoins de chaque commune qui ne sont par exemple pas les mêmes à Hesperange qu’à Ettelbruck. «Nous devons les aider à trouver la bonne solution.»
Surveillance accrue dès le 24 décembre
Si, en cette mi-janvier, les bureaux semblent plutôt paisibles, il n’en allait pas de même la première semaine de l’année, quand des inondations ont frappé le Grand-Duché. Car c’est l’une des autres missions de l’administration de la Gestion de l’eau : mesurer les niveaux d’eau à l’aide de capteurs installés le long des rivières luxembourgeoises (voir encadré). En cas de fortes intempéries et de crues, le Service de prévision des crues (SPC) se met en ordre de marche pour analyser et rendre compte de la situation. Grâce à ses calculs, il pressentait les inondations près d’une semaine avant. «Le 24 décembre, nous avions remarqué qu’il était probable que des inondations arrivent en fin d’année», indique Claude Schortgen.
Mais à ce stade, impossible de communiquer, les chiffres sont encore trop imprécis pour être rendus publics. Le SPC, en revanche, a commencé à surveiller les choses de plus près. «La personne qui était de permanence la dernière semaine de 2023 a vu que les prévisions étaient en train de se réaliser.» Face à une menace de plus en plus tangible, l’AGE est alors sortie de son silence, le lundi 1er janvier, avec un premier bulletin envoyé à 11h. «Moi, j’ai fait le lien avec le Haut-Commissariat à la protection nationale (HCPN), le CGDIS et MeteoLux en les informant par mail», explique Olivier Jeitz.
Une communication au rythme des eaux
Très vite, ce lundi matin, Luc Feller, qui vient de quitter le HCPN, organise une visioconférence. Une cellule d’évaluation est mise sur pied pour décider de la marche à suivre. «Il est important de trouver le bon équilibre», rappelle Olivier Jeitz. Communiquer trop vite et trop fort, c’est possiblement créer une panique, ne pas en révéler assez c’est prendre le risque de ne pas être entendu et empêcher les gens de bien se préparer. Alors que l’arrivée des inondations est imminente, la division ne se focalise plus que là-dessus. «On arrête tout ce qu’on est en train de faire.» Le travail de prévention attendra, il faut maintenant informer du mieux possible.
Et cette communication va alors évoluer au rythme des niveaux d’eau. Chacune des stations de l’AGE dispose de cotes d’alerte et de préalerte qui intensifient peu à peu le dispositif, grâce à un système de couleurs, quand elles sont franchies. «Quand on voit que les courbes se rapprochent de la cote de préalerte, nous entrons en phase de vigilance, de couleur jaune, décrit Claude Schortgen. On publie alors un petit texte sur la page alerte qui s’affiche en premier dès que l’on accède au site inondations.lu»
Une fois la préalerte atteinte, le risque d’inondations est réel même si peu de dégâts sont encore à craindre. Deux bulletins de crue minimum sont alors publiés quotidiennement. Même chose quand les niveaux dépassent les cotes d’alerte et que le dispositif passe au rouge. «Nous faisons des descriptions plus élaborées et qui annoncent à quels endroits vont être dépassées les cotes.» Le dispositif ne bougera pas tant que l’eau ne sera pas redescendue en dessous des cotes et que l’AGE repassera en phase de vigilance.
Des leçons tirées des inondations de 2021
Si le Luxembourg connaît un à deux épisodes de crues par an en moyenne, celui de l’été 2021, particulièrement impressionnant, est resté dans toutes les mémoires. Y compris au niveau des autorités qui ont pu en tirer quelques leçons. La coopération avec le HCPN, qui existait déjà, est dorénavant plus fluide avec une cellule d’évaluation rapidement mise sur pied. «On a aussi remarqué que les gens ne voyaient pas bien les bulletins de crues sur inondations.lu, on a donc commencé à faire des petits textes publiés directement sur la page principale.»
Le nouveau système LU-Alert prévu pour l’été 2024 permettra lui aussi d’informer plus efficacement les habitants même si l’application actuelle a connu quelques revers lors des dernières inondations. «Nous avons aussi des e-mails, des flux RSS ou encore les communiqués de presse.» Avec tous ses canaux proposés, les particuliers ont de leur côté pris plus l’habitude de s’informer en temps réel de la situation afin d’éviter tout risque inutile.
Depuis le 6 janvier, les rivières ont retrouvé leur lit et la communication de crise au sein de l’AGE a pu prendre fin. L’administration a pu retrouver ses activités habituelles et commence à rattraper le travail laissé en plan durant les crues. Tout ça, bien sûr, en continuant de garder un œil sur les niveaux des rivières luxembourgeoises.
Une quarantaine de stations de mesure
Pour établir ses prévisions, l’administration de la Gestion de l’eau base ses calculs sur de nombreuses données. Elle possède notamment une quarantaine de stations de mesure disposées le long des cours d’eau. «La plupart sont sur l’Alzette et la Sûre, détaille Claude Schortgen. Certaines font seulement des mesures, tandis que d’autres peuvent aussi fournir des prédictions. Elles sont placées à des endroits stratégiques pour évaluer au mieux les niveaux d’eau. «Nous améliorons régulièrement le réseau en installant de nouvelles stations et en entretenant les autres.»
L’AGE peut aussi compter sur des mesures de précipitations fournies par MeteoLux mais aussi par la Deutscher Wetterdienst en Allemagne et Météo-France. «Nous rentrons toutes ces mesures dans notre logiciel qui nous permet de calculer les prévisions hydrologiques.» Ce logiciel, issu d’une collaboration internationale et utilisé dans de nombreux pays, a ainsi permis à l’AGE de prévoir les crues de début d’année environ une semaine à l’avance même si les prévisions sont encore incertaines à ce stade-là.
La Moselle, un cas particulier
Peut-être l’avez-vous remarqué lors des inondations, mais l’administration de la Gestion de l’eau distingue la Moselle des autres cours d’eau luxembourgeois. La raison est d’abord historique, à la base la Moselle était gérée par le Service de la navigation mais depuis 2019, l’AGE en a repris les prévisions pour harmoniser le dispositif. La rivière possède aussi quelques spécificités. Plus importante que les autres cours d’eau, elle est moins sensible aux intempéries et son niveau ne monte pas à la même vitesse. Alimentée par la neige des Vosges, elle possède également un tout autre régime hydrologique. Enfin, elle est la seule voie navigable du Luxembourg et son cours est géré par plusieurs barrages. «Les choses doivent donc être gérées différemment», conclut Claude Schortgen.