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La Cour administrative condamne le numérique et la déshumanisation


La Cour supérieure administrative, située au Kirchberg, a annulé deux amendes décidées par la CSSF qui n’avait pas assez précisé ses droits à un administrateur.  (Photo : archives lq/isabella finzi)

La Cour administrative a réformé un jugement en condamnant dans un arrêt qui fera date le tout numérique qui a déshumanisé les rapports entre l’administration et l’administré. Explications.

Le dossier soumis à la Cour administrative va servir d’exemple. L’affaire concerne un litige entre la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) et un administrateur indépendant ayant formé un recours contre deux décisions le condamnant à payer deux fois une amende de 2 000 euros pour ne pas avoir transmis dans les délais certains documents comme la loi l’y oblige. Le jugement de première instance n’a rien trouvé d’irrégulier dans la procédure menée par la CSSF et a débouté l’administrateur.

Ce dernier persiste et fait appel du jugement. Il ne pense pas avoir failli à ses devoirs et de nombreux échanges électroniques et épistolaires témoignent des explications fournies pour justifier un retard dans la finalisation des documents demandés. Les courriers de la CSSF se contentent de faire référence à l’arsenal législatif qui lui permet d’agir et cite notamment l’article 9 du règlement de 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’État et des communes.

Le tribunal, dans son jugement, était d’avis que le fait de renvoyer globalement à l’article 9 en question suffisait à l’administrateur pour l’avertir de ses droits. Absolument pas, rétorque la Cour administrative, qui a réformé le jugement. Cet article 9 qui règle la procédure à suivre par les administrations, vieille de 43 ans, contient un détail important : la personne a le droit d’être entendue en personne dans un délai imparti. Comment l’administré peut-il deviner cette possibilité qui lui est offerte si l’administration ne la précise pas dans ses courriers? Bien au contraire, les nombreux documents demandés devaient être expédiés sous forme électronique, voire par courriers recommandés.

Parce que la CSSF n’a pas expressément indiqué à l’administré en question l’existence de son droit d’être entendu en personne, la Cour a donné raison à l’administrateur indépendant, qui a réussi à convaincre de sa bonne foi, et annulé les amendes administratives de la CSSF.

Selon la Cour, le juge administratif doit créer «l’équilibre indispensable à un vivre en commun aussi adéquat que possible compte tenu des exigences d’un État de droit», compte tenu aussi de «l’évolution de l’action administrative» et de «la modernisation des relations entre administration et administrés».

La Cour constate que depuis 1979, «une tendance nette à la numérisation, à la distanciation personnelle entre l’administration et ses administrés, accentuée ces deux dernières années par la pandémie, à l’anonymisation tous azimuts et à la déshumanisation des rapports entre parties s’est développée sans conteste possible».

Une trop grande distance

La Cour note encore que «si les moyens techniques ont permis une informatisation tous azimuts des procédures et une rationalisation des rapports de force en découlant, cette évolution s’est opérée dans le sens d’une déshumanisation prononcée où le personnel de l’administration se retrouve de plus en plus à une distance accentuée par rapport aux administrés au service desquels il est pourtant appelé à déployer ses efforts».

Dans ce contexte général, la Cour estime qu’il serait fortement utile d’indiquer à un administré qu’il a la possibilité de présenter ses observations en personne, ce qu’il ne peut savoir qu’en allant consulter le règlement en question.

La Cour constate que «face à cette évolution a priori difficilement réversible de déshumanisation des rapports entre administration et administrés, il aurait fallu que l’administration rende spécialement attentif l’administré concerné de sa possibilité de demander d’être entendu en personne, à condition de le faire dans ledit délai imparti, tel que ce droit se trouve précisément consacré par l’article 9».

L’arrêt rendu le 3 mai dernier a inspiré le député Léon Gloden qui demande à la ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding, si elle «considère opportun d’informer notamment les communes de cette décision».

Il va falloir revoir les copier/coller dans les courriers pour éviter ce genre de désagrément et soigner la communication avec les administrés en leur précisant leurs droits de manière claire. C’est ce que réclame le médiateur du gouvernement, Claudia Monti, tout comme ses prédécesseurs avant elle, depuis des années.

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