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Justice restaurative : «Nous sommes là pour accompagner et soutenir»


La justice restaurative permet d'instaurer un dialogue entre l'auteur d'une infraction et sa victime pour que chacun puisse exprimer ses émotions, sans pour autant aller vers la réconciliation. (Photo Adobe Stock)

Depuis 2021, il est possible de faire appel à la justice restaurative. Encore méconnue au Luxembourg, elle permet aux deux parties d’une même affaire de nouer un dialogue pour exprimer leurs émotions.

Si une procédure judiciaire se termine généralement à l’issue d’un procès, les victimes, tout comme les condamnés, peuvent avoir du mal à passer à autre chose. Malgré le verdict, de nombreuses questions peuvent rester en suspens pour les différentes parties. Pour être aidées, celles-ci peuvent alors se tourner vers la justice restaurative.

«Le principe est d’offrir un espace de communication pour créer un dialogue entre personnes auteures et victimes», explique Jessica Luisi, coordinatrice du Service de justice restaurative (Sejure) au sein du Centre de médiation. Introduite dans la loi en 2017, la justice restaurative est pleinement opérationnelle au Luxembourg depuis juillet 2021. Elle est financée par le ministère de la Justice, qui a conclu une convention avec le Sejure. «Pendant une bonne année, on s’est occupé de la sensibilisation. Nous sommes allés à la rencontre de professionnels qui travaillaient avec des victimes ou des auteurs d’infraction. Depuis un an et demi, nous commençons à avoir des demandes.»

Un service ouvert à tous

Mise en lumière en 2023 par le film Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry, la justice restaurative peut prendre plusieurs formes (lire encadré). Au Grand-Duché, elle s’exprime avant tout par la mise en relation, directe ou non, de deux personnes liées par une même infraction. Grâce à cet échange, elles peuvent aborder tous les sujets qu’elles souhaitent, dans les limites que l’autre peut tolérer, ou poser toutes les questions nécessaires. «La justice restaurative est un processus de reconstruction personnelle.»

Une justice sous plusieurs formes

Au Luxembourg, la justice restaurative tente avant tout de créer un espace de communication entre un auteur et sa victime, mais elle peut s’exercer de manière très différente dans d’autres pays. En France, des rencontres condamnés-victimes (RCV) sont organisées pour mettre en relation des gens qui ne sont pas concernés par la même affaire. «On parle alors des conséquences des faits», précise Jessica Luisi. Dans ces groupes de parole, chacun peut exprimer ses sentiments et se confronter à ceux des autres.

En faisant se rencontrer des gens qui ne sont pas liés, les RCV permettent de mettre de côté certaines tensions et de libérer la parole d’une autre manière. Les victimes peuvent ainsi donner leur ressenti durant leur agression à des auteurs. Ces derniers pourront alors exprimer leur motivation et leur état d’esprit au moment où ils ont commis leur propre infraction.

Ici aussi, le but n’est pas de pardonner, mais d’ouvrir un dialogue permettant à chacun d’avancer et l’aider, si besoin, à se reconstruire. Pour les auteurs, les RCV leur permettent aussi d’être confrontés à des victimes similaires aux leurs et à saisir l’impact de leurs actes.

L’idée n’est pas pour autant de réconcilier les parties, ni de restaurer une relation entre elles. C’est avant tout un espace pour se faire entendre. «Cela peut être une dernière possibilité de se dire les choses et de libérer la parole.» Tout le monde peut aujourd’hui bénéficier de ce service par une simple demande au Sejure, et ce, à n’importe quel stade d’une procédure pénale.

Le processus ne concerne d’ailleurs pas que les acteurs principaux, mais aussi leurs proches : dans une affaire de meurtre par exemple, la famille d’une victime peut demander à entrer en contact avec le meurtrier. Il n’existe pas non plus de limitation par rapport à la gravité des faits. «C’est un processus autonome et complémentaire à la justice pénale, nous ne la remplaçons pas», précise Jessica Luisi.

 

«Poser des fondations solides»

Quand une personne souhaite instaurer un dialogue, elle est prise en charge par les neuf facilitateurs du Sejure, qui travaillent en binôme sur chaque affaire. Ce sont eux qui serviront d’intermédiaire et se chargeront de contacter l’autre partie, qui a bien évidemment la possibilité de refuser le contact, voire d’arrêter le processus en cours de route. La rencontre physique n’est d’ailleurs pas une finalité. La communication peut se faire sans se voir, les facilitateurs servent alors de navette pour transmettre questions et réponses. Selon les désirs de chacun, l’accompagnement sera plus ou moins long.

«C’est un travail très technique, affirme Jessica Luisi. Pour organiser certaines rencontres physiques, il nous a fallu onze mois, car il faut tout préparer dans les moindres détails.» Si l’échange final doit évidemment rester spontané, un cadre bien précis est mis en place pour éviter tout débordement. «On doit poser des fondations solides. Notre rôle se structure en trois phases : permettre à la personne de livrer son discours en déterminant ses attentes; lui faire comprendre qu’on ne contrôle pas la réaction de l’autre et qu’il faut anticiper toutes les éventualités; préparer la personne à cette réponse qui n’est pas forcément celle qu’elle espérait.» La colère n’est en effet jamais à exclure.

Instaurer une relation de confiance

Outre les sujets abordés, tous les aspects de l’entrevue, même les plus triviaux, comme où est placée chaque personne, qui arrive et repart en premier, sont méticuleusement organisés. Plus que ce face-à-face en lui-même, c’est dans ces entretiens individuels que se fait tout le travail des facilitateurs. Une tâche complexe, surtout dans des affaires sensibles. «La neutralité est impossible dès qu’on est dans une interaction sociale, admet Jessica Luisi. Il faut pouvoir instaurer une relation de confiance avec la personne, ce qui est impossible en restant neutre.» Le Sejure préfère donc parler d’approche multipartiale, car le facilitateur doit être à l’écoute des deux personnes sans faire de différences ni les juger. «Nous sommes là pour accompagner et soutenir, jamais pour influencer.»

Au-delà d’exprimer ses émotions, la rencontre peut aussi revêtir un caractère très pratique. Une victime peut ainsi demander à mettre en place des règles avec son agresseur : ne pas venir habiter dans le même quartier, s’organiser pour ne jamais se croiser, décider que l’un d’entre eux part immédiatement si jamais cela arrive… La discussion terminée, chacun revoit encore les facilitateurs pour un débriefing. «Il y a rarement une deuxième rencontre.»

Le Sejure emploie neuf facilitateurs, tous agréés et formés par Médiante, un service de justice restaurative qui œuvre en Belgique, pays bien en avance sur le sujet. (Photo : fabrizio pizzolante)

Briser le lien symbolique

Très présent dans les prisons au travers d’ateliers, le Sejure a pour le moment essentiellement reçu des demandes de personnes condamnées voulant instaurer un échange avec leurs victimes. Sur les 13 dossiers reçus jusqu’à présent, 11 ont été déposés par des mis en cause. Mais le service travaille notamment avec le Service central d’assistance sociale (SCAS) pour se faire connaître des victimes et s’ouvrir au plus grand nombre. C’est au cœur de la démarche de la justice restaurative qui, en remettant l’humain au cœur du processus, veut aider chacun à aller de l’avant. «Nous pouvons les aider à briser le lien symbolique qui les retient l’un à l’autre.»

Bien sûr, ce n’est qu’une des nombreuses étapes qui les amèneront à tourner définitivement la page. «Il ne faut pas donner aux gens l’idée qu’on vient tout réparer et leur rendre leur vie d’avant. On leur donne des ressources et des réponses différentes qui peuvent leur permettre de trouver la paix. Il y a toujours un avant et un après.»

Une solution face à un accident

Même si l’on pense avant tout à la justice restaurative dans des affaires de violences sexuelles ou d’agression, elle peut avoir un intérêt après un accident de la route. Si le processus reste similaire, les attentes peuvent être différentes. Jessica Luisi se souvient notamment d’une rencontre forte en émotions entre un conducteur responsable d’un accident mortel et la famille de sa victime. «Ici, il n’y avait pas d’intentionnalité. Deux victimes se faisaient face.»

S’il n’avait en soi rien à se reprocher, l’automobiliste gardait un sentiment de culpabilité. La discussion avec la famille, qui lui a expliqué qu’elle ne lui en voulait pas, lui a permis de se libérer de ce poids, au moins en partie. Les proches de la victime ont, quant à eux, pu en savoir plus sur ses derniers instants et les circonstances de l’accident. Une étape nécessaire pour aller de l’avant.

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