Fernand Etgen, le président sortant de la Chambre des députés, dresse le bilan d’une législature mouvementée. Malgré la pandémie et la guerre en Ukraine, le Parlement a réussi à renforcer son profil et son ancrage sociétal.
La Chambre des députés a connu une législature de tous les records. Le bilan provisoire 2018-2023 fait état de quelque 800 questions urgentes, ce qui dépasse le total des législatures de 1999 à 2018 rassemblées. S’y ajoutent plus de 8 000 questions parlementaires, ce qui représente le double des chiffres de la législature précédente et le triple du total noté entre 2009 et 2013. Comparé à la législature précédente, le nombre de motions et de résolutions a triplé, le nombre d’heures d’actualité a été multiplié par 7 et le nombre de questions élargies, lui, par 8. Le président Fernand Etgen revient sur les évènements marquants de ces cinq dernières années.
Au moment de votre nomination, vous aviez affirmé qu’il faut monter dans le train qui passe peut-être seulement une fois devant vous. Au bout de ce mandat de 5 ans, pensez-vous avoir fait le bon choix ?
Fernand Etgen : Je ne regrette pas d’être monté à bord de ce train (il rit). Être président de la Chambre est un travail formidable, très diversifié et je n’aurais jamais imaginé à quel point ce mandat serait extraordinaire. La fonction de président ne se limite pas à la supervision du travail législatif, mais comprend aussi un grand volet de diplomatie parlementaire. Ce sont des évènements de cette échelle qui m’ont le plus marqué. Il y a eu le discours du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à la Chambre.
Ce fut la toute première fois que le Parlement luxembourgeois a échangé avec un chef d’État d’un pays en guerre. Je me souviens aussi de la visite de Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants des États-Unis. Plus récemment, j’ai pu accueillir le président allemand, Frank-Walter Steinmeier. Ensuite, on a pu organiser au Luxembourg la session annuelle de l’OSCE et, ce printemps, la session de printemps de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, à un moment décisif de l’histoire et en présence de délégations de haut niveau.
Le 1er juillet est enfin entrée en vigueur la Constitution révisée. Quelle est l’importance de ce moment pour le premier citoyen du pays que vous êtes ?
Plusieurs évènements ayant trait à la Constitution ont marqué cette législature. Il y a eu la célébration très digne de l’entrée en vigueur de la loi suprême révisée, mais aussi la célébration du 175e anniversaire de la première Constitution libérale et progressiste, entrée en vigueur en 1848. Après l’extraordinaire séance académique à Ettelbruck, cette année charnière pour le Grand-Duché fait l’objet d’une exposition aux Archives nationales. En 2019, une autre exposition était consacrée aux 100 ans du droit de vote universel.
Pour revenir à la Constitution révisée, il faut aussi souligner que la Chambre a réussi à adopter toutes les lois et dispositions pour qu’elles soient prêtes au 1er juillet. Il fallait notamment anticiper la plateforme en ligne pour introduire une initiative législative citoyenne. Je pense que l’on peut être fiers du résultat final. Le Luxembourg dispose désormais d’une des Constitutions les plus modernes en Europe. De plus, elle renforce la Chambre des députés. Elle devient aussi plus ouverte, ce qui renforce aussi les citoyens.
Je ne pense pas que le ton ni le comportement des députés soient devenus plus rudes
Après de longues tractations, un compromis a été trouvé pour ne pas organiser de référendum pour permettre aux électeurs d’avoir le dernier mot sur la Constitution révisée. Au moment où la démocratie participative est renforcée, ne s’agit-il pas d’un arrière-goût amer que cette consultation populaire, promise au départ, n’ait pas eu lieu ?
Non, je ne pense pas. Un seul parti a insisté jusqu’au bout pour la tenue d’un tel référendum, mais plus la population. Les citoyens se sont rendu compte de la grande complexité de la matière. La décision de diviser la révision en quatre grands chapitres a été sensée, vu qu’elle permet de mieux appréhender les enjeux et nouveautés. D’ailleurs, pour la petite histoire, lors de ma visite de la Foire agricole, des citoyens m’ont approché pour nous féliciter de la belle Constitution. C’est inédit, et illustre aussi la sérénité et la satisfaction qui prévalent autour de la loi suprême révisée.
Comme vous l’avez déjà mentionné, la Constitution révisée renforce le rôle de la Chambre comme organe de contrôle du gouvernement. Quel est aujourd’hui le statut du Parlement ?
La Chambre a déjà vu son rôle considérablement renforcé lors de ces dernières années. Plusieurs éléments expliquent cela. Lors de la pandémie, elle est restée au cœur de la décision politique. Le Luxembourg a été le seul pays où toutes les restrictions sanitaires ont été validées par le Parlement. Le Premier ministre a eu le réflexe démocratique d’inclure dès le départ la Chambre dans le processus de décision, aussi en réservant au Parlement la primauté des mesures que le gouvernement comptait prendre. Cela a contribué à une plus grande acceptation des restrictions.
L’autre aspect qui a permis à la Chambre d’être renforcée est l’implication plus étroite des citoyens. On constate une forte volonté des gens de participer au débat politique. Sont à citer les pétitions publiques, mais aussi le Klima-Biergerrot ou les échanges réguliers avec les jeunes. La Chambre est devenue plus ouverte et plus transparente, aussi grâce à un site internet plus facilement accessible.
État civil. Fernand Etgen est né le 10 mars 1957 à Ettelbruck. Il est marié.
Formation. Après avoir effectué ses études secondaires au lycée classique de Diekirch, Fernand Etgen entame une carrière de fonctionnaire auprès de l’Administration de l’enregistrement et des domaines (AED).
Bourgmestre. Élu une première fois au conseil communal de Feulen en 1979, Fernand Etgen devient échevin en 1982 et bourgmestre en 1994, un mandat qu’il quitte en 2013 pour intégrer le gouvernement Bettel I.
Ministre. Fernand Etgen occupe de 2013 à 2018 les fonctions de ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et de la Protection des consommateurs. Il est également ministre en charge des Relations avec le Parlement.
Chambre. Il fait son entrée à la Chambre en 2007. Après son passage au gouvernement, Fernand Etgen est assermenté le 6 décembre 2018 comme président de la Chambre des députés.
Des nouvelles responsabilités sont désormais attribuées aux députés. Dans ce contexte, quelle est l’importance d’étoffer les moyens et ressources de la Chambre, un travail déjà entamé depuis plusieurs années ?
Nous avons, en effet, déjà entrepris des efforts pour renforcer l’administration parlementaire. Différents services ont été renforcés en termes de personnel. Il y a également eu la création de la cellule scientifique, où on va passer de six à huit membres. On s’est ainsi dotés d’une plus grande expertise en interne, au lieu de devoir se contenter des explications fournies par les différents ministères. Les services des commissions et du compte rendu ont aussi été renforcés.
La communication est un élément important dans une démocratie. Il ne faut pas perdre de vue que le volume de travail a doublé. Le bilan chiffré de la législature bat tous les records. En parallèle, nous avons réussi à digitaliser nos travaux, la lourdeur administrative a pu être réduite. La Chambre est aujourd’hui tout à fait différente de celle qui a entamé la législature en 2018.
On s’éloigne, donc, de l’image d’une Chambre composée de béni-oui-oui ?
Je suis presque allergique à cette image. Il suffit de se remémorer la trentaine de lois covid. Aucun texte déposé par le gouvernement n’a été adopté en l’état. À chaque fois, des amendements parlementaires ont été formulés. La Chambre s’est dotée des ressources pour faire évoluer les choses. Le principe du « Tiens le Bic et tiens le bec« n’est plus d’actualité.
La législature a été marquée par des tensions renforcées entre majorité et opposition. Le fait que vous, en tant que président, êtes indispensable pour assurer la courte majorité de 31 voix de la coalition gouvernementale, a-t-il contribué à ce que les choses s’enveniment ?
Je ne l’ai pas ressenti ainsi. Le rôle du président est d’assurer, en toute objectivité, que chacun puisse s’exprimer librement. Contrairement à ce que l’on a pu affirmer, j’ai finalement été bien plus large en ce qui concerne le respect du temps de parole accordé aux députés de l’opposition. On ne peut pas me faire de reproche sur ce point. Je reste profondément convaincu, surtout en temps de crise, d’offrir une plus large parole à l’opposition. Et puis, il ne faut pas oublier que j’ai été le premier à présider une Chambre composée de sept mouvances au départ, et même huit en cette toute fin de législature (NDLR : l’ex-député de l’ADR Roy Reding a créé la sensibilité Liberté chérie).
Ce nombre inédit de groupes et sensibilités reflète le pluralisme politique, sans que l’on soit confronté à des partis extrémistes tels que l’AfD en Allemagne, le Rassemblement national de Marine Le Pen en France ou la Lega Nord de Matteo Salvini en Italie. Même si depuis le début de l’agression de l’Ukraine par la Russie, certaines affirmations défendent des positions tendant davantage vers l’extrémisme de droite, on est toujours très éloignés de voir émerger au Luxembourg de véritables partis extrémistes.
Pourtant, on a eu droit à des insultes et doigts d’honneur. Le ton est-il devenu plus rude à la Chambre ?
La dispute politique est importante pour la démocratie. Cet échange permet de trouver des solutions et compromis. Si sept ou huit mouvances sont représentées, le travail parlementaire prend plus de temps, que ce soit en commission ou en séance plénière. Cela a fait du bien à la Chambre et à la démocratie. Je ne pense pas que le ton ni le comportement des députés soient devenus plus rudes. Dans sa globalité, le respect mutuel est donné. Des injures ont aussi déjà été prononcées par le passé.
Par exemple, un « Nondikass« a été lancé à 55 fois depuis 1945, mais pas une seule fois un « Nondidjö« (NDLR : le député pirate Sven Clement s’était fait rappeler à l’ordre). Auparavant, des excuses ont peut-être été plus rapidement formulées, mais, en fonction du caractère des projets de loi, il y a toujours eu des tensions plus ou moins importantes. Le député se doit de respecter des règles et il importe que le débat porte sur le fond. Il existe des lignes rouges, mais à aucun moment les choses ont dégénéré.
Votre présidence restera marquée par la pandémie de covid, avec à la clé un état de crise déclaré pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Comment avez-vous vécu cette période ?
Ce fut un moment très particulier, aussi parce que cela nous est tombé dessus du jour au lendemain. Le confinement nous a forcés à passer en télétravail, la Chambre a été obligée de s’exiler de mars 2020 à octobre 2021 au Cercle Cité pour respecter les distances physiques. Depuis 1860, elle a toujours siégé au Marché-aux-herbes, à l’exception de la Seconde Guerre mondiale et de la rénovation du bâtiment, où les députés ont investi l’hôtel de ville de Luxembourg. Dès le début de la pandémie, notre objectif a été de rester opérationnels.
Nous l’avons très bien réussi, par rapport à d’autres Parlements. Même lors du réveillon de Noël en 2020, la Chambre a siégé, ce qui a été inimaginable avant le covid. Je tiens aussi à rappeler l’unité nationale qui a prédominé au moment où l’état de crise a été prolongé par la Chambre. Comme déjà évoqué, tout cela a permis au Luxembourg de mieux gérer la pandémie que d’autres pays.
Au cours de cette législature, nous avons évacué plus de 700 projets de loi, ce qui est un record.
Les partis de l’opposition ont lourdement fustigé l’ordre du jour surchargé en cette toute fin de législature. D’aucuns rejettent la faute sur la lenteur du Conseil d’État pour aviser les textes. Est-ce que cette critique est justifiée?
Tous les ans, avant les vacances d’été, la Chambre est amenée à évacuer un grand nombre de projets de loi. Ce phénomène est encore renforcé à la fin d’une législature. La coopération entre la Chambre et le Conseil d’État a fondamentalement évolué. La pandémie a fait que les rouages entre les différentes institutions ont commencé à tourner autrement. Le Conseil d’État se montre entretemps plus ouvert. Chacun fait de son mieux pour obtenir le meilleur résultat possible.
Une autre question qui se pose en cette fin de législature est de savoir s’il ne faut pas enfin passer à un Parlement composé de députés à plein temps ?
Il y a des pour et des contre. Tout dépend du point de vue de celui qui est concerné. Lorsque j’étais bourgmestre, je trouvais cela important que des membres des collèges échevinaux ou communaux soient représentés à la Chambre. En tant que président, je vois de près la quantité de travail que demande un mandat parlementaire. Au cours de cette législature, nous avons évacué plus de 700 projets de loi, ce qui est un record.
Il faudra en discuter, lors de la prochaine législature, de comment abolir le cumul des mandats, tout en garantissant qu’un ancrage local et communal soit assuré à l’échelle nationale.
Le pitoyable discours du mendiant zelenski restera dans les memoires noires de notre Chambre…comme Fernand le souligne a juste titre
On va soulever notre verre et souhaiter bon vent a Fernand pour sa retraite