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Georges Engel : «Faire du temps de travail un atout pour notre attractivité»


«Ne serait-il pas opportun pour une entreprise d’acheter des logements qu’elle pourrait proposer à sa main-d’œuvre qualifiée contre un loyer adapté par rapport aux pays voisins?»

Georges Engel est ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire et ministre des Sports depuis dix mois. Il veut encore réaliser de grandes choses, notamment dans le domaine des sociétés d’impact sociétal.

Le directeur de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), Jean-Paul Olinger, se plaint du surcoût des congés supplémentaires à venir, à la une de L’essentiel exposé à l’accueil de votre ministère. C’est plutôt cocasse, non ?

Georges Engel : (Il prend un exemplaire du journal gratuit et parcourt l’article rapidement) Je peux comprendre les patrons, c’est leur tâche d’organiser le travail, mais la mienne, c’est de combiner au mieux vie privée et vie professionnelle, éviter aux gens le surmenage, leur permettre d’organiser, aussi, leur vie privée. On travaille pour vivre, on ne vit pas pour travailler. Les congés d’aidant, puisque c’est de cela qu’il s’agit ici, font suite à une directive européenne que l’on transpose dans notre législation.

Ils sont octroyés pour des situations exceptionnelles, une grave maladie qui touche un membre de la famille proche. On peut toujours discuter de qui va payer ce congé. Si on le considère comme une mesure sociale, alors il est évident que ce congé doit être payé, sinon le bénéficiaire du salaire social minimum ne pourra jamais s’en servir. Si on ne considère pas que c’est une mesure sociale, il n’y a que les plus aisés qui pourront en profiter. Je pense que tout le monde doit bénéficier de ces cinq jours de congé pour aidant, et d’un autre jour, encore, accordé pour un cas de force majeure. Il ne s’agit pas de congés supplémentaires, je ne suis pas d’accord avec monsieur Olinger, ils sont liés à des situations spéciales reconnues par un certificat médical. Lors de la tripartite, nous avons trouvé un modus vivendi qui coupe la poire en deux : trois jours payés par les patrons et trois jours payés par l’État.

Que pensez-vous de la pétition à succès qui demande trois mois de congé parental supplémentaires ?

Tout le monde à la Chambre a dit que le congé parental est une excellente chose pour les parents et les enfants. C’est un élément bénéfique, c’est certain. Nous allons tous attendre les conclusions de l’étude d’évaluation de la réforme, prévues pour 2024, et voir si trois mois supplémentaires sont nécessaires pour le bien-être de l’enfant. Certainement que oui, mais où s’arrêter? Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que cette rallonge serait bénéfique, mais après cela, encore trois mois? On ne peut pas comparer avec des pays qui offrent des congés parentaux plus étendus, parce que, souvent, ils ne sont pas rémunérés. On peut aussi prendre deux ans de congé sans solde au Luxembourg.

Quand vous avez pris vos fonctions, il y a dix mois, vous vouliez d’abord « prendre le pouls de l’opinion ». Vous en avez eu le temps ?

Ce que je peux dire, c’est que je n’ai pas beaucoup changé. Je fréquente toujours pas mal d’associations, de clubs sportifs et culturels, je vis ma vie dans la même communauté. J’ai fait pas mal de visites dans des institutions, dans des ateliers protégés, et c’est ça aussi prendre le pouls de ceux pour qui l’on travaille. Je pense que j’ai pris le pouls de beaucoup de gens, j’ai décelé les problèmes, pas toujours faciles à résoudre et pas toujours récents. Quand un nouveau ministre arrive, il se fait souvent aborder pour un problème que les ministres précédents n’ont pas réussi à résoudre. La solution n’est pas toujours évidente et je n’ai jamais eu la prétention d’avoir réponse à tout.

Nous avons absolument besoin de la main-d’œuvre étrangère et le salaire qui était motivant par le passé ne l’est plus tant que ça

Le travail se transforme, le télétravail est apparu, les gens veulent travailler moins, ou autrement. Comment vous préparez-vous à ces changements revendiqués par la population active ?

Le télétravail et, d’ailleurs, la réduction du temps de travail sont effectivement deux grands sujets. S’il y a un grand gagnant de la pandémie, c’est bien le télétravail. Avant la crise, nous avions 12 % de télétravailleurs et, au pic de la pandémie, nous avons atteint les 70 %. Le télétravail, ce n’est pas seulement rester à la maison, mais se déplacer à d’autres endroits.

Un des points du programme du LSAP pour les élections de 2013, déjà, était de créer des espaces près des frontières au Luxembourg et cette idée doit rester d’actualité. Mais le télétravail n’est pas la réponse à tout et on l’a bien vu. Chez nous, au ministère, par exemple, nous avons deux jours de télétravail maximum par semaine, avec des jours fixes de présence pour pouvoir mieux s’organiser.

Il y aura forcément une différence de traitement entre résidents et frontaliers…

Il est toujours possible pour les frontaliers de prendre davantage de jours de télétravail, mais dans ce cas, il faut verser une part d’impôt au pays de résidence et, pour la sécurité sociale, le travail dans son pays de résidence ne doit pas atteindre 25 % de son temps de travail ou de sa rémunération. Une sous-commission à la Chambre des députés, que préside Dan Kersch, s’occupe d’étudier tous les aspects du télétravail. Selon les conclusions qu’elle livrera, nous prendrons les mesures appropriées. Ce sera difficile d’éviter des différences de traitement entre résidents et non-résidents, puisque pour les premiers, il n’y a pas de limite qui joue. Je suis déjà heureux des accords que nous avons avec les pays voisins.

Concernant la réduction du temps de travail, les attentes se font toujours pressantes. Comment comptez-vous y répondre ?

Nous avons quand même 40 heures de travail par semaine, ce qui est plus que dans certains autres pays. J’ai fait mener une étude pour voir les avantages et les désavantages d’une réduction du temps de travail. Quel type de réduction, par exemple ? Moins d’heures dans la journée, davantage de congés ? On verra, mais en tout cas, il faudra en faire un atout pour attirer les travailleurs au Luxembourg, l’attractivité du marché luxembourgeois n’étant plus la même qu’avant.

Nous avons absolument besoin de la main-d’œuvre étrangère et le salaire qui était motivant hier ne l’est plus tant que ça. La mobilité est un véritable problème avec des heures de trajets quotidiens qui dégradent la qualité de vie, donc il faut compenser et trouver de quoi continuer à attirer les gens dans le pays.

Quid du coût de la vie et du gros problème des prix de l’immobilier au Luxembourg qui freinent considérablement tous les efforts déployés pour trouver cette main-d’œuvre qualifiée, et si possible la loger ? Avant, il y avait les cités ouvrières…

Il est clair que c’est « le«  problème au Luxembourg qui joue fortement sur l’attractivité du marché du travail. Toutes les bonnes idées sont à étudier, et j’en discutais encore récemment avec un ami. Nous nous demandions s’il ne serait pas opportun pour une entreprise d’acheter des logements qu’elle pourrait proposer à sa main-d’œuvre qualifiée contre un loyer adapté par rapport aux pays voisins. Ce serait un grand pas en avant. Il faut innover, en tout cas, pour trouver des solutions.

Cette main-d’œuvre qualifiée manque dans les rangs de l’Adem, qui ne dispose pas des profils requis. Comment résoudre cet éternel problème ?

On parle beaucoup de compétences. Le gros problème est que l’on n’arrive pas toujours à savoir quelles sont les compétences demandées et celles que les personnes à la recherche d’un emploi peuvent offrir. Nous avons fait une étude sur sept secteurs d’activité, sur les métiers et compétences recherchés sur le marché de l’emploi luxembourgeois, pour mieux cerner ce problème. Ce n’est pas aussi évident que cela n’y paraît. Nous avons quelque 14 000 demandeurs d’emploi et 13 500 places ouvertes, on voit bien que le processus est beaucoup plus complexe. Nous allons poursuivre notre étude pour l’étendre à d’autres secteurs.

L’économie sociale et solidaire est en plein essor, comme en témoigne le site internet dédié du ministère. Un domaine qui vous tient à cœur ?

En 2016, nous avons voté une loi sur les sociétés d’impact sociétal, les SIS, dont j’étais d’ailleurs le rapporteur. C’est un domaine que j’aimerais encore développer, puisque, effectivement, il me tient très à cœur. Lorsque j’étais encore bourgmestre de Sanem, nous avons créé la première épicerie solidaire, qui fonctionne toujours bien malgré toutes les difficultés que cela comporte. J’en suis fier, car c’est une autre économie, qui n’est pas basée sur le profit, mais qui redistribue pour le bien de tous.

Nous avons actuellement 40 sociétés d’impact sociétal et l’économie sociale et solidaire représente 2,2 % du PIB : ce n’est pas rien. En septembre, nous avons inauguré le Social Business Incubator au Kalchesbréck. Les start-up pourront désormais bénéficier d’un accompagnement grâce à ce nouvel incubateur pour sociétés d’impact sociétal. C’est un espace pour tous ceux qui veulent s’investir dans cette forme d’économie. Si on réinvestit à 100 % ses bénéfices, on a des avantages fiscaux, ce qui est naturel.

Que pense le ministre des Sports de tous les boycotts qui se multiplient à la veille de la Coupe du monde au Qatar ? Plus largement, que pensez-vous de tout ce business du foot et des salaires mirobolants de la profession ?

D’abord, pour les salaires faramineux, il n’y a pas que dans le football qu’on les trouve, c’est aussi valable pour le golf, le tennis, etc. Ces salaires sont indécents, ils ne sont en rien justifiés. J’aime le foot, tous les sports en général, et je peux comprendre que les sportifs gagnent de l’argent, mais certains salaires n’ont plus de rapport avec la réalité. En ce qui concerne le Qatar, je pense que la décision prise en 2010 n’était pas la bonne, mais c’était à ce moment-là qu’il aurait fallu le dire et pas quelques semaines avant l’ouverture de la Coupe du monde.

C’est un peu hypocrite de crier au scandale aujourd’hui. Je dis depuis 2010 qu’il est insensé de faire une Coupe du monde au Qatar, pays qui n’a aucun lien historique ou culturel avec le football. Les drames sont venus s’ajouter, avec les conditions de travail déplorables et les nombreuses victimes sur les chantiers. Pour attribuer la Coupe du monde à un pays, il faut décider sur des critères universellement humanistes et environnementaux. Cette attribution au Qatar a fait réfléchir pas mal de monde. J’espère que cette faute ne sera pas répétée. Mais je suis un optimiste de nature.

 

2 plusieurs commentaires

  1. Claude Alesch

    Un mec qui travaille les pieds au sol et qui est un gain pour notre politique!

  2. J’aimerais plus qu’ils font de notre temps de travail des portefeuilles pleines.