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[Gardiens de la nature] Natur&ëmwelt : «Nos gestes sont importants, les petits pas comptent aussi»


«Globalement, la situation (de la biodiversité) n’est pas bonne, mais localement, lorsqu’on lance des projets très précis, cela fonctionne», selon le président de natur&ëmwelt Roby Biwer.

Inlassablement, les 26 employés de natur&ëmwelt s’engagent pour défendre les intérêts de la nature, qui sont également les nôtres. Avec des succès qui donnent le sourire, mais aussi beaucoup de difficultés.

Voici la deuxième partie de la grande interview que nous ont donnée Roby Biver (président de natur&ëmwelt), Claudine Felten (directrice) et Lieke Mevis (conseillère nature, chargée de communication). Vous pourrez retrouver le premier volet, paru le week-end dernier sur notre site.

Lorsque l’on parle de biodiversité et de protection de la nature, il est difficile de se réjouir. Pourtant, il y a aussi de bonnes nouvelles. Pouvez-vous nous en présenter quelques-unes ?

Roby Biver (président de natur&ëmwelt) : Quand on agit pour elle, la nature réagit vite. Globalement, la situation n’est pas bonne, mais localement, lorsqu’on lance des projets très précis, cela fonctionne. Nous avons réintroduit la reinette verte qui avait disparu et c’est une réussite. Les efforts en faveur de la chouette chevêche l’ont également sauvée de l’extinction. Le castor revient aussi, comme le loup, que l’on a vu passer à plusieurs reprises cette année.

Et pourtant, la Commission européenne aurait très envie de ne plus protéger l’animal. On dit Ursula von der Leyen traumatisée par la mort de son poney, tué par un loup en 2022…

R. B. : Au Luxembourg, les moutons sont surtout attaqués par des chiens. En Autriche, une dame a récemment été tuée par un chien. Cela ne fait pas la une des journaux, mais imaginez si ça avait été un loup…

Lieke Mevis (conseillère nature, chargée de communication) : La cohabitation avec le loup est possible, il y a des populations où cela fonctionne très bien. D’autant que nous avons un plan de gestion très clair, très précis. Les gens qui pourraient être concernés par le loup n’ont pas été oubliés, bien au contraire.

Claudine Felten (directrice de natur&ëmwelt) : La façon dont on gère le retour du loup est un excellent exemple de ce qu’il faut faire. Les règlements cohérents ont été émis avant qu’il ne revienne vraiment et tout est prévu : la prévention, la sensibilisation, les éventuelles compensations… L’anticipation est la clé de beaucoup de problèmes.

R. B. : On peut toujours trouver des solutions. Il suffit de s’assoir ensemble et de travailler. Les éoliennes sont un autre exemple.

Tout le mal que l’on fait à la nature, il nous retombe dessus à un moment où à un autre

Vous pouvez nous l’expliciter ?

Pendant des années, elles posaient problème parce que des rapaces, dont le milan royal, se tuaient en percutant les pales. Désormais, on installe des caméras dans les mâts, elles filment les alentours dans un cercle de 1 km. Quand elle détecte un gros oiseau approchant à 500 m, un programme arrête les pales en quelques secondes. Les opérateurs d’éoliennes ont été très coopératifs et il n’y a plus aucun problème.

Finalement, pour aider la biodiversité, il suffit surtout de bonne volonté ?

C. F. : Souvent oui. Nous sommes tous des acteurs de sa protection. Parfois, des personnes nous appellent en nous demandant pourquoi il n’y a plus d’oiseaux ni d’insectes dans leur jardin. En discutant, nous découvrons qu’elles ont remplacé leurs pelouses par du minéral. Les gens ne réalisent pas toujours que nos gestes sont importants, les petits pas comptent aussi. Nous allons lancer l’année prochaine un projet autour des jardins privés, pour montrer que ceux dans lesquels on n’utilise pas de pesticides et où l’on fait pousser des plantes indigènes accueillent naturellement la biodiversité et intègrent un réseau écologique vertueux.

Pourquoi penser à nos petits-enfants n’est pas une priorité?

R. B. : Si nous parvenons à convaincre les gens qui ont un jardin minéralisé, parfois avec des pierres qui viennent de Chine, qu’il s’agit d’un non-sens écologique, nous aurons fait beaucoup de bien au pays ! Des communes ont déjà interdit cette pratique, c’est très bien.

Ce travail de sensibilisation nécessite beaucoup d’engagements de la part de vos employés et donc des ressources financières qui s’ajoutent à tous vos autres projets…

C. F. : Informer, sensibiliser fait effectivement partie de nos piliers les plus importants. Il faut faire passer ces messages, même s’ils ne sont pas toujours gais à entendre. Mais aujourd’hui, nous sommes dans une telle urgence que l’on n’a plus le temps d’enrober ça gentiment… il faut agir. Et pour mener à bien ces missions, il faut des fonds. C’est crucial.

R. B. : Nous remercions toutes les entreprises qui nous sponsorisent et tous nos membres privés. Nous ne pourrions rien faire sans eux. Mais nous voyons que les gens sont souvent plus motivés pour financer des projets concrets plutôt que le fonctionnement général de l’association.

Comment se porte natur&ëmwelt, financièrement ?

C. F. : Ce n’est pas facile. À cause de l’inflation, les gens donnent un peu moins, ce que nous comprenons parfaitement. Nous avons 26 employés, dont plusieurs à temps partiel parce que nous n’avons pas toujours les moyens d’offrir un temps plein. Les trois tranches d’index de 2023 pèsent dans notre budget.

R. B. : Nous avons une convention avec le ministère de l’Environnement, mais depuis une vingtaine d’années que je m’implique dans natur&ëmwelt, elle n’a jamais été corrélée aux index. Il faudrait y remédier…

C. F. : Je suis directrice depuis un peu plus d’un an et j’ai déjà dû remplacer six personnes qui sont parties à l’État parce que les salaires n’ont rien à voir avec les nôtres. Ça ne facilite pas le travail à long terme.

R. B. : Heureusement, notre équipe est composée de gens passionnés qui font passer l’intérêt de leur travail avant tout. Ils ne comptent pas leurs heures, c’est admirable. Mais lorsque l’on a envie de s’installer, de fonder une famille, les salaires de l’État rendent les choses plus faciles…

Alors que les élections, un peu partout dans le monde, semblent montrer que l’environnement n’est plus considéré comme une cause prioritaire, quelle est votre vision de l’avenir ?

R. B. : Je dois tout de même rappeler que l’origine de natur&ëmwelt remonte à 1920, cela ne date pas d’hier et nous poursuivrons inlassablement nos missions.

C. F. : Sur le plan politique, le cadre de l’action pour la nature au Luxembourg est fixé par le 3e Plan national pour la nature (PNPN) qui court jusqu’en 2030, avec une révision en 2027. Il a été validé début 2023 et le Gouvernement a pris l’engagement de le respecter.

R. B. : À l’échelle internationale, les lobbys nous font beaucoup de mal. À Bruxelles, 40 000 travaillent pour les grandes entreprises quand les protecteurs de l’environnement en comptent entre 3 000 et 4 000.

Nous sommes dans une telle urgence que l’on n’a plus le temps d’enrober ça gentiment

On l’a encore vu très récemment, avec le renouvellement de l’autorisation du glyphosate…

C. F. : Et nous l’avions interdit au Luxembourg, ce qui était une excellente décision… Ces discours ont encore décrédibilisé la parole des scientifiques. Ceux des entreprises produisent des études biaisées qui vont dans leur sens, elles n’ont pas la rigueur nécessaire qui caractérise les travaux des scientifiques intègres qui, eux, sont tous alarmistes.

R. L. : N’oublions pas que les 2/3 de notre alimentation dépendent directement des pollinisateurs. Un travail estimé à 150 milliards d’euros chaque année! En Chine, dans les régions où il a été massivement déversé, il n’y a plus d’insectes et on pollinise les plantes à la main. C’est fou…

C. F. : Le moment où on a le plus parlé du glyphosate, c’est lorsque les résultats de l’étude qui a démontré sa présence dans le Nutella sont sortis. Cela a touché l’opinion publique, mais du glyphosate, il y en a partout… Tout le mal que l’on fait à la nature, il nous retombe dessus à un moment où à un autre.

R. B. : Moi, j’ai deux petits-enfants de 2 ans et demi et 4 ans. Ils vivront en 2100, cette barrière que nous plaçons au loin lorsque l’on parle des scénarios du GIEC à propos du réchauffement climatique. En fait, c’est très proche de nous. Pour mes petits-enfants, ce sera très concret. Comment fait-on pour ne pas penser à eux ? Pourquoi n’est-ce pas une priorité ?