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[Gardiens de la nature] Le robinier, cet ennuyeux champion de la survie


Jacques Mersch (à gauche) et Salman, technicien de l’environnement, devant un robinier cerclé du Giele Botter. (photo Erwan Nonet)

Les robiniers sont des arbres d’origine nord-américaine très plantés en Europe, mais qui perturbent aujourd’hui les écosystèmes. S’en débarrasser est une tâche ardue, maîtrisée par Jacques Mersch et son équipe.

Dans les zones naturelles du Grand-Duché, les espèces végétales exotiques ne sont pas souhaitées, car elles déstabilisent des équilibres fragiles et participent à la diminution de la biodiversité. L’Administration de la nature et des forêts pilote en ce moment des opérations qui visent à éliminer des zones Natura 2000 ces espèces néophytes envahissantes, et particulièrement les robiniers. L’équipe de Jacques Mersch, fondateur et gérant de la société Biomonitor, est chargée de cette tâche dans les anciennes minières du sud du pays.

«Les robiniers sont des arbres très résistants venus d’Amérique du Nord», explique-t-il en sillonnant la zone naturelle Prënzebierg/Giele Botter, entre Niederkorn, Pétange et Lamadelaine, une ancienne mine à ciel ouvert devenue aujourd’hui une zone protégée de plus de 250 hectares. Sur ces sols calcaires pauvres se déploie une importante biodiversité. À la belle saison, on trouve beaucoup d’orchidées (notamment des orchis pyramidaux et des orchis incarnats), un grand nombre d’autres fleurs, des insectes (papillons, mantes religieuses…), et donc, beaucoup d’oiseaux, de chauves-souris, d’amphibiens ou de reptiles. «En fixant l’azote de l’atmosphère dans ses racines, les robiniers enrichissent ces sols, ce qui contribue à l’élimination progressive des nombreuses espèces adaptées aux terrains pauvres en éléments nutritifs», ajoute le biologiste.

Au Giele Botter, les reliefs sont fréquemment les stigmates de l’exploitation de la minette, le minerai de fer. Cette activité lourde a engendrée une énorme quantité de résidus que l’on replaçait, souvent avec des scories, dans les mines épuisées ou les crassiers. Ce faisant, on a créé un paysage de ravins et d’éboulis qui, des décennies plus tard, sont devenus de riches biotopes.

C’est alors que ces fameux robiniers interviennent. «À la fin de l’exploitation de la mine, on les a plantés pour stabiliser les ravins, bien que ce ne soit pas très efficace parce qu’il ne pousse pas grand-chose en dessous, ce qui laisse faire l’érosion», indique Jacques Mersch. De fil en aiguille, les graines produites par ces arbres plantés en rangées se sont dispersées et aujourd’hui, l’ANF et Biomonitor ont dénombré plus de 2 500 robiniers dans la réserve naturelle.

La solution : le cerclage

Et les enlever n’est pas une mince affaire. «Non seulement les robiniers se reproduisent grâce à leurs graines, mais ils disposent d’autres moyens. Ils lancent également des rejets à la base de leur tronc et font aussi partie des rares arbres qui produisent des drageons, c’est-à-dire des nouvelles pousses qui partent de leurs racines et peuvent apparaître dans un cercle d’une dizaine de mètres autour de l’arbre.» Ces différents modes de reproduction font de lui un as de la survie.

Encore plus fort, les robiniers développent une parade lorsqu’ils se sentent en danger. «Si on les coupait comme n’importe quel arbre, ils mettraient toute l’énergie contenue dans leurs racines pour faire pousser des drageons. Il y en aurait tellement qu’il serait impossible de tous les enlever et on obtiendrait l’effet inverse de celui recherché.»

Une solution existe toutefois… mais elle demande quelques années avant de produire le résultat escompté. Cette méthode s’appelle le cerclage : «Nous enlevons l’écorce sur une quinzaine de centimètres de hauteur, presque tout autour de l’arbre, en ne laissant qu’un petit passage, indique-t-il. Puisque la sève circule dans la partie juste sous l’écorce, l’arbre va s’affaiblir lentement sans déclencher la même production de drageons que si on l’abattait. Sans ce pontage, le choc serait trop fort et il réagirait comme si on l’avait coupé. »

Ensuite, deux fois par an, les techniciens de l’environnement de Biomonitor arrachent rejets et drageons pour épuiser le système racinaire. Après deux ans et parfois plus selon la vitalité de l’arbre, sa couronne dépérit et les racines se dégradent tout autant. «La sève élaborée, chargée du sucre produit par les feuilles, descend vers les racines, et la sève brute, qui monte des racines vers le sommet de l’arbre, ne passe plus que par le pontage, ce qui va contribuer à le dessécher lentement. Lorsque le robinier agonise, il suffit de terminer le cercle en grattant le pontage pour qu’il meure sans lancer de drageons ni de rejets », explique Jacques Mersch.

Nous devons nous adapter à chaque situation et finalement, à chaque arbre

L’ANF peut alors venir couper le robinier et récupérer un bois de très bonne qualité, pratiquement imputrescible, prisé pour créer des jeux pour enfants ou des poteaux de clôture, par exemple. Les espèces typiquement luxembourgeoises comme les charmes, les hêtres et les chênes vont alors pouvoir reprendre leur place.

Se défaire des robiniers est donc un travail de longue haleine, qui nécessite une très grande connaissance du territoire, mais aussi de la patience. «On ne peut jamais dire exactement combien de temps cela va prendre, nous devons nous adapter au terrain, à chaque situation, à chaque exposition et, finalement, à chaque arbre, affirme Jacques Mersch. Ce n’est qu’à ce prix que nous pouvons assurer le succès de l’opération. »

Pourquoi a-t-on planté autant de robiniers ?

Cet arbre pionnier à croissance rapide a plusieurs avantages. Il pousse notamment très bien dans les sites où les sols sont perturbés. Au Grand-Duché, par exemple, on le voit beaucoup dans les anciens sites miniers dont les carrières ont été comblées, mais aussi le long des routes, dans les remblais de voies ferrées ou les talus au bord des autoroutes. Il y en a notamment beaucoup sur le bord de l’A31.

Qui plus est, il faut reconnaître qu’il s’agit d’un bel arbre que l’on peut toujours acquérir pour orner parcs et jardins, ce qui n’est pas sans poser problème. Et puis, ces élégantes grappes de fleurs blanches sont très mellifères. Les abeilles et les apiculteurs l’adorent : c’est avec le robinier surnommé faux-acacia que l’on produit le fameux miel d’acacia.

Carte d’identité

Nom : Jacques Mersch
Âge : 59 ans
Poste : fondateur et gérant de Biomonitor
Profil : Il a obtenu une maîtrise en écologie à Strasbourg avant de passer une thèse en toxicologie environnementale à l’université de Metz. Avec un ami, il a créé Biomonitor dès la fin de ses études. La société, basée au Luxembourg et en France, compte une quinzaine d’employés.

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