La conservation de l’environnement ne se fait pas uniquement les bottes aux pieds. Elle commence dans les bureaux du ministère dédié, où sont choisies les actions et déterminés les budgets.
C’est l’envers du décor, le côté moins glamour, mais absolument indispensable de la protection de la nature. Avant de pouvoir aller sur le terrain et de mettre en place des stratégies concrètes, il faut les planifier et les budgétiser. Ces tâches sont pilotées depuis la tour Alcide de Gasperi, au Kirchberg, dans les bureaux du ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable.
Gilles Biver dirige l’une des six directions dudit ministère, celle des Ressources naturelles, de l’eau et des forêts. Biologiste, son terrain n’est plus celui des prairies et des forêts, mais les bureaux où les dossiers traités par l’ensemble des services du ministère vont définir les priorités dont vont s’emparer les hommes et les femmes de terrain qui agissent pour protéger les biotopes les plus précieux du pays, voire pour les restaurer.
Les grands principes de la stratégie en matière de protection de l’environnement ont été fixés par l’Union européenne. «La directive « Oiseaux » de 1979 prévoyait que les États membres désignent des zones protégées pour leur conservation, explique Gilles Biver. C’était un concept nouveau, la première pierre de l’édifice.»
En 1992, cette initiative était complétée par la directive «Habitats», qui imposait de créer des zones spéciales pour la protection des espèces menacées, hors oiseaux. Déjà, la portée de ces aires précisément délimitées dépassait leur cadre purement local, puisque chacune était conçue comme une maille d’un vaste réseau à l’échelle continentale. Mais l’application de ces bonnes intentions n’étant pas contraignante et les objectifs non chiffrés, elle dépendait du bon vouloir des États.
Faire cohabiter les humains et la nature
Les directives «Oiseaux» et «Habitats» ont constitué les fondations du réseau Natura 2000, qui portait en lui dès le départ des impératifs de moyens et de résultats, sous peine de sanctions financières pour les États. C’est ce qui a obligé le Grand-Duché à prendre enfin ces questions au sérieux à la fin des années 1990.
Modestement d’abord (la première loi pour la protection de la nature a été promulguée le 19 janvier 2004), très sérieusement plus récemment (la nouvelle mouture a été validée par la Chambre des députés le 18 juillet 2018 et le 3e Plan national pour la protection de la nature vient d’être lancé en janvier 2023).
«Le réseau des zones Natura 2000 est un des outils les plus importants pour nous. Il est un levier essentiel de la conservation et de la restauration de la nature, pour qu’elle continue de nous procurer les services écosystémiques, affirme Gilles Biver. À l’intérieur des zones, nous soutenons la présence des humains et de leurs activités, en prenant les mesures appropriées pour que ces dernières ne nuisent pas aux zones naturelles ou à leurs objectifs de conservation. Nous devons absolument éviter une perte de la biodiversité dans ces espaces préservés.»
L’encadrement des activités économiques se concrétise souvent par des contrats de biodiversité signés entre l’État et des exploitants agricoles ou sylvicoles. Des subventions sont ainsi allouées en contrepartie des bonnes pratiques mises en application.
Les zones Natura 2000 ne sont pas figées, bien au contraire. Les objectifs sont régulièrement mis à jour en fonction des résultats des études et inventaires qui y sont constamment menés par des biologistes, comme ceux de l’Administration de la nature et des forêts, des syndicats intercommunaux concernés (Sias et Sicona) ou des parcs naturels. «Par exemple, le castor a été réintroduit en Belgique et en Allemagne et il s’est de nouveau installé chez nous, il a donc fallu réviser les objectifs de conservation des zones Natura 2000 où il est présent pour le prendre en compte», précise Gilles Biver.
Ces études scientifiques permettent aussi de repérer les failles dans les systèmes de protection et de mettre en place les moyens pour les combler, tant qu’il est encore temps. La préservation de l’environnement n’est jamais simple et il faut parfois procéder à des arbitrages entre experts pour déterminer ce qu’on retiendra comme prioritaire.
Dans les secteurs les plus sensibles, des zones de protection strictes peuvent aussi être définies. Les règles y sont beaucoup plus strictes, mais le périmètre où elles s’appliquent est aussi beaucoup plus limité. Très souvent, ces secteurs sous haute protection se trouvent à l’intérieur des zones Natura 2000.
La définition de tous ces territoires, des règles qui les régissent et des objectifs qu’on leur attribue est donc à la fois le fruit d’un travail de terrain et de bureau. Ce dernier n’est pas à sous-estimer, car de lui dépendra les moyens alloués aux acteurs de terrain et donc l’ampleur et l’efficacité de leurs actions. Ces fonctions décisives sont occupées par des biologistes qui, quelque part, ont sacrifié leur goût du terrain pour la mise en place du cadre règlementaire le plus efficace possible à la conservation d’une des plus grandes richesses du pays : sa biodiversité.
La question : Que représentent les zones protégées au Luxembourg ?
Si la protection du patrimoine (y compris naturel) a longtemps été considérée comme une préoccupation secondaire au Grand-Duché, les mentalités changent petit à petit, notamment grâce à des personnes très engagées.
Longtemps à la traîne dans la protection de l’environnement, le pays compte désormais 67 zones Natura 2000. Très récemment, 18 règlements grand-ducaux ont élargi légèrement plusieurs d’entre elles, incluant des terrains qui appartenaient déjà à l’État.
Au Luxembourg, 28,1 % de la superficie se trouve aujourd’hui dans une zone Natura 2000. Le pays, dans le top 5 de l’UE, est donc très proche de l’objectif des 30 % fixé par l’Union européenne. À l’échelle continentale, ce pourcentage et de 18 %.
Carte d’identité
Nom : Gilles Biver
Âge : 45 ans
Poste : Conseiller de gouvernement 1re classe, à la tête de la direction des Ressources naturelles, de l’eau et des forêts du ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable.
Profil : Gilles Biver est titulaire d’une maîtrise en biologie des populations, écophysiologie et écologie comportementale.