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[Gardiens de la nature] Bio : «Il faut chercher à se rapprocher, pas à diviser»


Daniela Noesen garde son optimisme, elle veut croire que la raison l’emportera et que l’importance d’une agriculture plus verte sera reconnue. (photo archives Editpress/Hervé Montaigu)

Daniela Noesen dirige la Bio-Vereenegung, une association réunissant près de 80 exploitations agricoles bios. Elle revient sur l’atmosphère du moment, où la protection de l’environnement ne semble plus être une priorité.

Photo : erwan nonet

Une table ronde Agriculture a été organisée au château de Senningen lundi dernier par la ministre de l’Agriculture, Martine Hansen, et le ministre de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité, Serge Wilmes. Mais aucune instance bio n’a été conviée. Qu’est-ce que cela vous inspire?

Daniela Noesen : Les ministres ont décidé de n’inviter que les représentants de la Chambre d’agriculture, il faut l’accepter. Et ce lundi, en compagnie d’une délégation des acteurs de l’agriculture bio (NDLR : la Bio-Vereenegung, mais aussi l’Ibla, l’IVLB-Interessegemeinschaft Vermaartung Lëtzebuerger Biofleesch, Biog, les vignerons bios…), nous irons voir la ministre Martine Hansen qui nous a invités à notre tour. Nous aurons alors la possibilité de lui faire entendre notre opinion.

N’auriez-vous pas préféré une réunion commune, avec l’ensemble du secteur agricole du pays?

Je pense que ce sera plus facile de détailler notre façon de voir les choses, nous aurons davantage de temps pour parler de nos sujets.

Le bilan de la réunion de lundi dernier ne semble pas aller dans le sens de la promotion d’une agriculture plus verte. Le communiqué de presse officiel parle de faciliter la construction de bâtiments dans les zones vertes, de simplifier les règlements dans les zones de protection de l’eau potable, d’adapter ceux sur l’utilisation des nitrates… Bien que tout cela soit encore flou, les signaux envers la protection de l’environnement ne sont pas très encourageants. Quelle est votre lecture des conclusions de cette assemblée?

Il est inscrit dans le programme de coalition que le gouvernement s’engage à accompagner la progression de l’agriculture bio. Et je suis persuadée que les ministres savent pertinemment que le bio peut apporter beaucoup de solutions pour répondre à la crise environnementale que nous subissons avec le changement climatique ou le grave déclin de la biodiversité. Lundi dernier, les gros sujets qui ont été abordés concernaient les agriculteurs en conventionnel. Nous avons une autre vue sur ces questions, c’est vrai, et nous aurons une chance de la détailler lundi.

Avez-vous l’impression que ces derniers temps, un fossé encore plus grand se creuse entre les agriculteurs conventionnels et les agriculteurs bios?

Ce serait une terrible nouvelle que nous ne souhaitons absolument pas. Au contraire, nous sommes tous dans le même bateau et il faut avant tout chercher à travailler ensemble, pas les uns contre les autres. Malgré tout, vous avez raison, on ne regarde pas tous dans la même direction. Il y a deux visions, deux stratégies, mais il faut chercher à se rapprocher, pas à se diviser.

Pensez-vous que la ministre de l’Agriculture puisse entendre votre point de vue?

Bien sûr qu’elle le peut, je n’en ai même aucun doute! En fin de compte, nous défendons des choses évidentes : la qualité de l’environnement, des produits agricoles, de l’eau potable… Qui ne voudrait pas ça? Pour toutes ces questions, l’agriculture bio a des solutions efficaces non seulement pour la nature, mais aussi pour la production agricole et les revenus des agriculteurs. La ministre ne peut que nous encourager à développer cette voie.

Pourtant, l’agriculture bio reste très minoritaire au Luxembourg. Vous avez du mal à convaincre le secteur agricole…

Oui, elle ne représente que 7,2 % des terres cultivées. Ce n’est pas tellement. Nous devons analyser cette défiance pour la comprendre. De notre expérience, nous savons que les agriculteurs ont besoin de temps. Une conversion vers le bio est un processus long, difficile et qui varie selon la spécialisation de l’exploitation. Passer au bio, c’est prendre des risques et les agriculteurs ont tous besoin de sécurité. Ce qui est normal. Ils ont aussi besoin d’être soutenus par la société tout entière pour franchir le pas. Il faut que leurs produits soient demandés et que les consommateurs acceptent de les payer à leur prix juste. On ne peut pas demander à tout un secteur de se convertir si le marché ne répond pas.

Justement, le bio ne se vend plus aussi bien depuis la succession des crises, le covid, l’Ukraine…

Oui, malheureusement… Nous constatons que les gens reprennent l’avion pour partir en vacances, qu’ils s’achètent les derniers GSM, de grosses voitures, mais qu’ils font moins attention à la qualité de ce qu’ils mangent. Le problème, c’est qu’en achetant pas cher, on n’a pas de scrupules à jeter. Nous devrions préférer manger des produits de qualité, en plus petite quantité et ne rien jeter. Notre comportement consumériste a un gros impact sur l’environnement.

Nous ne pouvons pas forcer les gens à croire en nous, ça ne marche pas comme ça

Les messages existent, pourtant. Les consommateurs savent tout cela. Pourquoi est-ce que les comportements mettent autant de temps à changer?

C’est sûrement en partie de notre faute. Nous devons trouver la bonne stratégie pour les convaincre. Nous travaillons à ce que les intentions de la société aillent dans le sens d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement. Il reste beaucoup de travail, c’est évident, mais je reste optimiste.

Pourtant, le phénomène de backlash est bien visible. Beaucoup de personnes semblent ne plus s’intéresser à l’environnement. On le voit notamment dans les résultats électoraux des partis écologistes, ils ont chuté partout en Europe.

Nous ne pouvons pas forcer les gens à croire en nous, ça ne marche pas comme ça. Il faut travailler encore et encore pour les persuader que nous apportons de bonnes solutions aux problèmes actuels. Nous devons construire ensemble. Je pense d’ailleurs que tous les agriculteurs sont sensibles aux sujets environnementaux. Je ne peux pas croire que l’on ne s’y intéresse plus, ça n’a pas de sens. Nous sommes effectivement dans un moment où on a l’impression que pour certaines personnes, tout ce qui est vert est mauvais. Je crois que c’est une émotion qui passera, car les faits sont évidents. Nous savons tous que nous avons besoin de la biodiversité, que les enjeux autour du climat sont décisifs. Qu’il faut que nous fassions des efforts pour préserver le sol, l’air et l’eau qui sont les bases de la vie sur terre. Et nous devons réfléchir à intégrer tous les agriculteurs dans ce processus. Cela prendra le temps qu’il faudra, le plus important est que toute la société parvienne à en parler sereinement.