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Fratelli tutti : entre frères, on se serre les coudes


Madalena, bien décidée à s’en sortir et dotée de plusieurs cordes à son arc, a repris des études pour travailler dans le social. (Photo : hervé montaigu)

Tous les mercredis, dans la crypte de l’église de Bonnevoie, Sandro Sandini, fondateur de Fratelli tutti, offre une parenthèse de réconfort à ceux qui n’ont rien.

Un mercredi matin de décembre, à 10 heures. Au bas des marches qui mènent à la crypte de l’église Marie Reine de la Paix, dans le quartier de Bonnevoie, ce ne sont pas le froid ni les ténèbres qui accueillent le visiteur, mais une salle où règnent la lumière et la chaleur. Le calme, loin du bruit de la rue. Sur les tables qui meublent la pièce, ici du matériel de peinture, là du matériel de coiffure. Sur une autre, une bouilloire et du café à profusion.

C’est ici que chaque semaine, ceux qui n’ont rien viennent chercher ce contact humain et bienveillant qui leur manque souvent au-dehors. Dans la petite pièce jouxtant la chapelle souterraine, sans-abris, toxicomanes, alcooliques, prostituées, réfugiés, toutes les personnes marginalisées et en grande précarité, peu importe leur langue, leur religion ou la couleur de leur peau, sont comme en famille, tous frères et sœurs, «Fratelli tutti».

« Chacun donne ce qu’il veut »

C’est le nom qu’a choisi de donner à son action Sandro Sandini, franciscain séculier en charge de la pastorale sociale, quand il l’a créée il y a trois ans. Un nom qui fait directement référence à l’encyclique du Pape François et à un texte de Saint François d’Assise, invitant à la fraternité universelle, sans exclusion ni distinction.

Dans le sous-sol de l’église, ces malmenés par la vie ont la possibilité de se reposer, de boire un café, de discuter, de demander de l’aide administrative parfois. C’est aussi souvent l’occasion de faire quelque chose de leurs mains : ces dernières semaines, les bénéficiaires ont fabriqué des décorations de Noël et peint de nombreux tableaux, qui sont ensuite vendus dans l’église, après la messe. «Chacun donne ce qu’il veut. Une partie de l’argent sert à racheter du matériel, l’autre partie est donnée aux bénéficiaires», fait savoir Sandro Sandini.

L’injuste crise du logement

«On peut être 30, 15 et parfois seulement deux. Ils viennent quand ils veulent, la porte est ouverte, c’est comme une maison», indique-t-il. Ce matin-là, ils sont six. ll y a Jacob, 39 ans, demandeur d’asile arrivé d’Iran il y a un an, qui vient «chercher du contact social». Il y a aussi Rosa, 70 ans, qui habite le quartier. Elle reste assise un peu à l’écart, un petit chien à ses pieds. «Ce n’est pas le [sien]», mais celui d’une voisine qui enchaîne les séjours à l’hôpital. Rosa lui rend service, tout comme elle rend aussi service à une autre voisine, âgée de 86 ans, «qui a toute sa tête mais ne peut plus rien faire seule». La solidarité, toujours, même quand on n’a soi-même quasiment rien.

Car Rosa n’a pas grand-chose. Elle dit dormir dans un petit studio sous les combles, avec son lit au milieu de la pièce. Une situation qui l’empêche d’avoir une vie décente, et surtout de recevoir sa petite-fille du Portugal. Avec toutes ces années de souffrance cumulées, la vieille dame ne cherche pas à dissimuler sa colère, elle invective la Ville de Luxembourg, crie à l’injustice et dénonce l’absurdité de la crise des logements au Grand-Duché : «Il y a des gens qui paient des loyers de misère ici, mais qui ont des maisons en Italie ou au Portugal ! Et puis tous ces logements vides ! C’est une honte !»

« C’est important pour moi de travailler dans le social »

Madalena, 55 ans, rouge à lèvres rouge et cheveux tirés en arrière, approuve du chef : «Je n’aurais pas été séparée de mes enfants si j’avais pu avoir un logement.» Ses onze enfants ont tous été placés, et elle-même a connu les errances de foyer en foyer après son divorce.

Mais Madalena a repris du poil de la bête : si elle vit encore en foyer, la vice-présidente du département des immigrés de l’OGBL suit désormais des études à Arlon pour devenir éducatrice spécialisée en accompagnement psycho-éducatif. «En fait, je vais en quelque sorte valider ce que je faisais déjà au sein de l’OGBL. C’est important pour moi de travailler dans le social, d’aider les autres. Et je peux le faire, parce que je suis moi aussi passée par là», explique cette battante, tellement motivée à s’en sortir et à aider son prochain, qu’elle est un peu devenue le bras droit de Sandro Sandini au sein de Fratelli tutti. «Il ne faut pas baisser les bras», encourage la touche-à-tout, affairée à coiffer Maria, une autre bénéficiaire.

La structure de Fratelli tutti permet en effet à certains de passer de bénéficiaire à bénévole. «C’est important pour moi de privilégier les bénéficiaires qui souhaitent faire du bénévolat et s’engager. Car trop souvent, on ne leur laisse pas leur chance, y compris au sein des associations. C’est de la pédagogie éducative, cela les structure, leur permet de développer des capacités qui les valorisent et les rendent plus confiants. Et puis, c’est une expérience qui peut être mise en avant lorsqu’ils essaient de chercher du travail par la suite», revendique le chargé de la pastorale sociale.

Garder la foi

Marco, un milanais de 45 ans, est un autre habitué des lieux. Avec Madalena et Michel, un coiffeur de profession qui a la solidarité chevillée au corps et vient régulièrement donner de son temps libre à Fratelli tutti, Marco est l’un des trois experts des ciseaux et du sèche-cheveux à opérer dans la crypte. C’est en prison qu’il a appris la coiffure. «J’ai été arrêté en Italie pour avoir dealé du shit», explique-t-il.

La vie ne lui a pas fait de cadeau, dès le départ. «La femme qui [l’] a mis au monde», et qu’il se refuse à appeler sa mère, a essayé de le tuer à sa naissance, prématurée, nous apprend-il. «J’ai quand même survécu, j’avais envie de vivre! Mais j’ai développé un stress post-traumatique. Elle avait interdiction de m’approcher. J’ai été élevé par la « nonna« , qui m’a appris la cuisine pour que je puisse m’en sortir.»

Un « petit morceau de normalité »

Arrivé au Luxembourg en 2016 pour travailler dans la restauration, son métier d’origine, il explique avoir dû arrêter après un accident de travail qui l’a rendu handicapé. «J’ai des os en titane, je suis désormais comme Steve Austin, l’homme qui valait trois milliards!», plaisante-t-il. Venir ici les mercredis, «c’est son petit morceau de normalité», ce qui lui permet de tenir, avec sa foi et son engagement au sein de l’église.

Sandro Sandini veille – et recadre aussi parfois – tout ce petit monde. Pas toujours facile pour lui de garder la foi à force d’être constamment confronté à la misère et à la détresse psychologique. «C’est vrai qu’il y a des personnes avec d’importants troubles mentaux, mais j’ai l’habitude de gérer», reconnaît-il. Et pour rester sur son chemin, il nous confie ses deux secrets : «La prière… et les sports de combat ! Ça me permet de me défouler !»

À partir de janvier, Fratelli tutti donnera aussi rendez-vous aux précarisés les lundis de 10 h à 12 h à l’église du Sacré-Cœur, quartier de la Gare.

Pour les dons

IBAN : LU06 0019 5055 2566 4000 (ACCB-Sozialequipe / BCEELULL / Communication : FRATELLI TUTTI)

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