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Fin du télétravail illimité : ces frontaliers regrettent déjà


Après plus de deux ans à la maison, difficile pour certains frontaliers de s’imaginer revenir à temps plein sur leur lieu de travail.

C’est la fin. Après plus de deux ans en télétravail illimité, les frontaliers français, belges et allemands reviennent le 1er juillet prochain dans les entreprises luxembourgeoises. Une perspective qui ne réjouit pas grand monde.

838 jours. C’est la durée exacte des accords fiscaux mis en place par le Luxembourg et ses trois pays voisins que sont la France, la Belgique et l’Allemagne, pour permettre à leurs frontaliers de travailler chez eux durant la pandémie, sans limites, ni répercussion fiscale sur leurs revenus. Une décision prise dans l’urgence en mars 2020, alors que la France et le Luxembourg instauraient, quasi simultanément, leurs premiers confinements respectifs face au covid-19.

Après plus de deux années de «parenthèse», c’est un vrai retour à la réalité qui attend les quelque 216 000 frontaliers que compte le Luxembourg : le 30 juin prochain marque en effet la fin du télétravail illimité et surtout, un retour aux limites de 29 jours par an autorisés pour les frontaliers français, 34 pour les Belges et 19 jours pour les Allemands. Une bouchée de pain à côté du «luxe» des 119 semaines précédentes, qui, forcément, crée quelques remous.

Une «révélation» pour Thomas

Passé les premières semaines d’émoi et de choc face à un quotidien chamboulé, le télétravail s’est en effet vite transformé en «révélation» pour bon nombre de frontaliers qui en ont bénéficié pendant et après la pandémie. Parmi eux, Thomas, jeune développeur de 30 ans travaillant à Luxembourg, qui vante une «meilleure qualité de vie», après sept années d’allers et retours en train entre Maizières-lès-Metz et la capitale luxembourgeoise.

«Avec le télétravail, je peux davantage voir ma famille, faire des tâches du quotidien en parallèle de mon travail. Des choses toutes simples comme faire mon linge ou vider mon lave-vaisselle, mais qui me permettent de me libérer complètement les week-ends», explique-t-il.

Lui qui, actuellement, dispose de deux journées de télétravail par semaine, envisage de dépasser la limite imposée par la double imposition après le 1er juillet. «Si ma société accepte de rester à deux jours de télétravail par semaine, je le ferai, même si cela dépasse les 29 jours réglementaires. Je doute qu’il y ait des contrôles en France, c’est trop compliqué à mettre en place.»

Même si le Trémerois admet ne pas pouvoir «râler» parce qu’il «gagne très bien sa vie», il admet toutefois que sa décision résulte surtout des trajets quotidiens en train, qui pèsent énormément sur sa vie de tous les jours. La perspective de devoir à nouveau faire la route quotidiennement ne le séduit plus vraiment. «Je suis un peu stressé, je trouve ça plutôt pénible. J’ai vécu une longue période sans voir du monde et là, quand je remonte dans le train, j’ai l’impression que ça grouille de partout, c’est la folie.»

Un retour à 100 % en présentiel semble ainsi «illogique» pour Thomas, qui ne comprend pas cette décision. «Le télétravail a fait ses preuves ces deux dernières années. Tout le monde parle d’écologie, de réchauffement climatique : cela fait clairement partie des solutions pour bouger les choses à ce niveau-là aussi.»

Une «déception» pour Véronique

Un point de vue partagé par Véronique, frontalière depuis 22 ans, qui juge même «ingrat» de balayer d’un revers de la main les accords fiscaux illimités des frontaliers. «Le Luxembourg, comme nos entreprises, étaient bien contents que la Terre puisse continuer de tourner grâce au télétravail. Mais on reprend les choses là où on les avait laissées…», se désole-t-elle.

Manager dans le domaine des voyages d’affaires, elle a été particulièrement touchée par la crise du covid-19 et n’avait, jusqu’ici, jamais pratiqué le télétravail. «J’ai essayé de soulever la question il y a plusieurs mois auprès de ma direction, elle paraissait plutôt hermétique», confie la quadragénaire, qui se dit très «déçue» de retourner en présentiel le 1er juillet prochain.

Maman d’un enfant de 8 ans, elle sait d’avance qu’elle va «perdre en temps, en énergie en productivité et en qualité de vie» : «Mon fils a vu la différence pendant la période de télétravail… Honnêtement, si c’est une question de double imposition, je serai prête à dépasser le seuil des 29 jours et payer plus d’impôts. Reste à savoir ce que cela représente!», admet Véronique.

Une «réadaptation» pour Nathan

Une limite que ne veut pas franchir Nathan*, qui travaille dans le secteur bancaire à Luxembourg depuis cinq ans. Même si le jeune homme de 27 ans admet avoir «énormément gagné en qualité de vie», il reconnait aussi que le télétravail a des limites : un droit à la déconnexion plus flou, un temps de travail au quotidien plus important, avec des plages horaires plus conséquentes…

Depuis plusieurs mois, il retourne une semaine sur deux sur site, afin de «garder le contact avec ses collaborateurs et faciliter la communication». Mais il le sait : le retour en présentiel chaque jour va lui demander une «réadaptation».

«Je sais que cela va forcément entraîner un brusque changement de rythme et que je vais devoir me réadapter aux horaires de présence au bureau. Mais je pense vraiment qu’une trop grande expansion du télétravail pourrait aussi avoir des effets délétères sur l’économie de la Grande Région. Il faut assouplir les règles tout en protégeant les bassins d’emploi frontaliers aux frontières luxembourgeoises.»

Pour lui, aucun doute que la crise mondiale que nous venons de traverser aura des répercussions positives sur la question du télétravail. «La pandémie a changé les mentalités des entreprises, ce qui est un véritable avantage salarial : il y aura une concurrence entre les entreprises désormais», relativise-t-il.

Une «leçon à apprendre» pour Céline

Un changement de mentalité de la part des employeurs luxembourgeois est-il vraiment à prévoir, comme l’espère Nathan*? «Les grands patrons ne sont pas prêts», tranche de son côté une autre frontalière française, Céline, consultante à Luxembourg. «Ils veulent surveiller, comme si on ne travaillait pas à la maison, alors que des tas d’études prouvent le contraire.»

Si elle a tenté d’expliquer, par le passé, les bénéfices du télétravail à son employeur, elle s’est vite confrontée à un mur. «Les RH préféraient qu’on arrive en retard que pas du tout», se souvient-elle. Désormais, elle aura le droit à 45 jours par an.

Une nette amélioration, mais avec la limite imposée par les accords fiscaux (NDLR : 29 jours pour les frontaliers français), elle devra s’organiser. «Je vais me faire un plan à l’année, pour profiter au mieux de ces 29 jours. Et peut-être que c’est rentable de payer les impôts en France?», se questionne-t-elle.

Pour la jeune femme de 32 ans, les accords illimités de télétravail de ces deux dernières années ont «tout changé». «Professionnellement, j’ai vécu les meilleurs moments. Moins de stress, de pression, une meilleure qualité de travail au calme, loin de l’open space, du temps de sommeil gagné… C’était un vrai luxe.»

Qu’elle va devoir délaisser dans quelques jours. «Je fais l’autruche, j’espère survivre. Avec le retour en présentiel et les travaux sur la ligne TER, je crains le pire. Ma santé mentale en prend un coup. Je suis de nouveau super fatiguée», se désole Céline, qui aurait préféré que la société «apprenne du covid-19, de ces deux années à la maison».

* Le prénom a été modifié.

Vers 2 jours de télétravail par semaine ?

Le ministère de la Sécurité sociale a confirmé que «des échanges sont en cours au niveau européen pour trouver une solution commune qui tienne compte du recours au home office». Les échanges portent ainsi sur la possibilité de dépasser le seuil des 25 % actuellement défini dans le règlement européen.

«Il s’agit de permettre d’avoir recours au télétravail jusqu’à deux jours par semaine en moyenne, sans que l’affiliation à la sécurité sociale ne change.» Affaire à suivre.

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