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Face aux populismes, «il faut mieux répartir les profits de la mondialisation»


«C'est vrai qu'il y a toujours ce discours de bouc émissaire, contre les étrangers, mais ces derniers sont à géométrie variable», estime le professeur de sciences politiques, Robert Harmsen. (photo Julien Garroy)

Robert Harmsen est professeur de sciences politiques à l’université du Luxembourg. Il revient sur une année de triomphe du populisme et analyse les raisons de ce succès.

Brexit, élection de Donald Trump… Cette année a été riche en élections surprises, où le discours populiste a séduit les électeurs. En analysant ses aspects économiques et culturels, le Pr Harmsen revient sur cette lame de fond qui touche tous les pays occidentaux ou presque.

Le Quotidien : Les pays occidentaux ont du mal à sortir de la crise, les populations sont dans des positions de plus en plus précaires. La réponse politique à cette crise est le repli sur soi, le rejet des étrangers, la nostalgie fantasmée d’un passé glorifié. Comment l’expliquez-vous?

Robert Harmsen : J’ai eu un sentiment de désarroi, qui s’est manifesté tout d’abord avec le Brexit, puis avec la victoire de Donald Trump. Et même si cela m’a choqué, je ne peux pas dire que cela m’a surpris. J’étais choqué de voir l’évènement concrètement se produire, mais on pouvait voir les tendances des indications structurelles qui expliquent au moins la possibilité d’un tel résultat. Dans les deux cas, c’était finalement très serré, mais le résultat s’est produit.

Des deux côtés de l’Atlantique, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, on voit la même fracture sociale, avec, d’un côté, les gagnants de la mondialisation et, de l’autre, les perdants. Finalement, il y a ceux qui ont les capacités, en termes de ressources et de niveau d’éducation, de profiter de la mondialisation. Et les autres, qui sont délaissés par ce processus, se trouvent dans une position de désavantage économique et sont de plus en plus déboussolés sur le plan culturel par la société métropolitaine, cosmopolite qu’ils n’arrivent pas tout à fait à comprendre et dans laquelle ils peinent à se situer.

Que ce soit la campagne pour le Brexit ou celle de Trump, on voit le mélange parfois très toxique de ces deux éléments. Il y a une situation économique qui est objective, mais qui se mêle à un sentiment subjectif qui se traduit par un rejet de l’étranger et plus globalement un rejet de l’ouverture. On veut démarquer son territoire en quelque sorte.

Les populistes glorifient un certain passé, un avant auquel il faut revenir à tout prix. Mais ce passé si merveilleux a-t-il existé un jour?

L’électorat populiste est plutôt âgé. Les jeunes ne sont pas très nombreux, il n’y a qu’à voir la distribution démographique : la génération du baby-boom domine encore, et elle n’a pas fait beaucoup d’enfants. Cette composante démographique a eu une influence très claire, par exemple sur le Brexit.

Il y a toujours des passés qui chantent, comme des lendemains… (il rit). Cela ne correspond à aucune réalité. Et je dirais que c’est plus un discours du pays profond qui veut respecter les valeurs traditionnelles. Sans parfois trop comprendre de quoi il s’agit. C’est un rejet de ce qu’on voit : on se voit revenir à un certain passé, à certaines valeurs, sans que ce passé ou ces valeurs soient bien définis. Il y a en tout cas une perte des points de repère. Et je crois que c’est l’économie qui a été le point de départ, et puis le culturel s’entremêle de différentes manières. Et ce n’est pas la dimension la plus forte.

Pour la victoire de Trump, ce qui a finalement joué dans les États du Midwest, c’est l’aspect économique. C’était vraiment un rejet du commerce international, un vote antitraités, comme on l’a vu avec Bernie Sanders. L’aspect culturel était vraiment secondaire. Parce que finalement à la frontière nord des États-Unis, l’immigration n’est vraiment pas une question.

Brexit, Trump : dans les deux cas, les sondeurs se sont complètement trompés. Est-il encore honteux d’admettre que l’on opte pour ce type de vote?

Il y a peut-être un soutien non avoué, mais c’est difficile à dire. Mais je ne vois pas en quoi ça serait difficile de le dire, que l’on soit dans le Midwest ou dans le nord de l’Angleterre. Je ne crois pas que l’on change une fois dans l’isoloir, je pense que certaines populations sont sous-estimées par les instituts de sondage. Mais dans les deux cas, les marges étaient de toute façon très serrées, et on est resté dans les fourchettes annoncées par les sondeurs. Finalement, Hillary Clinton a gagné le vote populaire, et elle a raté quatre États avec 100 000 votes de retard. C’est donc une marge très serrée. Les sondeurs ne se sont donc pas si trompés que ça.

Né au Canada, Robert Harmsen parle parfaitement le français. Il est professeur de science politique à l'université du Luxembourg depuis 2008. Il a auparavant enseigné la science politique et les études européennes à la Queen's University Belfast pendant 15 ans. (photo Julien Garroy)

Né au Canada, Robert Harmsen parle parfaitement le français. Il est professeur de science politique à l’université du Luxembourg depuis 2008. Il a auparavant enseigné la science politique et les études européennes à la Queen’s University Belfast pendant 15 ans. (photo Julien Garroy)

Vous l’avez évoqué. Ces élections ont révélé une fracture entre une population urbaine éduquée, et une autre moins favorisée. Comment concilier ces deux composantes qui ne se connaissent pas et qui ne vivent finalement pas dans le même monde?

Il faut trouver un modèle économique plus inclusif. Il faut trouver un meilleur moyen de répartir les profits de la mondialisation. Parce que, pour le moment, économiquement, financièrement, cela ne profite qu’à une minorité, une élite culturelle et économique. Via l’aspect économique, il faut revenir vers des politiques de redistribution qu’on a un peu oubliées depuis l’ère keynésienne. On voit qu’il y a un certain consensus sur cette question qui est en train d’émerger dans les institutions internationales.

Culturellement, cela va être beaucoup plus difficile. Surtout aux États-Unis où il y a des réseaux médiatiques qui se mettent en place. Les médias traditionnels sont un peu mis à l’écart et l’on peut désormais vivre complètement dans son petit univers, bien distinct, à travers les réseaux sociaux. Si l’on ne regarde que Fox News, on aura tendance à penser que Trump dit la vérité. Les médias partisans sont bien plus présents aux États-Unis qu’en Europe.

Audrey Somnard

Interview à lire en intégralité dans Le Quotidien papier de ce lundi 21 novembre.

Un commentaire

  1. La mondialisation, c’est d’abord sous-traiter du travail manuel ou intellectuel dans des pays à salaires bas. C’est une tendance vers l’égalisation des salaires qui est en partie contre-carré par les tarifs douaniers et les niches de souveraineté.

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