Alors qu’il fête ses 15 ans, le restaurant «Ma Langue Sourit», auréolé de deux étoiles au Michelin, nous a ouvert les portes de ses cuisines quelques minutes avant le coup de feu.
Sur la petite route en direction de Remich, à Moutfort, le bâtiment se fait presque discret. Pourtant, sur la carte des grandes tables luxembourgeoises, «Ma Langue Sourit» est une destination de choix. Sur le coup de 11h30, le restaurant est encore bien calme même si l’effervescence monte peu à peu.
À une demi-heure de l’ouverture, ce sont pour l’instant les employés qui mangent sur le pouce juste avant d’accueillir les premiers clients. À leur poste depuis 10 h, voire plus tôt pour certains, ils ont déjà préparé, en salle comme en cuisine, tout ce dont ils auront besoin pour le service à venir.
Répétée quotidiennement, la mécanique est bien huilée. Pendant que le sommelier remonte de la cave les bouteilles pour les placer dans le bar, Tina, la chef de rang, termine la mise en place du restaurant. Originaire de Grèce, c’est dans la biologie qu’elle s’était d’abord lancée. Mais face au manque de débouchés, son parcours a vite dérivé vers la restauration avec un détour par le Luxembourg.
«C’est mon petit copain de l’époque qui m’a convaincue de venir ici, j’ai tout de suite beaucoup aimé», raconte-t-elle tout en coupant quelques fleurs qu’elle dispose sur chaque table. Quand les clients arriveront, elle s’occupera également du service en compagnie des maîtres d’hôtel.
À chacun son rôle
Derrière la porte vitrée qui mène aux cuisines, on ne chôme pas non plus. Dès 8h, il a fallu réceptionner la marchandise, livrée quotidiennement, et commencer les premières préparations. Paul s’occupe par exemple des poissons qu’il taille et décortique. «Je m’occupe aussi des jus et des légumes dont on aura besoin pour la journée.»
Tout ce qui peut être fait à l’avance doit être prêt pour l’ouverture afin de perdre le moins de temps possible. «On est obligés, précise Anne-Sophie Molard qui gère l’établissement avec son mari Cyril. Les viandes et les poissons sont cuits à la minute, mais tous les légumes par exemple sont déjà épluchés, on ne peut pas commencer une purée au dernier moment.»
Dans cette mécanique de précision, chacun a un rôle bien particulier à jouer. Anne-Sophie est un peu le chef d’orchestre qui vérifie que chaque détail sera à sa place. Assistée d’Alice, la responsable du restaurant, c’est elle qui nous guide, entre deux urgences de dernière minute, dans l’envers de ce décor qu’elle coordonne depuis maintenant 15 ans (voir encadré).
«Nous avons du monde tous les jours et il y a beaucoup d’attente pour le week-end.» Mais fonctionnant essentiellement par réservation, «Ma Langue Sourit» peut facilement anticiper ses besoins au quotidien.
Ouvert en avril 2008, «Ma Langue Sourit» fête ce mois-ci ses 15 ans. Un évènement qu’Anne-Sophie et Cyril Molard veulent partager avec leurs clients. «Pendant un mois, nous allons faire gagner des cadeaux via les réseaux sociaux», annonce la gérante.
Coffret de vins, paniers gourmands et, évidemment, soirée gastronomique à Moutfort ont ainsi été mis en jeu. «Nous avons aussi préparé une cuvée spéciale « Ma Langue Sourit ».»
Une manière de dire merci aux gens qui les soutiennent depuis une quinzaine d’années et les ont accompagnés sur la route de ces deux étoiles. Une consécration par le fameux guide rouge qui les pousse aussi à s’améliorer constamment. «Cela met une pression, car les gens s’attendent à une expérience, reconnaît Cyril Molard. Mais c’est une pression positive.»
Seul restaurant du Grand-Duché couronné de deux étoiles au Guide Michelin, il attire une clientèle très diverse d’habitués, de familles et de professionnels, du Luxembourg comme de l’étranger. Si Anne-Sophie Molard affirme que cette distinction n’a rien changé à leur façon de travailler, les attentes ne sont évidemment pas les mêmes que dans un restaurant moins coté.
Pour marquer sa spécificité, le couple a décidé d’entretenir une proximité avec ses convives. Une manière de trancher avec l’image guindée, parfois austère, que l’on peut se faire de ce genre d’établissements. «Certains habitués restent la journée, note Alice. On sait ce qu’ils aiment, on est comme une famille. C’est important de garder le même personnel, car les gens les connaissent.»
Si la porte vitrée permet de voir ce qui se passe en coulisses, les clients peuvent aussi y pénétrer. S’ils prennent l’apéritif dans la verrière, ils rejoignent ensuite la salle principale par les cuisines. «De cette façon, ils peuvent saluer les cuisiniers et leur poser des questions.» À la fin du repas, le chef raccompagne également chaque tablée jusqu’à la porte.
«Les jours ne se ressemblent pas»
Alors que l’horloge se prépare à sonner ses douze coups, les ultimes préparatifs se mettent en place. Anne-Sophie Molard gère les derniers imprévus, comme une livraison un peu tardive ou un contrôle surprise de l’Inspection du travail et des mines, venue vérifier les papiers de chaque salarié.
Des petits contretemps vites réglés qui n’empêchent pas le personnel de s’affairer à ses dernières tâches. Il est temps, par exemple, pour Alexandra d’aller au fumoir. Elle prend alors le petit chemin derrière le restaurant pour accéder à la petite structure en bois où se trouve la viande qui sera servie à midi. «On la laisse fumer pendant plusieurs heures. On peut aussi y mettre du poisson ou toutes sortes de choses, cela dépend des envies du chef.»
Embauchée il y a cinq mois, elle passe par différents postes. «Je vais partout, avant j’étais à la pâtisserie.» Mais ce jour-là, en pâtisserie, c’est Anne-Sophie qui est à la manœuvre. «Je m’occupe des mignardises, mais aussi de tout ce qui est sucré, explique-t-elle tout en finissant de préparer les petits pains. Avant de venir ici, j’ai travaillé en boulangerie et dans la restauration, mais jamais dans un étoilé. C’est fantastique, même si c’est d’un autre niveau. Ici, il y a une exigence particulière.»
Mais il n’y a pas que des cuisiniers, des commis ou des serveurs qui font tourner «Ma Langue Sourit». En place depuis de nombreuses années, Lina multiplie les casquettes. Femme à tout faire, elle s’occupe aussi bien du ménage que de la plonge. «Et à partir de 15 h, je vais à la buanderie pour m’occuper de la lessive.» Un travail discret, quasiment imperceptible pour les clients, mais primordial pour la bonne tenue quotidienne du restaurant.
Lina, Alice, Paul… derrière chacun de ces prénoms se cache un rouage, plus ou moins grand mais toujours essentiel, qui permet à «Ma Langue Sourit» de traverser les années et de récolter les prix. L’équipe sait rester soudée pour affronter les aléas d’un secteur difficile, attirant de moins en moins, mais qui malgré la routine apporte toujours de la nouveauté. «Tous les jours, on se dit qu’on va anticiper, mais à chaque fois, il y a un imprévu», reconnaît Alice. «Les jours ne se ressemblent pas.»
Les coulisses de la carte
«On propose une carte lisible.» C’est ainsi que le chef Cyril Molard définit son approche de la cuisine avec «Ma Langue Sourit». Changé deux à trois fois par saison, le menu est essentiellement composé de produits luxembourgeois, à l’exception évidemment des produits de la mer. «On veut que les gens comprennent ce qu’ils mangent, mais aussi apporter de l’innovation pour leur offrir une expérience culinaire.»
Pour y parvenir, Cyril Molard ne décide pas unilatéralement de ce qu’il souhaite mettre dans les assiettes et consulte régulièrement son équipe. «Il faut laisser les gens s’exprimer.» Une attitude qui tranche avec celle qu’il a pu connaître dans d’autres restaurants, où le chef est au-dessus de tout, mais qui est primordiale aujourd’hui pour continuer à attirer de nouveaux collaborateurs, surtout dans un secteur en tension comme la restauration. «On doit aussi profiter de leurs qualités, car ils permettent au restaurant d’évoluer.»
Je ne manquerais en aucun cas à venir et connaitre les bienfaits de votre maison. Cordialement et bien a toute votre équipe. Angel Mazza .
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