La question du télétravail, qui a fortement évolué ces deux dernières années au Luxembourg, reste une priorité pour les différents syndicats du pays, à l’aube des élections sociales.
Il aura été la grande révélation de la pandémie de Covid-19 : le télétravail n’a jamais été aussi présent dans nos vies, ni aussi demandé et exigé par la nouvelle génération de travailleurs (et des plus anciens!).
Si elle était au centre des débats politiques ces deux dernières années au Luxembourg, avec quelques avancées notables (lire encadré), la question demeure essentielle pour les principaux syndicats du pays.
«Il faut continuer de le favoriser. On voit qu’il a des effets positifs, notamment sur la mobilité, qui est un gros problème au Luxembourg», souligne ainsi Frédéric Krier, membre du bureau exécutif de l’OGBL.
S’il note des «évolutions positives», des «améliorations sont encore à faire» pour le syndicaliste, surtout si le Grand-Duché veut continuer d’attirer les talents, qui deviennent de plus en plus exigeants sur la question du télétravail.
Un accord européen trop restrictif
Tous les travailleurs frontaliers sont soumis à des seuils fiscal et social (34 jours par an pour le premier ; 49,9 % du temps de travail pour le second) à ne pas dépasser sous peine de pénalités. Des quotas qui peuvent s’avérer contraignants, surtout lors d’un recrutement.
«Quelqu’un qui habite à Metz choisira forcément d’aller travailler à Paris si on lui offre davantage de télétravail, avec un salaire quasi équivalent à celui de Luxembourg», souligne ainsi le président de l’Aleba, Roberto Mendolia, qui ajoute que «de plus en plus d’entreprises au Luxembourg ont du mal à recruter» tant cette question du télétravail est devenue importante pour les employés.
«L’accord-cadre signé au niveau européen est très restrictif et nous empêche de passer le seuil fiscal au même niveau que celui du social», regrette, de son coté, Christophe Knebeler, membre du LCGB. Car c’est là le nerf de la guerre pour les syndicats : permettre aux frontaliers de télétravailler plus de 34 jours par an.
Les astreintes belges dans le viseur
Les trois syndicats ont également trouvé leur cheval de bataille dans la problématique de certains frontaliers belges liée aux astreintes. Un «gros, gros problème», «très grave», qu’ils souhaitent résoudre rapidement. En effet, les travailleurs belges voient leurs journées d’astreinte considérées comme du télétravail, notamment dans le secteur informatique.
Résultat : beaucoup d’entre eux ne veulent plus en faire. «La Belgique a-t-elle 40 000 emplois à donner si toutes ces personnes décident de quitter le Luxembourg pour revenir dans leur pays à cause de ce problème?», s’interroge Roberto Mendolia.
Un idéal de deux jours par semaine… pour tous
En effet, la particularité du Luxembourg, petit noyau au cœur de trois pays voisins, demeure la différence de traitement entre les résidents du pays et les 230 000 frontaliers venus de France, Belgique et Allemagne. Les uns sont soumis à des seuils tandis que les autres peuvent, s’ils le souhaitent et après accord de leur employeur, travailler à domicile de manière illimitée.
Une différence de traitement que dénoncent les syndicats OGBL, LCGB et Aleba, qui, unanimement, s’accordent pour demander davantage d’équité au sein des professions concernées. «Il faut que les résidents et frontaliers soient au même niveau. Éviter toute forme de discrimination et harmoniser le tout, même au niveau européen.»
Les trois syndicats s’entendent pour permettre aux travailleurs de rester à domicile deux jours par semaine, peu importe leur pays de résidence. «Pour l’instant, c’est beaucoup trop restrictif. Deux jours par semaine, c’est l’idéal pour trouver un équilibre avec le travail en présentiel», argumente Christophe Knebeler.
En attendant cet «idéal», les syndicalistes plaident pour une hausse de 34 à 55 jours par an.
«Les partenaires sociaux ont accéléré le débat»
Si le télétravail reste un facteur d’attractivité important pour le Grand-Duché, il n’est toutefois pas envisageable dans beaucoup de domaines. «N’oublions pas que le télétravail n’est pas possible pour 40 à 45 % des emplois du pays», rappelle Christophe Knebeler. «Nous devons aussi trouver des solutions, d’autres avantages, pour ces personnes-là.»
Citant notamment les métiers de la santé, le syndicaliste appelle à «mener le débat», comme ce fut le cas l’an dernier pour l’augmentation des seuils frontaliers. «Nous avons trouvé des solutions rapidement, grâce au dialogue entre partenaires sociaux. C’est un grand avantage du Luxembourg : ce sont les partenaires sociaux qui ont accéléré le débat.»
Donner de la flexibilité
Actuellement, même si le Luxembourg a fait évoluer ces quotas, de nombreux problèmes persistent : l’absence de loi équivalente pour le secteur public, de compteurs ou d’outils pour permettre aux managers de mieux «contrôler» le télétravail, aucune solution consensuelle au niveau européen…
«On note un rétropédalage dans les entreprises, il n’y a plus l’euphorie des débuts postpandémie. C’est une façon de manager complètement différente et nous n’avons pas les outils pour nous approprier cette nouvelle manière de faire. Et au niveau fiduciaire, tout est très complexe aussi», expose Frédéric Roveda, vice-président de l’Aleba, très engagé sur ces questions de télétravail.
Pour lui, aucun doute que la mise à niveau des différents seuils soulagerait les entreprises du pays. Une opération «win-win» qui permettrait, par exemple, de limiter les surfaces et, donc, les loyers, pour les établissements présents au Grand-Duché. «Arrêtons de restreindre les travailleurs. Laissons de la flexibilité aux entreprises sur ces questions», appuie Roberto Mendolia.
Quid en 2024?
Une flexibilité qui n’est pas à l’ordre du jour pour le moment. Tout comme ne l’est pas une nouvelle évolution du seuil fiscal. Si le télétravail était au menu de la rencontre, fin novembre 2023, entre le Premier ministre luxembourgeois, Luc Frieden, et la Première ministre française de l’époque, Élisabeth Borne, lors de la visite de travail du nouveau chef du gouvernement à Paris, aucune tendance claire n’a émergé.
«Quand on a de bons arguments, on peut convaincre d’autres États. Des progrès dans le quota de jours sont possibles si on met beaucoup d’énergie dans les négociations», avait fait savoir Luc Frieden, peu avant les élections législatives, à nos confrères de Virgule.
L’espoir est permis. D’autant que l’accord de coalition CSV-DP prévoit bien «d’augmenter davantage le nombre de jours annuels autorisés pour les travailleurs frontaliers», avec une date butoir fixée au 1er janvier 2025, au moins pour les frontaliers français.
➡️ Télétravail : la Chambre veut deux jours par semaine pour tous
Le télétravail au Luxembourg
Actuellement, le télétravail n’est ni un droit ni une obligation au Luxembourg. Il repose sur un accord entre l’employeur et le salarié. Une fois celui-ci conclu, deux seuils sont alors à respecter si vous êtes frontalier, l’un est social, l’autre, fiscal.
Les résidents luxembourgeois ont un avantage ici : ils ne sont pas concernés par ces normes et peuvent donc télétravailler sans limites, si leur employeur les y autorise.
Le seuil fiscal est passé en 2023 à 34 jours de télétravail autorisés par an, que vous soyez français, belge ou allemand. Si vous dépassez ce quota, vos revenus deviennent alors imposables dans votre pays de résidence, ce qui peut entraîner une hausse de votre impôt.
Le seuil social est un peu plus complexe. Il a été décidé par un accord-cadre européen, qui le fixe à 49,9 % de votre temps de travail annuel, soit environ 112 jours. Là encore, si vous dépassez ce seuil, vous basculez dans la sécurité sociale de votre pays de résidence et renoncez donc aux avantages donnés par le Luxembourg, comme les allocations familiales par exemple.