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Dans les vignes bios, une année sans repos


Pour Nicolas et Mathieu Schmit, le travail se passe désormais à la cave.

Alors que presque tous les vignerons ont clos leur récolte, force est de constater que le climat ne leur aura pas facilité la tâche. Personne n’a chômé et surtout pas les producteurs bios, comme l’explique Nicolas Schmit (domaine Schmit-Fohl).

Cela fait une semaine maintenant qu’il n’y a plus de raisins dans les parcelles du domaine Schmit-Fohl, à Ahn, dans le nord de la Moselle. À la vigne, la saison s’est terminée par un vrai marathon pour les douze vendangeurs et l’ensemble de la famille toujours sur le pont.

«Il n’y a pas eu de pause pendant 23 jours, souffle Nicolas Schmit (32 ans), qui pilote le domaine avec son frère Mathieu. D’habitude, on ne travaille pas tous les jours, on se garde les week-ends, mais là, attendre des maturités que l’on n’aurait jamais atteintes alors que l’état sanitaire des raisins se dégradait, ça n’aurait pas eu de sens… »

Dès lors, dès qu’un cépage était en cave, l’équipe repartait immédiatement vers le suivant. De l’auxerrois des débuts jusqu’au riesling pour terminer.

Les vendanges ont été intenses et difficiles. L’an dernier, aucun raisin n’était pourri et le travail avançait vite. Cette année a été très différente. «Normalement, nous aurions dû vendanger 80 ares par jour, mais il y avait tellement de sélection à faire pour couper les raisins verts ou ceux qui étaient pourris que nous n’en faisions que 50 à 60, avance le vigneron. Sur le pinot gris, nous avons au moins 40 % de perte, plus de la moitié sur le pinot noir qui ne permettra pas de produire de grands vins rouges. Quant au gewurztraminer, nous avons dû laisser près de 75 % de la récolte dans les vignes. Heureusement, il y avait quand même beaucoup de raisins et même en coupant autant que ça, les quantités restent correctes. Ce n’est pas si mal.»

Si le vigneron à en travers de la gorge un soupçon d’amertume, «c’était vraiment beaucoup de travail pour un résultat qu’on aurait aimé meilleur», tout n’avait pas si mal commencé. Le printemps a été sec, même trop pour les jeunes vignes, mais il a eu le mérite de laisser les maladies de côté pendant la floraison, une période extrêmement importante.

L’oïdium, mal de l’année

Tout a commencé à aller de travers au début du mois de juillet. «Il faisait toujours très humide le matin avec des températures entre 25 et 30 °C l’après-midi. Ce sont les conditions idéales pour les maladies», explique le jeune vigneron. Normalement, sous nos latitudes, c’est le mildiou qui pose problème, mais – autre signe évident du bouleversement climatique –, c’est l’oïdium qui s’est cette fois fait remarquer, un champignon qui sévit habituellement plus au sud.

«Il fait comme un voile blanc sur les baies et cherche à rentrer à l’intérieur lorsqu’elles ne sont pas encore mûres, les faisant éclater. Le jus qui s’écoule favorise la pourriture qui développe de l’acidité volatile, ce qui gâte le vin.»

La grande problématique du bio, c’est qu’il faut vivre avec ce risque sans avoir de réels moyens pour le combattre : «Nous n’avons droit qu’aux produits de contact, pas aux produits systémiques qui entrent à l’intérieur de la plante». Bref, on peut tenter de calmer, mais pas de stopper. Or cette année, l’oïdium était présent à peu près partout. Certains cépages ont particulièrement souffert, comme le pinot gris. Certains lieux-dits ont été davantage touchés, «surtout ceux qui sont humides, le long de la Moselle ou en haut des coteaux, sous la forêt».

Les seuls remèdes dans les mains des vignerons bios étaient le soufre et le bicarbonate, ce dernier permettant de sécher (un peu) les raisins. Une autre solution était de laver les grappes : «On a aspergé les vignes avec le pulvérisateur rempli d’eau pour enlever les champignons, mais on n’est jamais sûr que ça marche bien…»

Quand l’oïdium arrive tard dans la saison, ce n’est pas aussi grave parce qu’il pénètre moins facilement dans les baies molles, qui résistent mieux et éclatent donc moins. Mais cette année, cela ressemblait au pire scénario. «Il a plu 280 litres d’eau par mètre carré entre le 25 juillet et le début des vendanges, il y a un mois. Aujourd’hui, on en est à 300 litres, soit la moitié d’une quantité annuelle normale, souligne Nicolas Schmit. C’est l’exact contraire de l’année dernière, qui avait été très sèche. Le changement climatique, avec des variations extrêmes sur des temps très courts, ne nous rend pas la vie facile…»

Désormais, c’est le travail en cave qui impose un rythme continu. Les premiers soutirages, la gestion des fermentations malolactiques, la mise en barriques, le nettoyage de la cave… le boulot ne manque pas même si les vendangeurs sont partis jeudi, non sans avoir arraché une vigne et enfoncé les piquets sur une parcelle nouvellement plantée. Ce n’est pas parce que les raisins sont en cave que le vigneron se tourne les pouces.

Les conventionnels s’en sont-ils mieux sortis?

Eh bien, pas forcément! Une fois l’oïdium dans la vigne, il n’existe aucun traitement pour l’éradiquer. Les vignerons conventionnels sont donc contraints d’utiliser les mêmes produits que les bios (le soufre et le bicarbonate), et on a vu que leur efficacité est somme toute très relative. Certes, les non-bios avaient la possibilité de freiner l’arrivée et la propagation de ce champignon en traitant avec des produits phytosanitaires systémiques, mais à partir du moment où cette barrière a cédé (et elle a cédé un peu partout), il n’y avait plus vraiment de solutions.

La situation a même pu être catastrophique dans les vignes qui n’ont pas été suffisamment suivies. Parfois, les vignerons accordent une trop grande confiance aux pulvérisations par hélicoptère. Certes, les feuilles sont en général assez bien traitées par la voie des airs (utile pour lutter contre le mildiou), mais là, c’était les raisins sous les feuilles qu’il fallait atteindre. Et l’hélicoptère, en pulvérisant par le haut, ne peut pas faire de miracles. En conséquence, il n’était pas rare d’observer des vignes conventionnelles dans un état sanitaire particulièrement mauvais. Bien pire que les vignes bios dans lesquelles les vignerons travaillent davantage.

Carte d’identité

Nom : Nicolas Schmit
Âge : 32 ans
Poste : Vigneron, il dirige avec son frère Mathieu le domaine Schmit-Fohl (Ahn).
Profil : Il a obtenu son brevet de technicien en viticulture et œnologie à Weinsberg (Bade-Wurtemberg), avant de se former chez des vignerons du domaine du Palatinat et d’Afrique du Sud. Il est revenu au domaine familial en 2016 et a officiellement pris la succession de son père Armand en 2021. La propriété possède 14,5 hectares et reçoit en plus les raisins de 1,5 hectare en contrat.