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Dans la fabrique des Francofolies


Suivez-nous aux Francos-Fabrik ! (photos DR)

Deux jeunes groupes du Luxembourg ont eu droit à une formation accélérée sur mesure afin d’appuyer leurs intentions et grandir un peu plus vite. Au bout, une participation aux prochaines Francofolies d’Esch-sur-Alzette en juin. Ambiance.

Mercredi 29 mars, 9 h 30. Le réveil est plutôt tonique. Sur le linoléum jaune de la Kulturfabrik, et devant un grand miroir, les corps s’agitent, s’étendent, se dénouent, souffrent un peu aussi. Mais pas assez pour Julie Dossavi, coach corporel, qui se jette d’un bond sur le poste. «Je vais mettre une musique de bandits !», lâche-t-elle avant de reprendre en main son groupe, apparemment peu habitué des salles de gymnastique. Au fond, effondré sur une chaise, les muscles tendus, Sacha Ewen, batteur du groupe Pleasing, a déjà jeté l’éponge. Ce qui fait rigoler son camarade de jeu, le bassiste Xavier Hofmann : «Il connaît ses limites au niveau du fitness !»

Le troisième larron de la bande, Patrick Miranda, qui se fait un peu chahuter par la professeur, qui lui réclame plus de présence et de détermination, confie, un brin essoufflé : «Ce n’est vraiment pas facile d’être vulnérable dans un espace où on ne se sent pas à l’aise. Il faut dépasser ses craintes !» Le chanteur-guitariste se reprend et enchaîne alors, plus appliqué, les mouvements. «C’est mieux, on y croit !», approuve la remuante instructrice. Et si quelques rires gênés fusent encore, tout le monde se détend petit à petit. Yacko Stein, membre du duo de The X, tee-shirt de Jim Morrison et tatouages qui débordent d’un peu partout, a le sens de la formule : «Écouter, s’adapter, se lâcher et s’amuser !» Elle va lui servir durant quatre jours d’une belle intensité.

Bartleby Delicate sous le soleil de La Rochelle

L’expression correspond bien aux exigences des Francos-Fabrik, programme d’accompagnement et d’encadrement à la carte calé sur le modèle du grand frère de La Rochelle, Le Chantier. Là-bas, les artistes émergents se font les dents depuis plus de vingt ans, avec parfois de beaux résultats à la clé, à l’instar des succès populaires de Christine and the Queens ou encore de Feu! Chatterton, anciens pensionnaires. Le principe est limpide : fournir une aide appropriée aux nouveaux venus de la scène musicale en vue d’une éventuelle professionnalisation, dans une avancée qui se veut transparente et collaborative. D’un côté, les groupes indiquent les points qu’ils aimeraient améliorer et, de l’autre, des coaches, appelés ici contributeurs, cherchent à y répondre au mieux selon leurs spécialités.

Cerise sur le gâteau : chaque participant sera à l’affiche du festival le printemps qui suit. Déjà l’an dernier, pour la première fois, deux artistes du Luxembourg avaient profité des largesses de cette formation accélérée et sur mesure : Maz et Bartleby Delicate, de son vrai nom Georges Goerens. Ce dernier, après un concert sous un soleil de plomb au Gaalgebierg à Esch-sur-Alzette, a même eu le privilège de remettre ça quelques jours plus tard à La Rochelle, sur une scène située «au bord de la mer». Il dit avoir apprécié les conseils qu’on a pu lui glisser, la «synergie» de l’expérience et, surtout, la fidélité des organisateurs. De passage à la Kulturfabrik, il confirme l’idée : «On ne m’a pas oublié ! Ce n’est pas juste un one shot et après on ne vous parle plus.» Les Francofolies ne sont donc pas juste un réseau, mais aussi «une famille».

Contrôler son corps et sa voix au milieu des autres

Pour cette mouture 2023, parmi vingt candidatures, ce sont donc The X et Pleasing qui se sont engagés à suivre le programme, rythmé selon un déroulé cadré : un live pour commencer la semaine, afin que les coaches «sentent» le groupe, son potentiel comme ses difficultés; un autre devant les partenaires et invités pour terminer, histoire de voir l’avancement des travaux; et entre les deux, des cours pour la voix, la scène (de la production à l’occupation de l’espace) et le corps. On retrouve d’ailleurs Julie Dossavi, qui par le passé a mis son punch au service de Lara Fabian et d’Angélique Kidjo. «Je ne leur demande pas d’être danseurs ! Mais de pouvoir contrôler leur corps et d’en jouer.» Utile, car «c’est important d’exister sur scène». Et agréable, car «quand quelqu’un est à l’aise, c’est toujours beau».

Pas sûr, toutefois, que la chorégraphie sur tapis improvisée ce matin-là par les apprentis soit des plus convaincantes, mais les bases sont posées et il reste deux jours de travail. C’est au tour maintenant de Carole Masseport, au chant, de s’occuper des groupes, qu’elle transforme en une sorte de boîte à rythmes géante. Sous sa baguette, les bruits, les sifflements et le beatboxing cherchent maladroitement à trouver une harmonie : «Attention, on peut se laisser emporter par la musique, mais il faut aussi rester en connexion avec les autres !», prévient-elle. D’où la nécessité de procéder par «petits jeux». «On crée ainsi le contact, on rigole, on bouge… Il faut se rappeler que tout cela doit respirer !»

Pas de formatage, mais de la bienveillance

Patrick Miranda, chez qui elle sent des capacités «mal exploitées», peine à afficher toute l’étendue de sa voix. Après une demi-heure de vocalises, tout le monde semble d’ailleurs saturer. Vite, une pause s’impose ! Les cigarettes pendent déjà au bec, tandis que le thé préparé par Carole Masseport refroidit… Seule femme de la troupe,  Sarah Kertz, chanteuse de The X, connaît, elle, la force de ses cordes vocales. Micro en main, elle prend en effet une tout autre dimension. C’est ce que pourrait dire Stéphane Bellity, dernier des trois coaches de ces Francos-Fabrik, avec lequel on entre dans quelque chose de plus connu : le son. Oreille tendue vers la scène, il corrige un passage qui manque de «brillance», peaufine l’entrée d’une basse ou la rondeur d’un rythme, réajuste une fréquence, cherche le meilleur effet du synthétiseur…

Sous son jean trop court, un pied bat la mesure. C’est bon signe !  «Y a de bonnes vibrations, là !», s’exclame-t-il à l’adresse de The X, avec qui il revoit le set en entier, morceau par morceau. Après avoir libéré de l’espace sur scène, saturé par un décor tape-à-l’œil fait de mannequins et de télévisions, il est à l’affût du détail, mais sans en faire trop. «Ce n’est pas de la direction artistique !», se défend-il. «Ici, j’initie quelque chose qu’ils pourront continuer plus tard, si ça leur plaît. J’offre une possibilité, une direction.» Ses deux collègues prolongent : «On est là pour les aider, mais c’est leur projet, pas le nôtre !», affirme Julie Dossavi. «On se doit d’avoir un regard distancié, insiste Carole Masseport. Il faut juste comprendre où ils veulent aller et les accompagner.» Pas de formatage, donc, c’est juré, mais de la bienveillance et de la pédagogie.

Se reconnecter aux chansons pour «être dans le vrai»

Alors que les techniciens de la Kulturfabrik font des allers-retours entre la console et le plateau, câbles à la ceinture, Sarah Kertz s’y voit déjà : «Hello, good evening, we are The X !», balance-t-elle dans le vide à un public imaginaire, avant que ne résonnent les premières notes d’une pop branchée rock et électronique. Derrière son synthétiseur, Yacko Stein a le sourire et approuve : «C’est un luxe d’être là ! On a l’impression d’avancer à grands pas. J’ai déjà changé de coupe de cheveux !», rigole-t-il en enlevant sa casquette. Toujours concentré et à bonne distance, calepin en main, Stéphane Bellity épluche chaque son, dans une approche quasi poétique : «Il ne faut pas être dans la récitation, mais se reconnecter aux chansons, revenir au moment où elles ont été écrites. Être honnête, dans le vrai.»

Un point de vue qui fait clairement sens pour Pleasing. Xavier Hofmann : «Devant un public, c’est facile. Il y a plein d’énergie, mais au final, on ne sait pas pourquoi ça marche. Eux peuvent nous le dire, et aujourd’hui, on sait ce que l’on peut faire pour grandir.» Lui et ses deux amis sont venus aux Francos-Fabrik principalement pour régler deux «problématiques» : la voix et le live. Résultat, après trois jours d’efforts et d’astuces? «On a ajouté une seconde batterie et un piano!», blague Patrick Miranda. Plus sérieux, il revendique un dernier concert «de fou». «On s’est sentis en confiance. On a fait le show!» Leur metal teinté de rock et de spleen, à ses yeux, est plus équilibré qu’avant, et leur set d’une demi-heure et de neuf chansons bien plus percutant.

Deux mois pour digérer la formule avant le festival

Mais surtout, son groupe dispose désormais d’une feuille de route, ou disons plutôt, d’une piste à suivre «pour mieux projeter notre message et notre musique», dixit Xavier Hofmann. Elle passera par des répétitions sûrement plus «structurées» et elle leur permettra d’aborder de façon plus sensible deux rendez-vous d’importance : le lancement des Francofolies d’Esch-sur-Alzette dans cette même Kulturfabrik, le 8 juin, en ouverture de Miët et The Psychotic Monks, et avant cela, la sortie d’un EP (qui suit un premier long format datant de 2021, In the Mood for Super Dark Times) accompagné d’un live XXL le 28 avril dans la nouvelle salle du 1535° de Differdange. Pleasing y sera même en résidence une semaine. «Ça va être un bon entraînement. Le timing est parfait!»

De son côté, The X est également pressé de se lancer pour de bon. Lui aussi a bientôt un premier (mini) album à défendre. Et lui aussi a, comme le dit Yacko Stein, toutes les «cartes en main» pour évoluer. Après le concert de jeudi et le dernier débriefing du lendemain, le message était clair : «On nous a expliqué que le projet avait du potentiel, mais qu’il restait du travail pour le professionnaliser. Ça nous va!», poursuit le musicien. Il en est conscient : le plus dur reste encore devant. «Il va falloir patienter, attendre que tout cela se tasse, se digère… Mais notre approche est aujourd’hui plus claire.» Tout comme son constat final, d’un pragmatisme sans faille : «On a cherché un raccourci, quelque chose qui puisse nous booster. On l’a trouvé!» Dans deux mois, avec sa partenaire, ils lanceront peut-être au public des Francofolies un «êtes-vous prêts?» Si eux le sont, il n’y aura pas de raison d’en douter.

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