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[Cyclisme] Pit Leyder, le cœur et la raison


Pit Leyder a choisi de dire stop et évidemment, le sujet est fortement discuté au sein du cyclisme luxembourgeois... (photo Luis Mangorrinha /Le Quotidien)

La décision de Pit Leyder de stopper sa carrière au moment où il aurait pu signer un contrat professionnel, interpelle le monde du cyclisme luxembourgeois. Mais le mot respect revient à chaque fois…

Pour le moment, le principal intéressé n’est pas allé plus loin dans ses explications. Un choix réfléchi. Le temps fera son œuvre. Pour le moment, le principal intéressé s’est muré dans le silence, se retranchant derrière son communiqué et cette fameuse phrase : «Je ne veux plus vivre comme cela dans le futur.» Une phrase qui explique en peu de mots un choix, mais évidemment, ne dit pas tout puisqu’il apparaît que Pit Leyder, que Cofidis désirait embaucher à compter de la saison 2020, a pesé le pour et le contre avant de prendre sa décision.

C’est un choix qui interpelle car c’est inhabituel. Hormis lors des habituelles transactions qui s’opèrent par le biais d’un agent, il est rare qu’un coureur cycliste professionnel refuse une offre. Là, il s’agissait de la première offre que le jeune Luxembourgeois a donc choisi de décliner. C’est donc un choix de carrière que Pit Leyder a effectué. C’est ce que dit cette forme d’impasse. À la réflexion, Pit Leyder n’a pas voulu embrasser la carrière. «C’est dommage mais c’est sa décision, commente Christian Helmig, DTN de la fédération luxembourgeoise. On la respecte. C’est quelque chose qui arrive rarement mais qui peut se produire.» Sauf qu’effectivement, personne ne l’a vu venir. Ni à la FSCL ni dans les équipes pour lesquelles Pit Leyder a effectué cette saison, ses 46 jours de course.

Jempy Drucker : «Il aurait fait un bon pro»

«Je parlais justement l’autre jour à Thierry Marichal, directeur sportif de Cofidis sur la Vuelta. Il me disait qu’ils étaient très contents de lui et qu’il aurait sûrement sa place chez eux pour 2020. Je suis comme tout le monde, surpris par cette nouvelle. Car c’était assurément un bon coureur. Il n’avait pas seulement montré des choses sur les deux dernières éditions du Tour de Luxembourg, mais également sur beaucoup d’autres courses. Il aurait fait un bon pro», témoigne Jempy Drucker depuis le Tour d’Espagne.

Même sévèrement blessé début avril sur À Travers la Flandre, Jempy Drucker qui avait dû se battre pour décrocher une place chez les pros en 2011, ne regrette pas son choix. «C’est quand j’étais arrêté par la force des choses, que je me suis rendu compte qu’en fait, j’aimais trop ce métier, que j’avais hâte de remonter sur mon vélo. Mais c’est personnel. Le choix de Pit (Leyder) mérite notre plus grand respect», poursuit ce cadre de l’équipe Bora du haut de ses 33 ans et de ses 9 ans de carrière pro.

Alex Kirsch, l’autre coureur luxembourgeois présent sur le Tour d’Espagne, tient le même raisonnement. Le coureur de Trek-Segafredo n’a pas plus d’explication à formuler, mais il croit deviner dans le choix de Pit Leyder, celui de la maturité. «Vu de l’extérieur, la vie de coureur professionnel est une vie de rêve. C’est vrai et faux à la fois. Tant qu’on l’aime, ça va, mais si on a le sentiment que ça devient un travail, ça devient plus dur. Et il faut avouer qu’on aime ça, mais il faut également avouer que ce n’est pas tous les jours facile», assure Alex Kirsch.

Lui-même confesse avoir traversé des gros moments de doute. «Si je n’étais pas parvenu à intégrer une équipe du World Tour, alors je pense que je n’aurais pas insisté (NDLR : il figurait de 2015 à 2018 dans des équipes de deuxième division). À ce moment-là, j’aurais aussi dû faire un choix…»

Que s’est-il passé en ce qui concerne Pit Leyder? Nous en restons forcément au stade des hypothèses. Tom Flammang, aujourd’hui chef des sports de RTL, fut son directeur sportif chez Leopard en 2016. Il pose les mêmes questions, remâche les mêmes hypothèses. Rappelons que lui-même a épousé la carrière de cycliste professionnel de 2000 à 2003 chez Cofidis (il termina 19e de Paris-Roubaix 2002). «Comme tout le monde, note Tom Flammang, j’ai été surpris par sa décision, inhabituelle, mais je ne serai pas original, respectable. Et c’est parce qu’il s’agissait pour lui d’un moment crucial, qu’il a fait ce choix. J’imagine qu’en tant que stagiaire, il a compris que la vie d’un pro était aussi faite d’éloignements, de chutes et de sacrifices. C’est dur et ça fait réfléchir. Mais je me rappelle qu’il aimait vraiment le vélo. Ça, j’en suis sûr…»

«C’est sans doute un choix de vie»

Christian Helmig abonde dans ce sens. «Des déplacements, poursuit le DTN, il en avait fait, que ce soit avec la sélection nationale ou avec Leopard, mais il a peut-être réalisé ce qu’était la vie d’un coureur pro, souvent éloigné de la maison.»

«C’est sans doute un choix de vie, tranche pour sa part Glen Leven mécanicien chez Trek-Segafredo depuis plusieurs saisons déjà. En tant que mécano, je passe par exemple 200 jours loin des miens. Pour un coureur, c’est entre 150 et 200 jours. C’est beaucoup sur une année…»

Lui aussi se dit surpris. Il nuance. «Lorsque j’ai signé mon contrat, je savais que ma vie allait changer.»

Et le changement peut donc être brutal. Alex Kirsch reprend : «Pour l’avoir vécu, j’ai saisi qu’il y avait un basculement après la catégorie espoirs. D’un coup, tu te retrouves avec un agent qui défend tes intérêts, on parle argent. Tous les coureurs le disent, les meilleures années sont les années espoirs. On y vit des moments forts, inoubliables. Après, ça devient plus un travail. On change souvent de coéquipiers, c’est un métier. Un métier dur. Regardez la chute de Jempy (Drucker), il faut surmonter ça, repartir de zéro avec les incertitudes qui sont liées. Moi, je suis heureux de la vie que j’ai et ça reste mon choix de vie, mais je me demande si pour le coup, Pit n’a pas eu un peu d’avance. Pour le moment, nous gagnons assez bien notre vie mais dans dix ans, on sera peut-être en retard sur le plan professionnel, lorsque notre carrière sera terminée.»

Jempy Drucker le reconnaît à son tour, être cycliste professionnel, ce n’est pas seulement signer des autographes au départ des courses et taper dans la main des fans dans l’aire d’arrivée. «Moi, reprend Jempy, lorsque mon rôle est d’emmener sur cette Vuelta Sam (Bennett) et que je n’y arrive pas comme il le faudrait, alors je saisis ce que le mot pression veut dire. Oui, mentalement c’est dur, mais j’ai la chance d’aimer ça…»

Quant à Pit Leyder, il a gardé son destin en main. Entre le cœur et la raison.

Denis Bastien

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