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[Critique ciné] «To Leslie», un grand roman américain


(Photo : BCDF Pictures)

To Leslie (drame), de Michael Morris. Avec Andrea Riseborough, Marc Maron, Allison Janney… Durée : 1 h 59

Certains rôles sont voués à coller à la peau de leurs interprètes, quoique rarement par pur hasard. À actrice exceptionnelle, on accorde cependant une dérogation : avec sa récente nomination aux Oscars, malgré la sortie très limitée et complètement inaperçue de To Leslie, Andrea Riseborough est arrivée au grand soir d’Hollywood en paria.

Les paillettes remplaçant la poussière du Texas et le champagne au lieu des bières descendues par les cowboys dans leurs saloons modernes, l’actrice a vécu une dernière fois dans la peau de son personnage, Leslie, mise au ban de son village natal après en avoir été la grande fierté. Devant un public autrement exigeant que les habituels «rednecks»…

À Hollywood, on aime le scandale, plus encore lorsqu’il devient le principal argument de vente, et tant pis pour la qualité même du film, qui sera appréciée de façon tout à fait secondaire.

On retiendra malgré tout que To Leslie, qui renoue avec l’esprit d’un certain cinéma américain des années 1970, est béni par le jeu d’Andrea Riseborough, qui occupe tout l’espace et donne une véritable master class. L’actrice bouffe véritablement le film.

Une descente aux enfers

L’histoire de Leslie est celle d’une lourde descente aux enfers et d’une fragile rédemption, un roman filmé à taille humaine, hors du temps et profondément américain. Six ans plus tôt, Leslie était devenue la star de son village reculé du Texas. Par pur hasard, en gagnant 190 000 dollars à la loterie locale. Une coquette somme que la jeune mère alcoolique a dilapidée en un rien de temps.

Désormais, c’est la vie nomade pour celle qui se fait systématiquement virer des motels qu’elle squatte et qui, lorsqu’elle met la main sur un billet, file le dépenser au bar. Son retour dans sa ville, où elle n’attire plus que moqueries et quolibets, marquera pour Leslie le plus difficile des combats : celui qu’elle veut mener contre elle-même.

Alors qu’en littérature, les États-Unis sont en recherche perpétuelle de ce qui pourrait être le prochain «Grand Roman américain», To Leslie en serait la dernière itération cinématographique. Pas la première – le récit laisse le temps de méditer sur ses illustres aînés et modèles, sans que jamais leur poids soit écrasant : A Woman Under the Influence (John Cassavetes, 1974), Three Women (Robert Altman, 1972), Badlands (Terrence Malick, 1973), mais aussi les plus récents The Florida Project (Sean Baker, 2017) et Nomadland (Chloé Zhao, 2020).

Une subtile étude de caractère

To Leslie s’affranchit de toute contrariété scénaristique en suivant une trame convenue, celle d’une héroïne qui doit toucher le fond pour mieux remonter à la surface. Et peut ainsi développer sa vraie préoccupation : faire vivre le personnage dans toute sa complexité.

À défaut de mettre en valeur un regard d’auteur – Michael Morris, réalisateur vétéran dans le domaine des séries télévisées, signe ici son premier film de cinéma –, le long métrage se distingue par son écriture brillante et sa subtile étude de caractère.

Durant sa première heure, To Leslie est l’histoire d’une errance, à la fois physique (ou géographique) et morale. Son fils, première victime de son alcoolisme, est devenu un jeune adulte parti vivre à la ville. Et si, à 19 ans, il n’a pas encore atteint l’âge légal pour boire, il est forcé d’endosser, lorsque Leslie cherche refuge chez lui, le rôle du père protecteur.

Comme toute personne alcoolique, Leslie ne vit que dans sa propre vérité; aux yeux de tous les autres, elle ment, elle vole, elle se complaît dans la pulsion, plutôt que de chercher la voie de la raison.

La performance époustouflante d’Andrea Riseborough

Dans la peau de Leslie, Andrea Riseborough prend le spectateur en otage, quel que soit l’état dans lequel elle se met. Elle fronce le visage, déforme son sourire, s’époumone, affiche une mine défaite avant de la maquiller – littéralement mais sans que cela trompe personne – avec un peu de blush et de rouge à lèvres.

Au couple d’amis qui a tenté si longtemps de l’aider et qui, désormais, ne veut plus, elle crie à travers leur fenêtre qu’ils sont des monstres; les bras frêles qu’elle agite voudraient être menaçants, mais ils deviennent juste rouges. De honte, sans doute : la vitre renvoie à Leslie son seul reflet.

Chaque geste, chaque hésitation, chaque pause pousse la performance de l’actrice à un niveau supérieur. On pense aux compositions intenses d’une Sissy Spacek ou d’une Shelley Duvall – deux actrices texanes, alors que Riseborough est britannique et a donc dû travailler son accent, rendant la performance plus époustouflante encore.

Et lorsqu’elle est sauvée par Sweeney (Marc Maron), qui lui propose un job et un gîte, le jeu de l’actrice prend une nouvelle direction : autant qu’à ses démons, Leslie devra faire face à sa propre honte. Un chemin vers le pardon et la lumière pour lequel elle trouve pour la première fois un compagnon de route. Car un beau grand roman américain ne se vit jamais seule.

 

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