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[Critique ciné] «Chiara», sainte et révolutionnaire


Chiara

de Susanna Nicchiarelli

Avec Margherita Mazzucco, Andrea Carpenzano…

Genre drame / biopic

Durée 1 h 46

Un film après l’autre, Susanna Nicchiarelli remonte le temps. Après avoir chroniqué la dernière année de la vie de la chanteuse allemande Nico (Nico, 1988, 2017), puis exalté la figure «capitale» d’Eleanor Marx, fille du philosophe (Miss Marx, 2020), la cinéaste italienne délaisse ses emblèmes rock’n’roll et revient contempler la beauté de son pays et de son peuple.

Un retour aux sources en forme de voyage spirituel, symbolisé par Claire d’Assise. À 18 ans, Chiara Offreduccio di Favarone, fille d’un noble d’Assise, quitte tout ce qu’elle a pour vivre une vie ascétique chez les nonnes et fonder l’ordre des Pauvres Dames, encouragée par son mentor et collaborateur, François. Susanna Nicchiarelli raconte l’histoire d’une sainte – et d’une révolutionnaire.

La réalisatrice partage avec (au moins) deux de ses compatriotes, Alice Rohrwacher (Corpo Celeste) et Laura Bispuri, une tendance à transformer l’admiration de la beauté en expérience spirituelle. Elle est aussi la première à le faire à l’intérieur d’une œuvre directement religieuse, tout en maintenant comme fil rouge de Chiara la poursuite de l’utopie communautaire et la lutte pacifique pour l’autonomie.

La vie de Claire est déroulée par fragments; Nicchiarelli cueille son personnage aux moments décisifs de sa vie, au XIIIe siècle, et lui donne un écho contemporain. C’est un travail de fiction, basé sur le travail exhaustif de l’historienne et collaboratrice au scénario Chiara Frugoni, décédée en 2022 – le film est d’ailleurs dédié à l’homonyme de son héroïne.

Ainsi, la cinéaste tire les fils de trois thèmes en résonance avec notre monde, mais aussi avec son œuvre. D’abord, l’idée que Claire est une révolutionnaire, qui quitte la bourgeoisie et vit le choix de la pauvreté, tant comme un acte d’amour que comme une rébellion contre les injustices du monde. Sa détermination et sa dévotion se confondent, au point d’être écartée par les frères franciscains.

Il y a toujours un homme derrière les femmes racontées par Susanna Nicchiarelli (c’est le deuxième thème principal du film) : le vide laissé par Alain Delon, qui n’a pas reconnu l’enfant eu avec Nico; l’héritage de Karl Marx perpétué par sa fille, qui a lié socialisme et féminisme. La contrepartie masculine dans Chiara, c’est François d’Assise, dont la jeune femme suit les traces.

Une source d’inspiration continuelle, c’est encore de sa pensée et de sa pratique qu’elle puise sa résilience, même après que les franciscains trahissent les clarisses. Claire, à son tour, est devenue un modèle pour des femmes venues d’horizons différents, qui aspirent à vivre selon les préceptes de François.

Claire d’Assise est enfin le cheval de Troie parfait pour Susanna Nicchiarelli dans sa confrontation à l’Église, troisième thème majeur du film. En vraie révolutionnaire, la femme oppose son mode de vie à celui de l’État papal. Elle demande le «privilège de la pauvreté», quand le clergé vole le peuple puis étale ses richesses; elle lutte pour l’usage de la «lingua volgare», qui participera à la naissance de la langue italienne et dans laquelle le film est écrit, contre le latin imposé par les élites et largement incompris d’un peuple en majorité illettré.

Ces questions sont examinées sur l’espace d’une vingtaine d’années durant lesquelles Claire, interprétée avec grâce par Margherita Mazzucco (protagoniste de L’amica geniale, la saga adaptée d’Elena Ferrante), ne vieillit pas d’un trait.

Pour Susanna Nicchiarelli, la jeunesse est le moteur de la révolution, qui rallie finalement tous les âges et profils. La réalisatrice substitue son discours, puissant, complexe et finement écrit, à la grande fresque. Elle adopte les préceptes de Claire en livrant un film historique dépouillé et mystique, tout en osant les interludes chantés comme procédé stylistique unique, qui renvoie au chœur du théâtre antique. En revenant à l’essence, Susanna Nicchiarelli réalise son film le plus inspiré et le plus inspirant. Un état de grâce.

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