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[Critique ciné] «Athena» en état de siège


Film coup-de-poing, Athéna est un choc vertigineux saisissant parfaitement l’essence d’un pays incapable de se réconcilier avec lui-même.

Unité de lieu, de temps et d’action pour Athena, le troisième et nouveau film de Romain Gavras, qui filme la colère sur le mode de la tragédie antique. Comme chez Eschyle, Sophocle et Euripide, le récit est engagé par le hors-champ, ce qui s’est passé et que l’on ne verra jamais; ici, la vidéo virale du passage à tabac d’un adolescent, Idir, tué par trois policiers dans la cité Athena, en banlieue parisienne.

À cette origine du mal répond Karim (Sami Slimane), l’un des trois frères d’Idir : il lance le premier cocktail Molotov qui déclenche une insurrection armée. Les rues de la cité deviennent un champ de bataille; les couloirs et les escaliers des immeubles sont en proie à un mouvement de foule constant. Et au milieu du conflit, la caméra suit la descente aux enfers fulgurante de la fratrie : Karim, le chef de guerre, Abdel (Dali Benssalah), le militaire, et Mokhtar (Ouassini Embarek), le dealer égoïste.

Des plans séquences à couper le souffle

Dans un pays où une crise de fou rire se déclenche lorsqu’un journaliste étranger fait le lien entre les intentions douteuses du film Bac Nord (Cédric Jimenez, 2021) et la montée de l’extrême-droite à l’approche des élections présidentielles (41,5 % des voix au second tour), on ne s’étonne pas de voir une partie de l’opinion publique considérer Romain Gavras comme celui par qui le scandale arrive. C’était déjà le cas à l’époque de Stress, la vidéo qu’il a réalisée pour le duo electro Justice en 2008; aujourd’hui, Athena apparaît comme un miroir ultrastylisé du fameux clip, prenant au passage – et avec le poids des années – la colère comme motivation et une violence nihiliste poussée à l’extrême chez des personnages sublimés par leur humanité estropiée.

On peut aussi voir une forme de sagesse (au sens d’esprit critique, ou de liberté intellectuelle) de la part du cinéaste, de marcher sur le fil qui sépare la complexité esthétique – des plans séquences à couper le souffle – et l’épure scénaristique – des dialogues hurlés ou incompréhensibles, qui n’ont d’autre effet que de corroborer le chaos –, après avoir joué avec les codes de la satire à la Bertrand Blier (Notre jour viendra, 2010) et du film de gangsters (Le Monde est à toi, 2018).

La caméra suit ses personnages, traverse la fumée et trace une cartographie de la cité comme champ de bataille

L’expression «film coup-de-poing» est depuis longtemps galvaudée mais on voit mal comment ne pas l’appliquer au choc vertigineux qu’est Athena, avec ses mouvements de caméra impossibles, sa brutalité et sa profusion de fumigènes, qui ne laissent aucun répit. L’entrée en matière est spectaculaire : un commissariat est pris d’assaut par une horde de jeunes guérilleros qui volent un fourgon de police pour se rendre à Athena et prennent leurs positions à l’entrée de la cité, face à des CRS qui ont l’allure d’une légion romaine, le tout dans un plan séquence long de 12 minutes.

Prouesse technique, violence aveugle, renvois à la tragédie antique (renforcés par la magnifique B. O. signée Gener8tion et ses chœurs lyriques) : tout est déjà là. Le plan séquence, notamment, est le parti pris visuel auquel Gavras se tiendra religieusement durant la première moitié du film, de façon plus ou moins spectaculaire et pour des durées variables. La caméra suit ses personnages, traverse la fumée, jette des coups d’œil aux bastons passagères entre flics et civils, pousse les innocents à l’intérieur de leurs appartements, et trace ainsi une cartographie du champ de bataille, jusque dans ses cachettes et ses «no man’s lands».

Un pays incapable de se réconcilier avec lui-même

C’est un évènement tragique et déchirant qui viendra bousculer l’équilibre stylistique du film vers une seconde moitié plus découpée, accompagnant les choix moraux du protagoniste et projetant une nouvelle lumière sur la rage qui anime Athena. Par ailleurs, sont-ce bien des policiers qui ont été filmés en train de tabasser à mort le jeune homme innocent? Avec ses coscénaristes, Ladj Ly et Elias Belkeddar, Gavras n’explicite ni tenants ni aboutissants (c’est la guerre, toujours la guerre) mais saisit parfaitement l’essence de ce pays incapable de se réconcilier avec lui-même, et dont le système, appuyé par les chaînes d’info en continu où défilent les discours nauséabonds et les titres racoleurs, se repaît de ses propres infamies.

Le film retourne ponctuellement celles-ci contre elles-mêmes, quand les insurgés utilisent le direct des chaînes d’info pour mettre en scène leur propre film en temps réel, et sans effets spéciaux. Les personnages connaîtront, ou pas, la réalité derrière les images du petit Idir; Gavras l’offre au spectateur, dans une dernière touche de nihilisme. Une provocation finale, peut-être, mais faite avec intelligence : des questions qu’elle pose découlent naturellement toutes les réponses.

Athena de Romain Gavras. Avec Dali Benssalah, Sami Slimane, Ouassini Embarek, Anthony Bajon… Genre drame. Durée 1 h 39

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