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[Cinéma] «Beau Is Afraid», trop beau pour être vrai


Beau, le protagoniste incarné par Joaquin Phoenix, est un grand angoissé. Et Beau Is Afraid «décrit la façon dont Beau expérimente la vie», selon le réalisateur, Ari Aster. (Photo : takashi seida)

Pour Ari Aster, Joaquin Phoenix est un flippé de la vie dans Beau Is Afraid. Une odyssée freudienne, absurde et angoissante, qui avance comme une expérience radicale de cinéma. Qu’on adhère ou qu’on déteste, elle ne laisse pas indifférent.

La trentaine à peine dépassée et en deux films seulement, Ari Aster s’est imposé de l’avis général comme celui qui a amené un souffle nouveau sur le cinéma d’horreur américain. Parmi les hordes de fans qui ont crié au génie devant Hereditary (2018), sa réinvention du drame familial à la sauce satanique, et Midsommar (2019), variation aussi lumineuse que dérangeante sur le fantasme de la secte païenne, son premier admirateur ne manque pas de se faire entendre. Son nom? Martin Scorsese, qui l’a adoubé parmi les «nouvelles voix les plus extraordinaires du cinéma mondial». En avril, le réalisateur de Taxi Driver (1976) ne tarissait pas d’éloges lorsqu’il a présenté le troisième et nouveau long métrage d’Ari Aster, Beau Is Afraid, qu’il a notamment comparé à des monuments de la littérature picaresque, de Tristram Shandy à Tom Jones, en passant par Don Quichotte. Rien que ça.

Ari Aster, lui, résumait cette fresque hallucinée en la qualifiant de «Seigneur des anneaux juif». Et quand bien même la formule fait sourire, rien ne peut laisser deviner le tourbillon de délire qui attend le spectateur et qui l’empoigne dès les premières minutes, pour trois heures d’une épopée intense – bien que largement inégale – qui se pose comme une expérience ébouriffante et sans égale dans le cinéma actuel. À la fois film d’horreur, drame familial, roman d’apprentissage, odyssée freudienne et comédie absurde, Beau Is Afraid s’affranchit de toutes les règles visuelles et narratives qui espèrent conditionner le cinéma, pour inventer les siennes.

Tout part d’une trame simple : Beau (Joaquin Phoenix) doit rendre visite à sa mère. Mais au moment où il sort de son appartement miteux pour aller à l’aéroport, on lui vole ses clefs et sa valise. Démuni, il va devoir traverser une partie des États-Unis pour rejoindre son objectif, au gré des mésaventures qui lui tomberont dessus. Voilà le hic : Beau a peur de tout, ce qui ne facilite pas les choses quand le monde dans lequel on vit est déjà cinglé. Sur son chemin, il croisera un amour d’enfance, une famille dangereusement dérangée, un vétéran de l’armée qui ne s’est jamais remis du trauma de la guerre, ou encore une créature qui risque de marquer les esprits.

Ce film indéfinissable, qui terrorise autant qu’il amuse, a comme ligne directrice l’idée de dépeindre le monde tel que Beau l’appréhende. En bas de son immeuble pourri vivent «crackheads», tueurs en série, violeurs et gangsters, mais est-ce réellement le cas? «Je place le spectateur dans la tête du personnage, à l’intérieur de ses émotions, presque de ses cellules. Vous êtes dans ses pas, vous bougez à travers lui, dans le but de le suivre mais surtout de ressentir ses souvenirs, ses fantasmes, ses peurs paniques. Le film décrit la façon dont Beau expérimente la vie», explique Ari Aster.

J’ai toujours pensé que Joaquin Phoenix était le plus grand acteur du monde. Maintenant, je sais qu’il est encore plus fort que ça.

Et alors que les trois heures défilent comme un long cauchemar qui défie la trame conventionnelle et fait se succéder toutes les angoisses possibles et imaginables, Ari Aster découpe son film en quatre parties, toutes symbolisées par un lieu : l’appartement de Beau comme décor de film d’horreur; dans la maison de l’étrange famille qui recueille Beau se tisse une comédie noire; la forêt, un endroit mystique qui engage le héros à s’ouvrir à ses rêves plutôt qu’à rester prisonnier de ses souvenirs (la plus belle partie du film, tout en surréalisme et en poésie, avec un segment animé signé par le duo génial de cinéastes chiliens Cristobal León et Joaquín Cociña); enfin, l’arrivée chez la mère fait décanter, d’une façon pour le moins agressive et survoltée, le choc œdipien dans lequel Beau est enfermé.

Face à un film aussi radical et clivant, on laissera au spectateur le plaisir – ou la souffrance – de se faire sa propre opinion. Il est clair qu’Ari Aster ne cherche pas simplement à entrer dans l’esprit d’un homme psychotique, encore moins à seulement déranger le public; il le fait, certes, avec la même pointe d’autosatisfaction déjà présente dans ses deux films précédents, mais Beau Is Afraid vise à quelque chose de plus grand, à aller explorer en film les chemins du roman, du rêve… Bref, mettre en images ce que l’image ne permet pas de représenter. Avec tout ce que cela comporte d’excès – dont certains franchement dispensables –, mais aussi avec un acteur immense et ultra-impliqué dans son rôle, à commencer par une transformation physique qui lui donne un peu de ventre et une impossible calvitie. Au sujet de Joaquin Phoenix, Ari Aster déclare avoir «toujours pensé qu’il était le plus grand acteur du monde. Maintenant, je sais qu’il est encore plus fort que ça.»

Beau Is Afraid, d’Ari Aster.

 

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